"Elle s’éloigna en le regardant du coin de l’œil. Marcus connaissait ce regard déterminé à le faire réagir. Les signaux que Laetitia envoyait étaient de plus en plus évidents, elle ne se satisfaisait plus des belles phrases de circonstance destinées à éviter les conflits. Elle attendait plus d’implication de sa part pour faire « vivre » ce couple. Il s’appuyait beaucoup sur elle, elle aimait cela, mais désirait aussi goûter à cette sensation. Celle où le conjoint fait preuve d’initiative pour vous surprendre. Elle lui faisait comprendre doucement mais sûrement."
Néanmoins, il avait assez d’expérience pour savoir que le concubin, qui était souvent le meurtrier, usait parfois du subterfuge de l’époux endeuillé pour éliminer tous soupçons le concernant. Cette fois pourtant, Marcus n’y croyait pas. Le mari avait un bon alibi et, encore une fois, son attitude ne correspondait pas à celle d’un fautif, souhaitant vite passer à autre chose. L’inspecteur Notre-Dame décida de poursuivre sa visite du vaste appartement.
Quatre otages avaient été retrouvés morts devant la porte d’entrée. Le sang maculait les cagoules qui recouvraient leurs têtes criblées de balles. L’honneur des quatre membres du GIA morts en martyrs venait d’être lavé. Ces actes abominables démontraient la détermination de nos opposants. Le sang n’avait pas fini de couler.
Leur revendication était claire : que la France fasse un communiqué officiel en s’engageant à arrêter le soutien financier au gouvernement de Liamine Zéroual. Cette vaine demande n’aboutirait pas, mais l’attentat de ce soir ferait office de caisse de résonance pour les revendications du groupe
islamiste. Ils poursuivaient l’objectif de mettre en lumière l’ingérence de la France dans la politique intérieure algérienne. L’émotion suscitée par la mort d’innocents laisserait place à des questions dérangeantes sur le rôle joué par la France dans la guerre civile algérienne. Installer un climat de
terreur au sein de la population mettrait la pression sur le gouvernement français afin qu’il se mette en retrait.
Catherine Lancelot scruta la silhouette de Marcus alors qu’il se dirigeait vers l’escalier. Un V succulent était formé par ses hanches et ses épaules. Ses yeux convoitaient son fessier telle une pie voleuse : « Je vous le répète inspecteur Notre-Dame, je suis à votre entière disposition », chuchota-telle en se caressant l’entre-jambe.
"Quand il s’agit de raconter sa vie, la bouche d’un homme n’est pas toujours fiable. Son corps en revanche, ne ment jamais. Celui de Marcus Notre-Dame avait la langue bien pendue. Les ongles tailladés par des Rangers suggéraient un passé militaire. Une entaille au visage que le temps n’avait pas réussi à effacer témoignait d’une brève carrière de boxeur amateur. Le tatouage de deux revolvers qui croisaient le fer sur son bras rappelait qu’il avait déjà ôté la vie. Les veines saillantes qui tentaient de se frayer un chemin à travers les cicatrices de blessures par balle témoignaient de la vie d’un homme qui avait dû faire face à de nombreux dangers. Il s’apprêtait à affronter une menace bien moins périlleuse mais tout aussi désagréable, le moment où son réveille-matin allait sonner. Un manque de volonté habituel se ferait ressentir quand sonnerait le glas à six heures."
Assumer d’être enfermée dans une cage dont elle avait elle-même érigé les barreaux : un travail, des crédits à rembourser, une progéniture à préparer. Préparer à quoi ? À emprunter le même chemin, celui de la prétendue réussite sociale. Empreinte de pessimisme, Emma grossissait sans doute un peu, voire beaucoup, le trait. Cependant, elle ne pouvait s’empêcher de penser que le tableau de sa vie ressemblait de plus en plus à une caricature ; un dessin dont sa mère avait fortement esquissé les premiers contours.
Il avait préféré lui avouer avant de partager un simulacre de bonheur dans un cocon ensoleillé, au sein duquel ils se seraient retrouvés pour la première fois depuis longtemps. Laetitia en avait décidé autrement. Après la révélation de son infidélité, elle n’avait pas prononcé la moindre parole, et ils avaient fait l’amour, lentement, doucement, tendrement. Comme si la professeure de français avait fait un déni de la terrible réalité. Encore elle. Quand elle s’était réveillée, elle lui avait éclaté en pleine figure.
Ile-de-France, mère d’inégalités. Paris sa fille préférée. Yvelines, Seine-et-Marne, Essonne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Val-d'Oise, ses filles envieuses. Certaines furent très mal loties, d’autres développèrent un goût immodéré pour le luxe et se sont fait confectionner les plus belles pièces. Val-de-Marne fit appel aux plus prestigieux architectes, aux matières les plus
nobles pour façonner l’une de ses robes les plus élaborées, Saint-Maur des Fossés.
Un adversaire, un ennemi, une némésis, un geôlier, un tortionnaire, auquel Marcus, sa chair et son âme meurtries étaient enchaînées à jamais. Benedict s’endormait avec lui, infectait ses rêves, le réveillait le matin. Il n’osait le dire à Laetitia, mais parfois quand il lui faisait l’amour : il le voyait. Quand il l’embrassait, il avait l’impression de sentir le souffle chaud de Benedict dans son dos. Il était son fardeau, sa punition pour avoir trompé sa femme.
La tromperie, son visage et son corps brisé apparurent sous ses yeux. Catherine Lancelot, la Catherine, avait commis une tentative de suicide en sautant de son toit. Cette pute, cette garce la poursuivait même quand elle prenait son café et, selon les informations fournies par l’envoyée spéciale, elle n’avait même pas eu la décence de crever. Laetitia n’avait pas eu le temps de lui en vouloir qu’elle devait déjà la plaindre.