Soulignons seulement, comme nous l’invite à penser la publication de ses lettres inédites, que l’intime (maladie et absence amoureuse) n’est sans doute pas étranger à son suicide.
L’auteur le dit lui-même, à peu près en ces termes, le lecteur espère son lot de viande bien saignante. Il cannibalise les souffrances de l’écrivain, s’en repaît et s’en délecte comme on se partage la corde d’un pendu, on s’inquiète à demi-mots de vérifier le mythe de la mandragore.
On pourrait rêver d’une critique par immersion. À ce titre, on émaille son cénotaphe de collages de Crevel. Autant de trouées dont on se refuse à préciser la source. Des percées d’une pensée qui survient au hasard de ce qui en revient. Capturer seulement ce qui reste par un décalage délibéré…
La prétention de prendre à rebours l’image de Crevel. On commence ainsi. Atteindre alors l’avers d’une même médaille quand, pour ce surréaliste décisif, les contraires et contradictions ne se posent qu’en vue de leur réconciliation. Un poète peu connu. Peut-être. Plutôt un nom porteur d’une mythologie encombrante. Convoquer aujourd’hui son fantôme aidera à décoller ces oripeaux imagés : dédramatiser, lui rendre sa vie en ses contradictions « essentielles » pour se placer dans sa sémantique.
[...] Crevel reste l’auteur de cette revendication radicale d’une « solitude essentielle ». Un temps pour soi qui ne soit régi par aucune présence fût-elle futilement culturelle. Mais entendons cette aspiration à laquelle la maladie donnera des montagneux échos, dans le contrebalancement d’une mondanité toujours entretenue (d’après le peu qu’on en sache) avec une politesse exquise.
Même si vous ignorez tout du surréalisme (lisez alors" Déjà-jadis", de "Dada à l’espace abstrait" de l’indispensable Georges Ribemont-Dessaignes), vous connaissez les jeux de salons divinatoires dans lequel le surréalisme s’est abîmé.
Crevel multiplie les apparitions de ses intuitions suicidaires pour moquer leurs ressemblances, invalider leur fatalité qui réclame une pitié dont il ne voulait pas.
[...] pour continuer à s’égarer dans des affleurements par strates, rappeler comment la si plurielle Leila de Détours s’inspire de Marcelle Sauvageot, une amie de Crevel et une des présences les plus discrètement émouvantes de la littérature française. Occasion d’un ultime et hasardeux rapprochement : elle aussi son cadavre fut recouvert d’un remords catholique, une récupération à laquelle Crevel laisse moins de prise.