La durée du silence
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extrait 1
Recours
au Verbe
face convulsée contre terre
Tout est demande
le silence et son sacrifice
le regard clos
Tout réclame implore PAIX
dans l’éternel accomplissement
- De la mort corporelle à la flamme
spirituelle celle qui pointe vers le ciel
son fil noir et brûlant et le fond
au fleuve du temps
- Temps mort immobile
Puis les mots s’animent à nouveau
Sont-ils passés par la mort pour qu’ils reviennent ainsi
chargés de poussières d’ombres ?
On n’entendait plus que le cri d’un agneau
derrière le chant amer des âmes
…
Une route près d'Arras, ou d'ailleurs ? Ce lieu n'existe-t-il qu'en peinture ? On croit reconnaître ces arbres à la lisière, ce porche de ferme, l'alignement des saules,lacourbe de la route. Certains disent qu'il s'agirait d'une vue d'Etrun, près
d'Arras, peut - être réinventée en partie, mais quelle importance ? Ce paysage de campagne, saisi dans son évidence familière, rugueuse et humble, simplement traversé par une route, est tel que l'a vu Corot, depuis ce seul endroit singulier, cet unique point de vue, à cette heure précise de l'après - midi.
LEVÉES D’EMPREINTES
1.
Inlassablement, et disant cela,
on a beau détacher chaque syllabe
afin de lui être présent, ce mot-là ou un autre,
qu’importe, tous se ressemblent, on n’a pu faire un tri,
on recrée le bruit de ces blocs lorsqu’ils s’écroulent,
un à un, des falaises, sans que l’on sache
en différer la chute, la vague aussi avide
en s’éloignant continue son travail de sape,
continue de mêler silence, tumulte,
on voit comme on entend, comme on respire,
inlassablement donc, le resserrement de la gorge
quand on se trouve ainsi devant,
vers quoi les mains s’élancent-elles ? déjà
elles s’arrêtent, elles sont impuissantes
à cerner, à nommer l’obstacle, les paupières de même,
qui s’écartent pour rien : alors, malgré soi,
on reprend les quelques mots dont on dispose,
on les inscrit, friables, sur du papier friable .
2.
Nuit glaciale, oppressante, de toutes parts
toutes les nuits s’y dressent, on en est responsable,
on n’a évidemment qu’une obsession : au-dehors,
se dit-on, l’espace libre enfin s’agrandirait,
on ferait corps en lui, lettre après lettre,
à force, on dessine une ligne, on arrive au bout
pour la reproduire, c’est à la craie encore
que l’on s’agrippe, on ouvrirait pourtant
ne fût-ce qu’une fente, il suffit de la moins visible,
on le saurait au vent aussitôt qui se précipite,
la déchire, amenant d’un coup comme la mer
une lumière sans rivages, la page reste aride,
les doigts n’en sont que plus opaques, les yeux,
aucune voix ne s’élève des traces, au-dehors rien
que l’on ne doive ici réinventer, on divise une fois de plus,
on pense en termes de secrets à vaincre,
de cibles orgueilleuses, dans l’épaisseur on se fraie
un passage, très mal, on ne parvient qu’en bas.
3.
Au-dessous, ce n’est au-dessous qu’une masse compacte,
en la croyant impénétrable on veut se rassurer :
comme on tend l’oreille au long de parois
quand on comprend que l’on y frappe en vain,
on ne sait plus qu’elle rumeur s’insinue peu à peu,
peu à peu s’élargit, d’une forêt en plein orage
ou du ressac sur des galets avec celles qui va et vient
au creux de la poitrine, pourquoi s’agirait-il d’un leurre ?
sans se soucier de blessures, de durée,
ni le temps ni le sol rugueux ne refusent leur aide,
on appuierait la paume nue, elle seule sensible
reconnaît en la moindre ride une crevasse,
s’abandonne à la profondeur qu’on ne définit pas,
laisse venir des années enfouies
dans l’obscur remuement où se confondent
la terre, les os et les racines, la mémoire fidèle,
la mémoire exigeant d’être portée au jour,
fécondée à nouveau d’une parole.
La durée du silence
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extrait 2
L’eau trouble du fleuve dans la brume automnale
l’azur pourtant naissant et froid
la lumière dorée disparue
S’agenouiller sans force est la réponse
au monde frappé à mort
monde humain de petite envergure
échoué dans les mots peints à même le corps
écrits avec la peau
et l’âme ouverte ne sachant se relever
qu’à petits cris inaudibles
Ossements branches mortes
encore vivaces toute lumière bue
avec son fiel et son action de grâce
La lignée se poursuit
La croix toujours se tient droite
Le temps redevient musicien
L’enfoui refleurit
Ce que tu éprouves tu l’écris
sur la toile avec les couleurs intarissables
de ce qui résiste à l’immuable perte
et tu sais combien la lumière même
est fraternelle
i.m. 16 Juin 2021