J'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir cette autrice. J'aime son "ton".
Elle oppose dans ce roman un homme ayant l'apparence de toutes les vertus à deux femmes ayant ces vertus et rajoute que "L’apparence des vertus est bien plus séduisante que les vertus mêmes, et celui qui feint de les avoir a bien de l’avantage sur celui qui les possède".
On voit comment l'histoire va se terminer. L'homme en question n'est pas un libertin comme chez Laclos ou Crébillon, mais la question du masque social que l'on revêt revient avec insistance ici aussi, avec la conclusion que le masque l'emporte donc sur la réalité. M. de Cressy n'est pas vraiment un libertin comme Valmont ou Versac, il se laisse entraîner plutôt qu'il ne choisit de séduire, il est l'homme du caprice qui ne considère jamais les conséquences de ses actes pour les autres parce qu'il ne pense qu'à lui-même.
Mme Riccoboni étudie les relations homme-femme dans ce court roman avec un regard résolument féministe et, si elle souligne le rapport déséquilibré qui existe, elle met aussi en avant la solidarité féminine qui peut exister : "Quoi qu’on en puisse penser dans l’égarement de son cœur, un amant ne vaut pas une amie".
Bref, c'est une bonne découverte qui me donne l'envie d'aller à la pêche de ses autres romans (je ne suis pas sûre qu'ils soient très faciles à trouver).
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Dans ce roman paru en 1758, le marquis de Cressy est un homme brillant, mais sans une fortune capable de subvenir à ses appétits, mais ayant surtout pour lui ses exploits au cours de la guerre d'Espagne. Charmeur, il a pour objectif de s'attacher le meilleur parti: une femme avec de la fortune. Peut importe son âge, pourvu que la donzelle aie le titre et la monnaie sonnante et trébuchante qui va avec. Il fera ses armes sans conviction mais avec succès auprès d'Adélaïde, pour le malheur de cette dernière, un coeur pur et innocent; puis il n'aura pas grand chose à faire pour séduire la comtesse de Raisel, amie d'Adélaïde, à la fortune considérable et admirée de tous. Mais bien sûr, l'union se faisant aux dépends de la jeune fille, et étant fondée sur un mensonge, elle n'en peut que connaître une fin funeste.
Homme léger, ambitieux, le marquis de Cressy est avant tout le stéréotype du personnage masculin vaniteux pour qui séduire une femme tient plus du jeu qu'autre chose. Les femmes de ce roman sont aussi calquées sur les représentations sociales de l'époque dans les relations hommes/femmes, ces dernières étant passives.
Dans une plume élégante, Madame Riccoboni conte les turpitudes d'un homme qui perdra au final la femme dont il tomba finalement amoureux. Obsédé par son intérêt, vaniteux, il jouera des sentiments des unes et des autres provoquant le malheur. L'histoire de M. le marquis de Cressy m'a plus semblé celle de "ses" femmes, dont les tourments sont le miroir du caractère de cet homme avide d'avancement et de gloire.
Si évidemment, l'intrigue est marquée par son temps, de même que les effusions que les agissements du marquis provoquent chez ces dames, ce court roman n'est pas aussi poussiéreux qu'il pourrait y paraître. Car au final, il ne fait que raconter les rapports humains, et les conséquences de nos choix de vie sur nos relations avec les autres. Madame Riccoboni ne manque pas non plus de critiquer les hommes en général.
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Avant de prendre la plume, Madame Riccoboni fut comédienne. Elle écrivit cette nouvelle et la fit éditer en 1758.
1714, le marquis de Cressy revint de la guerre d’Espagne avec le duc de Vendôme, auréolé de gloire et de fierté. Six années plus tard, il a vingt-huit ans et se présente à la cour. Ambitieux, il songe à accroître ses biens par le biais d’une union. Fin esprit, son charisme fascine les deux sexes. Tel un paon, de soie et de plumes, il séduit les femmes tout en affichant de l’indifférence. Appâter sans le montrer, il présente un leurre désirable et fascinant.
"L’apparence des vertus est bien plus séduisantes que les vertus mêmes, et celui qui feint de les avoir a bien de l’avantage sur celui qui les possède."
Sa séduction enchante deux femmes. La première, la comtesse de Raisel, est une veuve fortunée, encore jeune, belle, intelligente, charitable et généreuse. Malgré son âge et sa situation, elle est une personne pudique et timide dans ses élans. La deuxième, une enfant-femme, Adelaïde du Bugei, a la pétulance, l’insouciance et la naïveté de sesseize ans. L’une, sage et pondérée, reste secrète, l’autre, jeune lionne, manifeste son amour et se laisse courtiser, parfois en cachette de son père qui voit d’un mauvais oeil ce béguin.
"Vous dire de m’oublier ? Ah ! jamais ! on m’a forcé de l’écrire ; rien ne peut m’obliger à le penser ni à le désirer."
De promenade en promenade, de soirée en soirée, de billets doux aux mots cachés, le marquis de Cressy oublie quelques temps son arrivisme et se donne à cette romance. Car il lui plaît d’être aimé.Mais…
L’histoire rencontre deux autres personnes. La marquise d’Elmont, femme calculatrice, vaniteuse, jalouse et sournoise, qui ressemble à la marquise de Merteuil dans les "Liaisons dangereuses" de Laclos. Elle sonde les faiblesses, offre une oreille compatissante et se propose dans le rôle de confesseur pour mieux perdre le pénitent. Et une jeune orpheline, Hortense, qui est confiée à la garde et au dévouement de le comtesse de Raisel. Considérée et choyée comme une fille ou comme une soeur, elle remerciera la gentillesse de sa marraine, par la traitrise, la froideur et l’insensibilité de son coeur.
D’une pièce de Marivaux… Vous ! ici ?… Les scènes dégénèrent en farce, les fils s’emmêlent et les marionnettes succombent à la duplicité. La comédie engendre la tragédie.
Au seuil de sa vie, le marquis de Cressy se posera certainement les questions :
Pouvoir ou Amour ? Félicité ou concupiscence ?
Car, "Il fut grand, il fut distingué ; il obtint tous les titres, tous les honneurs qu’il avait désirés : il fut riche, il fut élevé ; mais il ne fut point heureux."
Ce livre est intéressant et l’écriture est fine. A travers cette histoire, la condition de la femme à cette époque est encore sombrement amenée. De mes trois lectures pour ce challenge, mes héroïnes sont enclines à l’autodestruction. La faiblesse d’Eve ?
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Moins resserré, plus romanesque et pathétique que les nouvelles de Madame de Lafayette, cette longue nouvelle en a cependant le charme et quelquefois le ton sans la merveilleuse rigueur janséniste. Un belle découverte pour les amateurs de langue classique.
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Deuxième livre lu ce mois-ci pour le club de lecture d'Antastesia, ce court roman sentimental m'a parfois ennuyé mais est parvenu à aiguiser mon intérêt sur la fin.
Nous découvrons un personnage masculin, le marquis de Cressy, à l'ambition démesurée et sans scrupules, qui manipule plusieurs femmes pour parvenir à ses fins. Ces manigances et calculs font froid dans le dos et ne sont pas sans rappeler les stratagèmes toujours utilisés par certains hommes, notamment les pervers narcissiques.
L'originalité n'est pas le point fort de l'oeuvre car nous sommes en présence de personnages assez stéréotypés et de schémas narratifs vus et revus.
En revanche, la description des sentiments, surtout concernant les personnages féminins, est particulièrement juste et intemporelle.
L'écriture est aussi très belle, le roman faisant moins de 200 pages, il se lit très facilement.
Une autrice à la plume fine, très populaire à l'époque et malheureusement tombée dans l'oubli, à découvrir !
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Il y a un ou deux ans j’ai lu un tout petit opus de Marie-Jeanne Riccoboni, romancière du 18ème siècle. Il ne m’avait pas convaincue mais était plaisant malgré tout. En revanche, j'ai découvert et aime d'amour les « Lettres de Milady Juliette Catesby… » de la même auteure.
Déjà Riccoboni excelle dans l’art du roman épistolaire. Et comme c’est un style qui me plaît, forcément ça fonctionne bien mieux que pour « L’histoire de M. de Cressy » qui était de construction plus classique (si on peut parler de construction classique pour un genre que Riccoboni a elle-même largement contribué à façonner).
Ensuite le roman est moins ouvertement moralisateur parce qu’on n’a accès qu’à un seul point de vue (ou presque), partiel, partial et plus sensible que n’importe quel narrateur omniscient. (sur l’art du roman d’analyse / épistolaire / féminin / tout court chez Riccoboni et en particulier sur celui-ci : https://www.erudit.org/…/r…/tce/1995-n47-tce665/025851ar.pdf)
Mais son principal intérêt c’est la « peinture des sentiments ». En gros le roman est constitué des lettres que Juliette Catesby adresse à sa BFF Henriette, à un moment-charnière de sa vie amoureuse. Un an plus tôt elle est tombée folle amoureuse d’un certain Mylord d’Ossery. Sentiments partagés. Mais malgré les promesses d’aimer toujours, d’Ossery disparaît du jour au lendemain pour épouser une dadame sortie de nulle part. Après le décès de sa femme, il essaie de reprendre là où il l’avait laissé son amourette avec Juliette, qui se drape dans sa dignité outragée et refuse de le recevoir et d’entendre ses explications.
La raison de ce mariage précipité est assez cousue de fil blanc. Il n’y a bien que Juliette pour ne pas comprendre que son dulciné a fauté de telle sorte qu’il lui faille sauver l’honneur d’une jeune femme déflorée… Mais je pense qu’il faut prendre en compte l’époque d’écriture du roman. Ce qui nous paraît évident aujourd’hui l’était peut-être moins alors. Et la première raison que Juliette imagine, c’est que Miss Jenny disposait alors d’une titulature ancienne et plus prestigieuse que la sienne. Ce qui en soi peut très bien se tenir. (même Louis XIV a renoncé à son premier amour pour de telles considérations après tout)
Juliette nous présente ainsi tout le spectre de ses sentiments. Son amour blessé, sa colère, son incompréhension, sa fierté, ses doutes, etc… le tout porté par des considérations plus générales sur les fameux deux-poids deux-mesures concernant la liberté amoureuse / sexuelle des hommes et des femmes. Comme quoi rien de neuf sous le soleil, hein. Ce qui m’impressionne, c’est que Riccoboni parvienne à mettre des mots sur des sentiments fugaces et contradictoires avec une si grande justesse. Souvent je me suis dit « mais c’est exactement ça ! ».
Cette citation, rapportée dans l’article mis en lien, et qui est précisément celle que je recherchais pour illustrer une critique assez neuve pour l'époque, au moins en ce qu'elle est publiée :
« Leur cœur et leurs sens peuvent agir séparément ; ils le prétendent au moins et par ces distinctions qu’ils prennent pour excuse, ils se réservent la faculté d’être excités par l’amour, séduits par la volupté ou entraînés par l’instinct. […] Mais cette excuse qu’ils prennent, ils ne la reçoivent pas ; remarquez cela : ce qu’ils séparent en eux, ils le réunissent en nous. C’est nous accorder une grande supériorité dans notre façon de sentir, mais faire naître en nous une terrible incertitude sur l’espèce des mouvements qui les portent à désirer de nous posséder. »
Ma seule déception, dans ce roman, c’est sa fin. D’Ossery est égal à lui-même, j’ai envie de dire. Un connard de première qui force la main (et les femmes) et se permet de chouiner quand on lui refuse un regard. Mais Juliette, toi tu me déçois. Jamais je n’aurais pardonné, moi ! Sans doute encore un coup de la différence d’époque.
Juliette voit que d’Ossery n’a jamais cessé de l’aimer, moi je vois qu’il l’a trompé avant même de l’avoir touché… Parce qu’elle a beau penser que ce n’est pas juste que seuls les hommes puissent penser « en dessous la ceinture », elle le tient pour suffisamment « normal » pour ne se formaliser que de la trahison de ses sentiments. C’est tout juste si elle n’écrit pas : « aaaaah ce n’est donc que ça ! s’il me l’avait dit tout de suite, j’aurais compris, je l’aurais soutenu, quel homme, quelle générosité, quel honneur! ». Je m’étrangle un peu, voyez.
Pourtant en tant que lectrice privilégiée de ses états d’âme, je ne peux qu’être contente pour elle tant sa joie se ressent dans les dernières pages. Déçue qu’elle se soit liée avec un type qui continuera sans doute à « ne pas faire exprès » de tomber dans le vagin d’autres femmes, mais puisque ça n’a pas l’air de la défriser… Elle mérite mieux! (cela dit il semble que cette fin est une « commande » de l’éditeur)
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Dans ce roman paru en 1758, le marquis de Cressy est un homme brillant qui a une belle réputation mais dont l’absence de fortune freine ses ambitions et l’empêche de subvenir à ses besoins gourmands. Il tient une bonne partie de sa gloire de ses exploits militaires passés mais cela ne suffit pas dans la société de l’époque. Charmeur, il a pour objectif de se trouver un bon parti. Il jette son dévolu d’abord sur une toute jeune fille de 16 ans, puis sur une comtesse de 26 ans veuve depuis peu. Si pour lui l’amour est un jeu, pour les deux femmes c’est un sujet sérieux.
Dans ce très court roman, l’écriture de qualité nous emporte plus que l’intrigue. Il ne s’y passe pas grand-chose mais c’est avant tout le portrait d’une époque et d’une société qui est intéressant et précieux. Rares étaient les témoignages féminins au XVIIIème siècle alors profitons-en en découvrant cette autrice qu’était Madame Riccoboni.
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