Marie-Laure Choplin

Au milieu de leur marche si laborieuse, il s'est arrêté devant une fleur de pissenlit poussée entre les pierres.
Il ne s'est pas remis de cette fleur de pissenlit.
Protégé de rien, ni de la violence, ni de l'amour, il ne l'était pas non plus de la beauté qui est amour. Cette fleur de pissenlit l'a mis au monde comme rien n'avait su le faire. Dans ces cas-là il n'est jamais trop tard : le monde commence et tout est donné dans ce seul élan.

Depuis elle, il s'est mis à me regarder dans les yeux. Il m'a dit : "Mais pourquoi je n'ai pas regardé les choses avant ?... Comment j'ai fait pour vivre quarante ans sans regarder les choses ? Combien de temps exactement il me reste ? C'est la seule chose que je demande : deux mois, disons trois mois, pour regarder les choses."

Alors, d'accord, pour aujourd'hui au moins, Semeur, je prends tout, joie et malheur, je renonce à arracher 'un pour que l'autre ait une chance, je mets ma joie dans cela seulement : vivre pleinement ce qui m'arrive, sans faire de tri, sans désigner un coupable, consentant à ce que le mal fasse mal et gardant les yeux rivés sur le bon que tu sèmes.

Seigneur Dieu, roi du Ciel, tu lui diras n'est-ce pas, à cet homme couché sous nos pieds. tu lui diras un jour : « Je vous en prie. vous êtes ici chez vous », et tu t'inclineras. en raison de ces nuits passées à lacérer le béton du monde. Et Prince léger il marchera comme tu marches Toi, dans la beauté des jardins.
Esprit de Dieu qui soulève notre souffle, fais advenir cette éternité maintenant. Comme ils ont lieu en son ciel, que nous mettions au monde de notre terre des jardins de cette sorte.

Comme il y a de la place dans ta vie, mon Dieu. Comme c'est doux de ne pas lui fermer la porte, à cette vie, avec mes familières litanies sur ce qui devrait être, de me laisser gagner pas elle sans préalable, sans condition. Sans justification. Par le bout avec lequel elle m'arrive. D'interrompre un instant mon fade monologue de sens pour la laisser tisser entre nous le corps que tu espères et auquel nos inaptitudes, parfois, donnent le jour mieux qu'aucun de nos talents.
(...)
Je ferme les yeux et goûte ce corps grand comme le monde.

C'est être qui soigne, c'est être qui rend possible, c'est être seulement.

Voilà ta gloire : être toute la joie de Dieu et être tout son amour. C'est cela qu'elle dit , la vois qui plaque les disciples au sol (à la Transfiguration). Et après elle, reçue dans l'ombre, voilà le silence. Ce silence, le texte dit que les disciples le GARDENT. Cela pourrait être une définition du disciple pour aujourd'hui : être gardien du silence, de ce silence-temple où chante encore au monde la voix d'amour-joie.
J'an aime à jamais nos pénombres, les hommes pleins d'ombres, les espaces que midi ne contraint pas à l'éclat, les champs qu'aucun chemin visible ne partage plus, que le crépuscule ensauvage, j'aime sous les vents l'herbe qui varie et l'ombre qui passe, les heures cendrées où la frontière se discerne à peine entre les voix qui se lèvent et les silences qui se lèvent aussi, proches.

Ton Royaume, mon Dieu, j'imagine que c'est un jardin. Un infini jardin que tu inventes sous les pieds des hommes, comme aujourd'hui déjà tu le fais, ouvrant les océans avec ta Parole pour qu'ils passent à pieds secs. Ouvrant, avec ta Parole - comme elle le fait aussi cette femme.

Me feras-tu aller mon Dieu là où on devient comme elle,
abîme d'ouverture impossible à refermer,
même quand le matin on parle de la pluie ?