Marie Saur

Philippe et Jean-Michel sont frères. Ils ont grandi ensemble, liés par une complicité affectueuse qu’on ne rencontre guère que chez les jumeaux qu’ils ne sont pas. Mais les sentiments, si profonds soient-ils, s’émoussent avec le temps qui passe, ou se redéfinissent d’une autre manière. L’épreuve de l’adolescence et l’entrée dans l’âge adulte ont creusé entre les deux frères un fossé à la mesure du changement qui s’est opéré en eux. Devenu ingénieur, Philippe gère sa vie avec rigueur et pragmatisme. Jean-Michel, dessinateur de BD, est un glandeur qui assume sa désinvolture. Lorsqu’il embarque Philippe à bord de la voiture qu’il vient d’acheter pour une virée de quelques jours à deux en Vendée, rien ne laisse supposer que ces vacances tourneront au désastre, offrant à l’un et à l’autre mille occasions de s’unir pour mieux se retrouver, et de s’affronter pour se perdre à nouveau. Au bout du compte, ce voyage au bout de la France aura tout d’un voyage au bout de soi-même, un périple plein d’enseignement qui débarquera sur des quais parallèles deux êtres envahis par l’amertume et la nostalgie du temps qui a fui. Soutenu par un dessin à la fois simple et dense qui traduit à merveille la sobriété des sentiments exprimés et le vacarme du non-dit, le récit de Marie Saur est un trésor d’humanité qui vaut son pesant de mélancolie, un joyau de plus au catalogue des éditions Sarbacane.

Les fruits du ravissement de l'oeil éveillent le désir de la langue .
La formulation anime les bonds des pensées , les pensées esquissent ou crayonnent un monde à moi avec son espérance et son impuissance , son étendue et ses limites .
Avant tout , le moi existentiel se relève à nouveau comme un polichinelle de son sommeil dans le caniveau et se met à se mouvoir , à questionner , à se souvenir.
Cela ne se produit qu'en marchant , la promenade amorce la course folle à travers le monde sous le crâne .
Chaque chose en déclenche une autre qui se consume au fil de la mèche en tous sens et provoque l'éclosion de différents foyers et finalement un incendie généralisé .

Je m'appelle Philippe. J'ai vécu toute mon enfance dans cette maison à Mordelles, cité-dortoir de Rennes. Je partageais la même chambre que Jean-Michel, plus âgé que moi d'un an. Mes parents nous ont longtemps mis les mêmes vêtements. Mais même habillés pareil, on ne se ressemblait pas beaucoup.

Les gens se sont assis et regardent distraitement le décor qui s'enfuit, tant et tant qu'il semble que jamais cette fuite ne puisse prendre fin.
Ils somnolent et en réalité, c'est nous qui fuyons.