Je me doutais qu'on viendrait me chercher, tôt ou tard. Je ne connaissais pas l'échéance. alors je devais faire semblant.
Je prétendais que j'étais en train de m'installer. Je défaisais mes bagages. je dépensais mes économies. Je m'encombrais de toujours plus de choses. Je voulais m'alourdir. Comme pour masquer que je ne pourrais jamais prendre racine.
J'étais impatient d'éprouver la sensation de l'eau car elle déleste le corps de son poids et fait apparaitre les choses comme si elles étaient sans gravité.
Quand le soleil se couchait, des ombres rougeâtres recouvraient le ciel. La brume enveloppait les cimes des arbres. Leurs reflets se heurtaient aux nuages. Le silence était à son apogée. p. 52
"les vagues coupent la parole elles privent du pouvoir de parler
elles coupent le lien entre la parole et la pensée quand les
vagues affluent je ne sais plus ce que je suis je ne sais plus
ce que je pense les vagues c’est ça qu’elles sont c’est ça qu’elles
font les vagues"
"ce que peut la littérature face à ce présent
pas grand chose sûrement
et cette chose
les vagues la recouvrent"
« Notre corps, il est déjà assez peuplé, il est traversé par des intestins qui sont presque aussi longs que le tunnel qui mène de Calais à l’Angleterre, notre corps, il n’a pas besoin de la misère des autres, il a déjà assez de manques qui le font souffrir, des manques de fer et des manques de zinc, des manques de minéraux et des manques d’amour, il n’a pas besoin de la guerre des autres, il a déjà des globules rouges et des globules blancs, qui se bousculent à l’intérieur comme l’armée blanche et l’armée rouge à l’époque de la révolution russe, sauf qu’aucun des deux camps ne croit au salut, personne ne croit à la fin de l’histoire et à l’Eldorado des corps nus dans les prairies, tout le monde sait qu’ils vont s’exterminer, se déchiqueter et s’exterminer. »
C'est là que un homme deux hommes a lancé ont lancé un pavé les pavés la foule les pavés s'est ruée sur moi les pavés cachés à côté de la fontaine la foule a jeté les pavés une pluie de une pluie une pluie de pavés les pierres sur la place les pierres comme des balles des obus les pierres au son de les cris meurtrier voleur blasphème assassin les pierres les pavés d'abord la poitrine puis le crâne le ventre criblé t r o u é t r a n s p a r e n t la p o it ri n e à n o uv e a u le vi sa ge la mâch oi re le n ez le s t y mp ans sifllent saignent uuuuuhhuuuuuuuurlent à mort le sexe b ro yé é cr a a br ou i llé l a t ê t e la t êt e p. 78
J'ai erré d'abord. Le vent me fouettait le visage. Mes cheveux voletaient autour de ma tête. Mes pieds s'enlisaient dans le sable. [...]
Le jour déclinait. Il semblait rougir de devoir disparaître. p. 10
"Le migrant c’est celui qui est fluctuant, c’est-à-dire changeant, hésitant, indécis. Il varie, va d’un objet à l’autre et revient au premier s’il y est forcé. C’est celui qui est flottant, subit des fluctuations, est en proie à des variations. Il est charrié par l’afflux des vagues, elles-mêmes fluctuantes, et qui risquent de le faire flotter dans l’eau."
"Il y a les migrations provoquées par des guerres, on appelle ça des exodes. Et il y a les migrations des barbares, on appelle ça des invasions. Les exodes, c’est le pluriel de l’exil, et l’exil, c’est quand on peut demander l’asile. Pour demander l’asile, il faut un papier, une carte de vœux, une invitation. Sans invitation, on appelle ça une invasion. Comme le migrant flotte dans l’eau, il arrive que son invitation soit mouillée lorsqu’il arrive sur le rivage."
Ce que peut la littérature face à ce présent
pas grand chose sûrement
et cette chose
les vagues la recouvrent