Marine Westphal -
La téméraire .
Marine Westphal vous présente son ouvrage "
La téméraire" aux éditions Stock. Rentrée littéraire janvier 2017. Retrouvez les livre : https://www.mollat.com/livres/1931796/marine-westphal-
la-temeraire Notes de Musique : Sergey_Cheremisinov The_Signals. Free Music Archive Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Dailymotion : http://www.dailymotion.com/user/Librairie_Mollat/1 Vimeo : https://vimeo.com/mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Tumblr : http://mollat-bordeaux.tumblr.com/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Blogs : http://blogs.mollat.com/
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Elle avait encore le droit d’essayer de faire ça pour lui : sauver sa mort, puisqu’elle ne pouvait sauver sa vie.
Sali Gravielle avait un sacré trou dans la poitrine, et, de ce trou, tout un pan de sa vie se dérobait et flottait hors d'atteinte, une écharpe en plein vol, désormais étranger.
Car il est une chose plus pénible encore que d'apprendre la mort d'un être aimé, c'est de l'attendre. Elle n'avait jamais été patiente.
Le bien et le mal n’avaient plus lieu d’être. L’amour engloutissait tout, empêchait la raison de reprendre le dessus. L’amour : je l’imagine en escalier biscornu, dont les marches parfois se dérobent, il faut continuer d’avancer, accepter d’être aveugle, guidés par autre chose que la lumière. De l’extérieur, ça paraît fou. Mais c’est ce qu’on dit de tout ce qu’on ne contrôle pas.
Une grenade avait pété dans la tête de Lo Meo. A qui la faute, voilà le plus dur. Ils avaient dit qu’à ce stade même une rognure d’ongle aurait suffi, ses vaisseaux étaient devenus si petits, un rien pouvait faire barrage. Faire barrage. Couper la circulation. Route barrée, vies au caniveau. Un accident vasculaire cérébral comme un embouteillage en pleine campagne, l’horizon mangé par le dos rond des bagnoles […]
Une grenade, donc. Un minuscule débris, poussière qui flotte, dérive et, en quelques minutes, plus personne pour répondre. Lo Meo part de lui-même, s’échappe, se perd, et ne se retrouve plus. Tête sans lumière, corps de chiffon, passé gommé.
Sali s’approcha de Lo Meo. Il ne regardait rien. Elle contempla la peau brillante et les paupières bouffies, inspira bruyamment et expira, qu’est-ce que tu attends de moi ? Puis elle grimpa dans le lit qui a son tour soupira, siffla, gondola tant qu’elle n’eut pas trouvé sa position. Le dos catapulté par la barrière, elle se blottit au creux de son homme, la main sur son ventre, la tête sur son cœur ivre d’effort, et s’endormit enfin. Seule là était sa place.
Lo Meo articule en silence. Sa peau ne tient plus, il nage dans la colle et ne peut rien faire, il se voit être englouti, par quoi, il hurle à l’intérieur, qu’est-ce que j’ai ?
Et puis soudain, même ces mots ne veulent plus rien dire. Là-haut, la glaciation a commencé, elle gagne du terrain. Les vaisseaux se figent, la centrale se met en veille, comme si un abruti venait de se prendre les pieds dans le câble et d’arracher brutalement la prise.
Bartolomeo disait : "Il est dans la nature une poésie subtile, et flagrante, pourtant si peu ont la volonté de s'y plonger corps et âme. L'immobilité est perçue comme une perte de temps, ceux qui se pressent ont peur et ratent tout de la beauté du monde. Sous nos yeux, en permanence des chefs-d'oeuvres animés, des ballets de feuilles mortes, rouquines, sylphides, des nuages qui se déploient en éventail ; la vitesse tue tout ça."
"...il est une chose plus pénible encore que d'apprendre la mort d'un être aimé, c'est de l'attendre"
Sali, brisée tel un fétu de paille, face au lit où Lo Meo faisait le mort, tassée le cul glissant, la colonne vrillée, les épaules déboîtées à la recherche d’une position nouvelle pour veiller celui qui la quittait. Ou peut-être l’avait déjà quittée. Elle n’en savait rien et n’en saurait rien, jamais. Après tout, qu’est-ce qui restait, à part ce corps ? Elle guettait un signe, une réponse, quelque chose qui donne raison à son espoir. Elle butait contre ses yeux clos. Sortir se laver les cheveux revenait à jeter à la fosse toutes ces heures bâtardes passées à guetter la paupière qui tressaute, le doigt qui frémit dans sa main à elle, le cil qui s’envole et échoue, minable, sur la pommette ramollie de son mari.