En collaboration avec MAtv : #jelisbleuets 30 ans de reconnaissances :
Extrait d'émission présentant l'écrivaine Marjolaine Bouchard, récipiendaire de l'un des Prix littéraires du Salon du livre du SLSJ, et de Virginie Houle, ancienne gagnante du concours Jeunes auteurs, à vos crayons ! Cette émission rend hommage à leurs écrits.
Animation : Marie-Danielle Roy
Les femmes ne font pas la guerre, ma petite, mais elles en portent bien plus longtemps le fardeau que laissent les hommes.
Des coups de canon retentissent. Elle se dresse, les mains à la gorge, tétanisée, suffocante. Elle avale sa salive, en essayant de secouer sa torpeur. Les coups de canon continuent de résonner, faisant vibrer les fenêtres. Ils tonnent jusque dans son ventre. Les mains sur les oreilles, elle se souvient brusquement : c'est le 24 mai, l'anniversaire de la reine Victoria. Maudite soit cette reine qu'on fête dans un pays qui n'est pas le sien !
À l’école, Édouard était un élève docile, mais timide. Il avait de la mémoire et retenait bien les leçons. Mais la récréation le terrorisait. Le jugeant assez vieux pour créer ses propres liens d’amitié ou pour se défendre, monsieur Lapointe ne s’occupait plus de lui pendant les heures de jeux et passait la majeure partie du temps à prendre soin des petits pendant que les fillettes jouaient à la marelle ou à la balle au mur. Au lieu de s’amuser avec les garçons de son âge, Édouard préférait rester assis dans son coin. Chaque fois qu’un élève passait près de lui, les quolibets fusaient : « grosse vache, vieux flanc-mou, grande perche, Bœuf Assis… ».
Toutes ces histoires et ces éternelles rivalités avaient animé les conversations autour du feu, soir après soir. On évoquait encore l’arrivée des protestants de l’Ontario qui s’étaient installés progressivement pour envahir l’espace en maîtres des lieux, menaçant la liberté des Métis. Les maudits Anglais n’entendaient rien aux Métis ! Et puis, c’étaient des protestants, pas des catholiques ! Et ils avaient pris toute la place.
Quand on est enceinte, y a du manger qui nous répugne. C’est normal. Mais ce pemmican-là, c’est du bon. Ton père est allé le chercher spécialement pour toi, chez le vieux Taddé. Il fait une recette spéciale pour les femmes engrossées. C’est bon pour ton petit, aussi. Il a besoin de bonne viande.
Que n’était-il resté petit, enfant ! Pourquoi grandir si vite alors qu’on a le cœur à jouer, à rêver dans les herbes, à regarder passer les nuages, à aimer… Mais il était l’aîné d’une famille pauvre, il avait le devoir d’aider à apporter du pain sur la table.
T’as peut-être de l’avenir dans la chanson, aussi ! Si tu fais beaucoup de chemin, rappelle-toi : les chansons, ça rend la route plus belle.
Si Georgina part chez les Sœurs, elle perdra sa place à l’usine et ne pourra plus rapporter sa paye au foyer.
Donner son bébé en adoption, cette idée la chavire. Quelques mois auparavant encore, ses rêves étaient pourtant si simples : travailler aux allumettes jusqu’à son mariage, avoir des enfants qu’elle chérirait plus que
tout, en faire de bonnes âmes, des petits bien éduqués, à l’avenir prometteur. L’avenir… le sien s’embrouille.
Elle a le goût de tout laisser tomber, de se marier et de faire fructifier l’usufruit d’un autre fermier. Ce serait une solution bien plus facile que de s’épuiser sur la terre d’un frère ingrat. Il suffirait de trouver un bon parti, mais lequel ? Déjà, plusieurs jeunes hommes ont fait leur proposition : un ivrogne, un sans-génie, un pète-dans-le-trèfle et un laid à faire peur aux épouvantails.
Elle joue avec les vers, incapable de faire taire la voix qui vibre en elle, grillon égaré, cherchant à sortir des anciens réflexes : le corps contre l’âme, et l’âme contre le corps, pas question. Cette vieille dichotomie est si usée qu’on voit à travers comme à travers la camisole des pauvres, mon doux ; elle veut s’en délivrer.