Marlène Manuel

Je veux
livrer des faits bruts sans y mêler la moindre émotion… La vérité à l’état pur. Lorsqu’on
s’expose à la curiosité du lecteur, on ne peut pas être tout à fait neutre.

Elle voulait être le plus fidèle possible.
Pour se faire pardonner, il lui fallait rédiger un article dont le romancier ne pourrait
pas dénoncer les termes. Il devrait s’y reconnaître d’un bout à l’autre pour accepter
la trahison de sa petite visiteuse. Elle savait que cet article serait une demande
implicite de pardon mais que Serge Mathusier ne pardonnerait pas.

Et malgré cela, elle allait l’écrire.

Je n’ai jamais rencontré un vrai romancier, alors, forcément, je me pose des tas
de questions. Mais si vous ne voulez pas me répondre, dites-moi que cela ne me regarde
pas, je n’en serai pas vexée. J’ai la manie de questionner les gens sur tout, c’est
plus fort que moi !

Son visage était dénué
de ces rides d’expression qui en font l’histoire, comme si elle n’avait jamais ri
ni pleuré au cours de son existence. Instinctivement, Marie éprouva pour la gouvernante
de Serge Mathusier une antipathie inexplicable.

Ce n’est pas le prix qui est embêtant, chère demoiselle. C’est toute la machine commerciale
qui est autour. Ces vautours qui s’emparent non seulement de l’œuvre, mais encore
de la vie de l’écrivain. Pourquoi devrait-on jeter en pâture ses doutes et ses espoirs
? Le livre dit tout. À eux de savoir le lire !

Le charme étrange de ces longues étendues rocheuses s’alliait avec leur
solitude pour en faire un lieu hors du monde. Il régnait ici une paix profonde qui
tranchait avec l’activité du port, pourtant tout proche. Il y a des jours, des lieux,
où l’hiver a quelque chose de très pur. Elle aimait les éblouissants matins d’été
de la Côte d’Azur, mais la rigueur de l’hiver, en dépouillant la nature de tout artifice,
permettait mieux, sans doute, d’en saisir toute la beauté.

Si le romancier cherchait ici le bonheur de la solitude ou celui de la création, il
ne devait guère être dérangé ! Peu de voitures circulaient en ce jour de novembre.
Il planait sur cet endroit un silence d’une exceptionnelle qualité. Quel contraste
avec l’agitation parisienne !

Comme à Paris, le temps était merveilleusement sec et beau en ce début d’après-midi.
C’était un vrai plaisir de parcourir sans se presser ce bout de terre inconnue où
voisinaient des villages endormis, des champs en sommeil et de larges étendues d’eau
somnolentes.

Sa peau mate et ses yeux sombres
lui donnaient un charme ombrageux, mais la bouche généreuse, qui contrastait singulièrement
avec l’éclair froid du regard, disait assez l’ambiguïté du personnage. La courte biographie
insérée sous la photographie ne contenait que des détails d’ordre chronologique, cette
absence d’information s’expliquant, précisait l’éditeur, par le goût immodéré du secret
que cultivait le romancier.



 

Ces femmes enfants l’amusaient à cause du mystère
insondable de leur comportement. Se battre pour exister quand il était si simple de
se laisser aimer!

On naît journaliste,
on ne le devient pas.

Il en avait fait un quotidien reconnu dont
le point de vue comptait dans le paysage politique, parce qu’il le dirigeait d’une
main ferme, insensible aux pressions inévitables dont est l’objet celui qui détient
et diffuse l’information. À cause de cette réputation, tous les jeunes journalistes
sortant de l’école rêvaient de faire leurs classes chez lui. Dans le métier, il personnifiait
l’indépendance, l’exigence et la rigueur.

Marc Grégoire, la soixantaine bien sonnée, régnait sur
ce capharnaüm avec un calme olympien. D’emblée, on était frappé par la vivacité acérée
de son regard bleu et sa blanche moustache de roi franc qu’il soignait à la manière
d’Hercule Poirot, le fameux héros d’Agatha Christie. Sa silhouette n’était pas sans
évoquer, d’ailleurs, celle du comédien Peter Ustinov, l’une des plus célèbres incarnations
du détective.