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Citation de Partemps


Le marquis parle de ses malheurs, du mémoire qu’il a rédigé pour sa défense dans l’affaire de Marseille, et dit ce qu’il attend du voyage de sa femme à Paris. (Sans date).

Vous ne blâmerez pas, j’espère, mon cher monsieur, le conseil que j’ai donné à madame de partir pour Paris. J’imagine que dans les circonstances présentes vous jugerez comme moi sa présence nécessaire à la capitale. Vous voyez que son procureur l’y engage vivement, la réussite prompte des affaires l’exige. Comment poursuivre sans cela ? Vous voyez quelles longueurs ! En quatre mois nous ne savons pas encore seulement si la dame de Montreuil est assignée. Ma situation ne permet pas de tels délais, et il est temps que cette affaire se finisse décidément et d’une façon ou d’une autre. Dieu veuille que se munissant d’un peu plus de courage ce voyage-ci ne soit pas aussi infructueux que l’autre……

Convenez avec nous, monsieur, que la manie de madame de Montreuil de ne rien vouloir terminer est bien extraordinaire. Car enfin que gagne-t-elle à cela ? Perpétuer le déshonneur de cette malheureuse affaire, celui de sa fille et de ses petits-enfants, mettre un épouvantable désordre dans les biens et me faire mener, à moi, la vie la plus triste et la plus malheureuse, car vous croyez bien qu’on n’est jamais bien agréablement dans un pays, quand on est obligé de s’y cacher sans cesse et d’y jouer toutes sortes de rôles pour n’y être pas reconnu. Je vous assure que c’est un genre de supplice qui m’était inconnu, mais que je trouve bien dur et bien désagréable. Encore si l’on entrevoyait une fin à tout cela, mais qui peut la prévoir ? Je regarde la publicité de mon mémoire, quoi qu’en dise monsieur l’abbé, comme une chose essentielle, surtout à Paris dans la famille de madame, car enfin on a beau dire que je m’y fais passer pour plus coupable que l’on ne me croyait ; si cela est, je ne m’en rends que plus véridique et plus intéressant. Mais il me semble que le genre même de faute dont je conviens n’est nullement grave ni fait pour me faire condamner. Punit-on les pensées ? Dieu seul en a le droit parce que lui seul les connaît, mais les lois n’y peuvent rien, surtout lorsque (comme celle dont je conviens dans mon mémoire) elles sont à l’instant regrettées. D’ailleurs il n’y est pas même dit que je l’eus jamais, cette pensée. Il est dit que l’on me donna un mauvais conseil que je ne rejetai pas, mais que je n’adoptai jamais, et l’histoire des cantharides données pour simuler ce que l’on me conseillait, ne me paraît nullement, comme prétend monsieur l’abbé, être un crime si grand. Le parlement au moins ne l’a pas jugé tel. Car, si vous avez eu la procédure, une fois reconnu que ce n’a été que des cantharides, le fait n’est plus entré pour rien dans le jugement ; le désistement des filles le prouve au moins.

De grâce, enhardissez bien madame, donnez-lui de bons conseils, et qu’elle fasse l’impossible pour terminer tout dans les quatre mois que je lui donne encore pour cela. Mais, au nom de Dieu, qu’elle s’arrange pour ne me plus faire mener la vie errante et vagabonde que je mène ! Je sens que je ne suis pas fait pour un aventurier et la nécessité dans laquelle je suis d’en jouer le rôle est un des plus grands supplices de ma situation. Adieu, mon cher monsieur ; n’ayant plus le canal de madame, il est vraisemblable que je ne pourrai plus vous donner des nouvelles de ma situation, au moins jusqu’à son retour. De grâce, ayez bien soin de tout. Conservez-moi un peu d’amitié et croyez-moi pour la vie votre très humble et très obéissant serviteur.

Sade.
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