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Citation de Partemps


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Les Mœurs.


Après avoir démontré que le théïsme ne convient nullement à un gouvernement républicain, il me paroît nécessaire de prouver que les mœurs françaises ne lui conviennent pas davantage. Cet article est d’autant plus essentiel, que ce sont les mœurs qui vont servir de motifs aux lois qu’on va promulguer.

Français vous êtes trop éclairés pour ne pas sentir qu’un nouveau gouvernement va nécessiter de nouvelles mœurs, il est impossible que le citoyen d’un état libre se conduise comme l’esclave d’un roi despote, ces différences de leurs intérêts, de leurs devoirs, de leurs relations entr’eux, déterminent essentiellement une manière toute autre de se comporter dans le monde ; une foule de petites erreurs de petits délits sociaux considérés comme très-essentiels sous le gouvernement des rois, qui devoient exiger d’autant plus, qu’ils avoient plus besoin d’imposer des freins pour se rendre respectables ou inabordables à leurs sujets, vont devenir nuls ici ; d’autres forfaits connus sous les noms de régicide et de sacrilège, sous un gouvernement qui ne connoît plus ni rois ni religion, doivent s’anéantir de même dans un état républicain. En accordant la liberté de conscience et celle de la presse, songez citoyens, qu’à bien peu de chose près, on doit accorder celle d’agir, et qu’excepté ce qui choque directement les bases du gouvernement, il vous reste on ne sauroit moins de crimes à punir, parceque dans le fait, il est fort peu d’actions criminelles dans une société dont la liberté et l’égalité ſont les bases, et qu’à bien peser et bien examiner les choses, il n’y a vraiment de criminel que ce que réprouve la loi, car la nature nous dictant également des vices et des vertus, en raison de notre organisation, ou plus philosophiquement encore en raison du besoin qu’elle a de l’un ou de l’autre, ce qu’elle nous inspire deviendroit une mesure très-incertaine pour régler avec précision ce qui est bien ou ce qui est mal. Mais pour mieux développer mes idées sur un objet aussi essentiel, nous allons classer les différentes actions de la vie l’homme, que l’on étoit convenus jusqu’à présent de nommer criminelles, et nous les toiserons ensuite aux vrais devoirs d’un républicain.

On a considéré de tous temps les devoirs de l’homme sous les trois différens rapports suivans.

1° Ceux que sa conscience et sa crédulité lui impose envers l’être suprême ;

2° Ceux qu’il est obligé de remplir avec ses freres.

3° Enfin ceux qui n’ont de relation qu’avec lui.

La certitude où nous devons être qu’aucun dieu ne s’est mêlé de nous, et que, créatures nécessitées de la nature comme les plantes et les animaux, nous sommes ici parcequ’il étoit impossible que nous n’y fussions pas, cette certitude sans-doute anéantit comme on le voit tout d’un coup la première partie de ces devoirs, je veux dire ceux dont nous nous croyons faussement responsables envers la divinité ; avec eux disparoissent tous les délits religieux, tous ceux connus sous les noms vagues et indéfinis d’impiété, de sacrilège de blasphême, d’athéïsme etc. tous ceux en un mot qu’Athènes punit avec tant d’injustice dans Alcibiade, et la France dans l’infortuné Labarre. S’il y a quelque chose d’extravagant dans le monde, c’est de voir des hommes qui ne connoissent leur Dieu et ce que peut exiger ce Dieu, que d’après leurs idées bornées ; vouloir néanmoins décider sur la nature de ce qui contente ou de ce qui fâche ce ridicule fantôme de leur imagination, ce ne seroit donc point à permettre indifféremment tous les cultes que je voudrois qu’on se bornât, je desirerois qu’il fût libre de se rire et de se moquer de tous, que des hommes réunis dans un temple quelconque pour invoquer l’éternel à leur guise, fussent vus comme des comédiens sur un théatre ; au jeu desquels il est permis à chacun d’aller rire ; si vous ne voyez pas les religions sous ce rapport, elles reprendront le sérieux qui les rend importantes, elles protégeront bientôt les opinions, et l’on ne se sera pas plutôt disputé sur les religions, que l’on se rebattra pour les religions[5] ; l’égalité détruite par la préférence ou la protection accordée à l’une d’elles disparoitra bientôt du gouvernement, et de la théocratie réédifiée, renaîtra bientôt l’aristocratie. Je ne saurois donc trop le répéter, plus de Dieux, français plus de Dieux, si vous ne voulez pas que leur funeste empire vous replonge bientôt dans toutes les horreurs du despotisme, mais ce n’est qu’en vous en moquant que vous les détruirez, tous les dangers qu’ils traînent à leur suite renaîtront aussi-tôt en foule, si vous y mettez de l’humeur ou de l’importance. Ne renversez point leurs idoles en colère, pulvérisez-les en jouant, et l’opinion tombera d’elle-même.

En voilà suffisamment, je l’espere, pour démontrer qu’il ne doit être promulgué aucune loi contre les délits religieux, parce que qui offense une chimere n’offense rien, et qu’il seroit de la dernière inconséquence de punir ceux qui outragent ou qui méprisent un culte dont rien ne vous démontre avec évidence la priorité sur les autres ; ce seroit nécessairement adopter un parti, et influencer dès-lors la balance de l’égalité, première loi de votre nouveau gouvernement.

Passons aux seconds devoirs de l’homme, ceux qui le lient avec ses semblables ; cette classe est la plus étendue sans doute. La morale chrétienne trop vague sur les rapports de l’homme avec ses semblables, pose des bases si pleines de sophismes, qu’il nous est impossible de les admettre ; parce que, lorsqu’on veut édifier des principes, il faut bien se garder de leur donner des sophismes pour bases. Elle nous dit, cette absurde morale, d’aimer notre prochain comme nous-même ; rien ne seroit assurément plus sublime, s’il étoit possible que ce qui est faux, pût jamais porter les caractères de la beauté ; il ne s’agit pas d’aimer ses semblables comme soi-même, puisque cela est contre toutes les loix de la nature, et que son seul organe doit diriger toutes les actions de notre vie ; il n’est question que d’aimer nos semblables comme des frères, comme des amis que le nature nous donne, et avec lesquels nous devons vivre d’autant mieux dans un état républicain, que la disparution des distances doit nécessairement resserrer les liens.

Que l’humanité, la fraternité, la bienfaisance cous prescrivent d’après cela nos devoirs réciproques, et remplissons-les individuellement dans le simple degré d’énergie que nous a sur ce point donné la nature, sans blâmer et surtout sans punir ceux qui, plus froids on plus attrabilaires, n’éprouvent pas dans ces liens néanmoins si touchans toutes les douceurs que d’autres y rencontrent ; car on en conviendra, ce seroit ici une absurdité palpable que de vouloir proscrire des loix universelles ; ce procédé seroit aussi ridicule que celui d’un général d’armée qui voudroit que tous ses soldats fussent vêtus d’un habit fait sur la même mesure ; c’est une injustice effrayante que d’exiger que des hommes de caractères inégaux se plient à des loix égales ; ce qui va à l’un ne va point à l’autre, je conviens que l’on ne peut pas faire autant de loix qu’il y a d’hommes ; mais les loix peuvent être si douces, en si petit nombre, que tous les hommes de quelque caractère qu’ils soient, puissent facilement s’y plier, encore exigerois-je que ce petit nombre de loix fût d’espèce à pouvoir s’adapter facilement à tous les différens caractères ; l’esprit de celui qui la dirigeroit, seroit de frapper plus ou moins, en raison de l’individu qu’il faudroit atteindre ; il est démontré qu’il y a telle vertu dont la pratique est impossible à certains hommes, comme il y a tel remède qui ne sauroit convenir à tel tempérament : or quel sera le comble de votre injustice, si vous frappez de la loi celui auquel il est impossible de se plier à la loi ; l’iniquité que vous commettriez en cela, ce seroit-elle pas égale à celle dont vous vous rendriez coupable, si vous vouliez forcer un aveugle à discerner les couleurs ? de ces premiers principes, il découle, on le sent, la nécessité de faire des loix douces, et sur-tout d’anéantir pour jamais l’atrocité de la peine de mort, parce que la loi qui attente à la vie d’un homme, est impraticable, injuste, inadmissible ; ce n’est pas, ainsi que je le dirai tout-à-l’heure, qu’il n’y ait une infinité de cas où, sans outrager la nature (et c’est ce que je démontrerai), les hommes n’aient reçu de cette mère commune l’entière liberté d’attenter à la vie les uns des autres, mais c’est qu’il est impossible que la loi puisse obtenir le même privilège, parce que la loi froide par elle-même ne sauroit être accessible aux passions qui peuvent légitimer dans l’homme la cruelle action du meurtre ; l’homme reçoit de la nature les impressions qui peuvent lui faire pardonner cette action, et la loi au contraire toujours en opposition à la nature, et ne recevant rien d’elle, ne peut être autorisée à se permettre les mêmes ècarts ; n’ayant pas les mêmes motifs, il est impossible qu’elle ait les mêmes droits, voilà de ces distinctions savantes et délicates qui échappent à beaucoup de gens, parce que fort peu de gens réfléchissent ; mais elles seront accueillies des gens instruits à qui je les adresse, et elles influeront, je l’espère, sur le nouveau code que l’on nous prépare.
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