Citations de Maryline Vinet (12)
Plus je posais des questions, plus les réponses m’écœuraient. Comment admettre que le médecin qui avait eu connaissance des attouchements sur les enfants ait refusé de le signaler sous prétexte "que ce n'était pas son problème" ? Pourquoi l'assesseur du juge pour enfants, informé lui aussi, a-t-il eu la même attitude ? Émile Louis lui a pourtant déclaré textuellement : "J'ai des pulsions, des fois je deviens violent, je ne peux plus me maîtriser. Je n'ai pas le courage d'aller me faire soigner." En conséquence, l'assesseur s'est contenté d'accompagner personnellement Émile...chez un psy ! On a peine à le croire.
Je n'ai rien osé dire à ma mère, d'abord parce que je n'ai pas trouvé les mots pour exprimer ce qui s'était passé, mais aussi parce que j'étais en proie à ces sentiments obscurs et destructeurs qui envahissent les victimes d'un viol : la honte et la culpabilité.
L'affaire des disparues de l'Yonne a eu au moins une conséquence positive : un éclairage nouveau sur les institutions et les personnes chargées des jeunes en difficulté. Une amélioration à mettre au bénéfice de Pierre Monnoir, dirigeant de l'Association de défense des handicapés de l'Yonne (ADHY). Car ce qui a été découvert est honteux. L'Inspection générale des affaires sociales (Igas) a été contrainte de pêcher en eaux troubles. On a appris que le mari de la directrice de l'établissement d'accueil qui avait témoigné en faveur d'Émile, cofondateur de l'Apajh-Yonne (Association pour adultes et jeunes handicapés), avait écopé, en 1992, de six ans de prison ferme pour "attentat à la pudeur sur personne vulnérable par personne ayant l'autorité". Le rapport de l'Igas, établi en juillet 1993, a souligné, lui, l'"incompétence" de la directrice et son "comportement très libre, à la limite de la légèreté des mœurs" au sein de son établissement.
(...) les mots restent des armes dérisoires, sans portée aucune, à partir du moment où l'on a en face de soi des gens qui ne comprennent pas, ou ne veulent pas faire l'effort de comprendre.
J'écris ce livre pour expliquer comment un être humain - parce que Émile Louis, mon père, en est un, qu'on le veuille ou non - brise d'autres êtres humains et les réduit en esclavage mental et moral. Il n'y a pas de prédestination au malheur. Il y a seulement des prédateurs et des proies.
J'avais fait à ma mère le serment de me taire. Il ne fallait pas que ça "sorte de la famille". Combien de fois ai-je entendu ces mots, ce venin ? Ce n'était pas une vraie promesse, elle n'aurait pas dû être tenue. Il n'y a ni honneur ni respect qui tiennent dans cette abominable histoire.
Je sais, moi, que toute cette violence a existé. Je sais ce dont mon père est capable depuis toujours. Il m'a battue, il m'a violée, à différentes périodes de ma vie. La première fois, j'avais cinq ans. J'en ai aujourd'hui quarante-six. Il m'a humiliée, droguée, séquestrée, vendue comme un animal. Je n'ai pas été la seule à subir ces abus. Il a torturé ma mère, il l'a détruite. il a commis sous mes yeux des choses si montreuses que l'idée même de les rappeler à ma mémoire pour les dévoiler dans ces pages est effroyable. Je ne savais pas tout, mais j'en savais beaucoup. Et je me suis tue pendant plus de quarante ans.
Il faudra un jour qu'on cesse de dire que ces monstruosités ont "toujours existé" - l'inceste, le viol, la pédophilie, les actes de barbarie, la torture.... - et de les banaliser. Si ce n'est les justifier. Ces grandes déclarations historico-sociologico-philosophiques participent d'une anesthésie générale criminelle. La civilisation, c'est le triomphe contre la sauvagerie.
Je ne rentre jamais très tard. J'allume les lumières dès que je suis à la maison. J'ouvre les placards et je fouille partout. Je redoute qu'on se soit glissé dans ma chambre. Qui ? Je ne sais pas... C'est puéril, irraisonné, mais c'est comme ça, j'ai peur. Peur de me retrouver face à un démon. Parce que les démons existent. Je le sais. Il y en avait un à la maison quand j'étais gosse.C'était mon père.
Ce gendarme [Jambert] qui était intimement persuadé de la culpabilité d'Émile est mort sans avoir pu désigner son suspect numéro un au juge d'instruction, ni exprimer les doutes qu'il avait sur un éventuel "réseau".
Car il n'y a pas qu'Émile Louis, dans ce marigot écœurant des abus en tout genre sur des faibles de corps ou d'esprit. Le monstre d'Appoigny, qui vendait la possibilité de torturer une fille attachée sur une croix, avait des clients. Des clients répertoriés, sans doute, dans un petit carnet...qui a disparu pendant l'instruction !
Immédiatement, les gardiens ont tressé des lauriers à mon père, "prisonnier modèle, le seul à ne pas prendre de médicaments le soir pour dormir". Très rassurant de savoir qu'un pervers sexuel criminel dort du sommeil du juste ! On m'a annoncé qu'ici Émile était chauffeur. Tout seul, au volant d'une camionnette, il transportait le linge à Ajaccio et à la prison de Bastia. Il lui fallait une bonne journée. En vadrouille ! Un malade qui a été condamné pour le viol de deux enfants !
Et il est redevenu chauffeur de bus scolaire ! Si étonnant que cela puisse paraître, on peut violer des enfants, faire de la prison, un peu de liberté surveillée, et retrouver un emploi où l'on est de nouveau en contact avec des gamins. C'est hallucinant, mais c'est ainsi.