Je dévisse le bouchon de la bouteille, qui émet un grincement sinistre, et renifle le goulot. Ça pue la mort. Une odeur de noix pourrie rehaussée de relents d’humus tiède m’agresse les naseaux. Sam approche son nez et fait la grimace. Ma curiosité est plus forte que ma répugnance. « Tout le monde le fait, alors je dois le faire aussi », me dis-je. Je remplis les verres à ras bord. On trinque et on boit cul sec.
Dégueulasse… L’impression d’avoir avalé un truc fait pour tout sauf pour la consommation humaine. Des frissons me remontent l’échine. Une sensation de brûlure dans la bouche et la gorge précède une bouffée de chaleur dans la tête. Fier de moi, je tape dans la main de Sam, à la manière des basketteurs américains.
« On va se boucher le nez pendant qu’on avale, dis-je à Sam. Comme ça, on sentira moins le goût ! » Nez bouchés, la deuxième tournée passe beaucoup mieux, mais l’arrière-goût ne disparaît qu’après de longues minutes. Il fait chaud, même pour un mois de juin. J’ouvre la fenêtre. Les étoiles commencent à apparaître. Sam et moi devisons longuement en regardant la lune. Mes réflexions me semblent dignes d’un Prix Nobel.
« En fait, la lune, c’est comme une boule de feu éteinte, dis-je à Sam.
– Ouais, ou une bille d’argent qui tourne autour d’une plus grosse bille de saphir, qui elle-même tourne autour d’une immense bille d’or en fusion. »
Comment enfiler une capote sans érection ? Elle entreprend d’allumer mon feu en me caressant doucement l’intimité. Tous mes muscles se pétrifient. Une crampe me perfore la cuisse droite.
« Détends-toi Mathias », m’intime-t-elle.
Plus facile à dire qu’à faire. À cet instant précis, je déteste mon pénis. Toutes ces fois où j’ai bandé sans en avoir besoin, toutes ces bosses que j’ai dû dissimuler sous un coussin ou en croisant les jambes, et là, rien.
C’est indéniable, un kot facilite la vie sexuelle. Avoir son chez-soi, son indépendance, et ne pas craindre d’être surpris par ses parents, ça aide. D’où l’expression : « Qui kote kette. » La call-girl m’avait débloqué, certes, mais j’ai mis quelques semaines avant d’enclencher la vitesse supérieure. Il y eut d’abord des ratés.
Si la picole était un sport, et que ce sport était la boxe, Martin aurait été notre Mike Tison. Un ouragan titanesque qui balayait tout sur son passage, en bouffant quelques oreilles en prime.
« J’ai bu deux litres de Coca hier soir. J’ai été malade. » Faute à moitié avouée, totalement pardonnée.
La bouteille se vide dans la quatrième tournée. Ça y est, nous sommes devenus des hommes.
L’haleine d’anis, c’est le camouflage du buveur intelligent. Ça sent le frais, le propre.