Octobre 2017 : l?affaire Weinstein explose et avec elle naît le mouvement MeToo . Quelques semaines plus tard, à la suite d?un enterrement, Mathieu Deslandes apprend un secret de famille : son grand-père était né d?un viol. Zineb Dryef travaille alors à un documentaire sur la « zone grise » entre consentement et viol. Elle et Mathieu sont en couple. Leur dialogue le conduit à s?interroger sur son histoire familiale, tue pendant presque cent ans.
Car à Sougy, le village de la Beauce d?où sa famille est originaire, lorsque son grand-père naît au printemps 1923, on ne dénombre pas un, mais trois enfants nés hors mariage, pour quatre grossesses? Neuf mois précisément après le bal annuel, en août 1922. Ce soir-là, toute la jeunesse locale avait dansé. Et les garçons s?étaient mis en tête d?aller plus loin, chacun entraînant une fille dans les chemins alentours. Or d?après la vieille dame qui raconte l?histoire à Mathieu, les filles n?étaient pas consentantes.
Mois après mois, Mathieu Deslandes mène l?enquête, questionne, remue les souvenirs et les archives pour comprendre ce qui s?est vraiment passé. Il raconte un village, ses silences, une France qui paraît lointaine et qui a pourtant mis longtemps à évoluer. Il dit les résonnances de l?événement, génération après génération. Son enquête est nourrie du regard de Zineb, de leurs discussions. Elle-même y trouve un écho avec sa propre histoire.
Dans ce texte original mêlant les genres et les voix sur les traces d?une mémoire oubliée, Mathieu Deslandes et Zineb Dryef montrent que le consentement, loin d?être un problème nouveau, est une question dont l?histoire reste à écrire. Ils élaborent un récit de ce qui n'a pas été dit, comme une libération rétrospective de la parole : un projet nécessaire et une excellente autopsie de la culture du viol. Combien de jeunes filles, un soir de fête, ont subi le même sort que celles de Sougy ? et n?en ont jamais parlé ?...
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Je savais depuis longtemps que mon grand-père était un enfant naturel. Cela arrive dans des tas de familles, mais je m'étais fait un film, je pensais que mon arrière grand-mère était une femme hyper libérée pour son époque dans les années 20. Je pensais qu'elle avait décidé de coucher avec son amoureux car j'avais des références contemporaines.
´ Dans la famille , on ne parlait pas ´ . C’est la phrase la plus entendue au cours de cette enquête .Et sur tous les tons .Tantôt cri du cœur , tantôt regret , tantôt explication .
Variante dans les foyers où on couvrait le silence d’une logorrhée creuse ou de paroles inoffensives : ´ On ne disait rien ´ . Et pourtant , des bribes d’histoire ont traversé le siècle . Un tel miracle est rendu possible , m’a - t - on expliqué , parce que ´ dans les petits villages ´ tout se sait . On ne dit rien mais tout se sait ...il faut faire avec ce paradoxe .
A la fin du mois d'août, comme tous les ans, Olga repense au bal de Sougy. Elle y est obligée, c'est la veille de son anniversaire... Ni sa nuit de noces ni celles qui ont suivi n'ont effacé ce qu'elle a vécu cette nuit-là.
Vingt-cinq ans après, quand Simone a entendu une de ses filles dont le ventre s'arrondissait lui dire qu'il n'y avait pas de père, elle s'est empressée de lui en vouloir. Ce n'est pas faute de l'avoir prévenue.
J'avais pourtant résolu de ne pas juger les protagonistes de cette affaire. J'avais tenté de les comprendre. J'avais pourtant essayé de me mettre à leur place tout en sachant bien que c'était impossible. Mais si je redoutais des réactions négatives, c'est que je restais empêtré dans les valeurs, les normes, les perceptions, la morale de mon époque.
Cette nuit-là, contre le tronc du grand saule pleureur, à l’entrée de la grange du père Fallou, dans un fourré où s’est terminée une cavalcade ambiguë, derrière le lavoir, sur des bottes de paille qui sentent le soleil, dans le chemin des marais, dans l’appentis de Bonnamy, il y a de la gêne, il y a de la joie, il y a de la sidération, il y a de l’effroi. Mais dans l’ensemble, on fait les gestes qu’on a toujours vus faire dans les étables, les écuries et les chambres à coucher. Des corps agrippent d’autres corps. Des muscles se tendent, d’autres se relâchent. Des sexes pistonnent d’autres sexes. Des râles sont émis, des fluides sont échangés. Bientôt, les jeunes mâles se reboutonnent et convergent, rigolards et triomphants, vers la place de l’église. Si ce détail était moins cinématographique, j’oserais préciser qu’à ce moment le tonnerre éclate.
Non pas qu'ils regrettent quoi que ce soit. Ils n'ont rien fait de mal. Ils n'ont fait qu'obéir aux lois de la nature. Ils n'éprouvent aucune once de culpabilité à la pensée des filles de l'été dernier. Mais à l'idée de recommencer , un je-ne-sais-quoi les gène.
Les auteurs de l'expédition nocturne en entendant s'agiter les commères traqueuses de géniteurs fantômes, ont tout fait de chambrer deux d'entre eux Voilà qu'ils s'inclinent devant la richesse de leur semence, les félicitent pour cette paternité imminente, se proposent même comme parains pour leurs futurs rejetons. Ils plaisantant sans se cacher. Evidemment on les entend. On se souvient de leurs récits enivres. Et pour fini, les deux bruits se rencontrent. Mieux: ils correspondent. Les paroles des garçons et la situation des filles s'emboîtent si parfaitement que pour tout le village, ce jour-là, une vérité s'impose.
Grâce à toi, je sais que la vie est précaire,et que la gravité tue. J´ai passé mon enfance à éviter de grimper aux arbres (ma mère avait assez pleuré comme ça) et à boire d´affolantes quantité de lait pour fortifier mes os. J´aurais voulu être un airbag. A vélo, j´évitais de faire la course. A la piscine,mon corps refusait de plonger. Gandhi de l´école, je fuyais les bastons. Ni foot ni rugby, trop risqué. Resultat: je ne me suis jamais rien cassé.
J'ai fini par comprendre que si ma grand-tante trouvait toujours de nouveaux éléments à me raconter, c est parce que cette histoire la travaillait . Elke ne s'était jamais contentée de transmettre des souvenirs ou de livrer des pièces essentielles au puzzle qui m' occupait. Interroger cette mémoire, c'était aussi pour elle l'occasion de relire son propre parcours, sa vie de couple, le sort des femmes de sa génération.