Mélanie Carpentier (Université de Montréal), période de questions
Colloque "Amoureuses figures" organisé par la revue Post-Scriptum le jeudi 1er mai 2014, Département de littérature comparée, Université de Montréal.
Le complexe d’Œdipe était à la base de mon comportement. Je recherchais à travers les hommes que je fréquentais l’inaccessibilité de mon père. Comme je l’idéalisais encore à cette époque, il m’était impossible d’établir le lien entre ce problème et les choix que je devais faire pour moi. Et comme mon paternel avait eu des tendances délinquantes pendant sa jeunesse, il m’est facile de faire le rapprochement entre lui et moi. Et ce pattern me guettera à chaque tournant de ma vie, car je tentais de combler le grand vide qui m’habitait… ce perpétuel sentiment de n’avoir pas obtenu assez d’attention dans mon enfance.
Chaque gang, mes amies, les ex en prison, tous étaient liés par l’obligation de se taire parce qu’on en sait trop sur eux… eux aussi… C’est la loi du silence dans cette jungle invisible de la petite criminalité, constituée presque uniquement de délinquants polycriminalisés, de danseuses et de prostitué(e) s. Alors, il me semblait presque normal de me dévêtir pour gagner de l’argent. J’étais débrouillarde et fonceuse ; je passais entre les mailles de tous les filets. Sur un stage ou ailleurs, l’important, c’est de me tenir debout pis de payer mes bills…
On dit que notre naissance représente la vie que nous aurons. C’est vraiment à ça que ma vie a ressemblé ! Mais heureusement, après la tempête vient toujours le beau temps.
À cette époque, ma vie se résumait à mes exploits sexuels. Tout pour être désirable, tout pour me faire aimer. On me décrivait comme une vraie bombe sexuelle et j’en éprouvais une certaine fierté. Après tout, est-ce que ce n’est pas à ça que sert une fille : aire jouir les hommes au détriment de ses propres besoins ?…
Je me sentais belle et désirée comme dans les contes de fées. Je reprenais les stéréotypes de ces histoires tant entendues de mon enfance, prête à tomber en admiration devant le prince charmant qui allait me faire monter sur son grand cheval blanc. Je croyais alors que mon héros était ce genre de leader qui mène les gangs, qui réussit à s’imposer envers et contre tous. Le sentiment de sécurité, l’amour et le pouvoir de posséder ont formé le cocktail d’admission. Mon rêve d’avoir une vie facile, où je n’aurais qu’à lever le petit doigt pour avoir tout ce que je voulais s’est transformé en cauchemar.
La valeur des objets a pris plus de place dans ma vie que la valeur des personnes. C’est un principe qui caractérise ma famille depuis longtemps, selon lequel posséder certains biens de consommation nous définit. La nouvelle robe, le gadget qui vient de sortir, les nouveaux meubles, les folies qui font grimper le compte de la carte de crédit. Remplir la maison et les armoires, c’est une manière de combler le vide, c’est l’absence de communication, c’est mettre un peu de couleur dans la routine ennuyante.
Oublions l’amour, car ici, il n’y a rien de romantique dans ce genre d’endroit. C’est un commerce. On avait mal et on ne comprenait pas tout à fait ce qui se passait en nous. On a pleuré ensemble en se serrant dans les bras. Je me sentais rabaissée, alors que je cherchais à tout prix à me prouver que j’avais une valeur. C’est un vertige terrible que ce frisson intérieur que tu ressens quand tu viens de vendre la seule chose que tu possèdes uniquement pour toi-même, ce bien précieux : ton intégrité.
l est prouvé que les jeunes filles qui sont les plus susceptibles d’avoir des comportements hypersexualisés sont celles qui ont une faible estime d’elles-mêmes et bien souvent qui ont été victimes d’une quelconque forme d’agression sexuelle. Elles sont donc plus vulnérables à une formation identitaire centrée sur l’image et issue de l’acquisition d’un savoir-faire sexuel précoce dans un cadre de rapport homme-femme.
L’argent et l’accessibilité au confort matériel me séduisaient, car je sortais d’un milieu confortable, sans plus, mais justement parce que tous les échanges familiaux étaient basés sur le matérialisme, nous n’entretenions pas une relation saine avec l’argent. Je désirais tout avoir : une belle vie, de beaux vêtements, les moyens de mettre en valeur mon physique, mais surtout je voulais de l’attention.
Pour me protéger des méchancetés du monde et de l’exclusion auxquelles je dois affronter, je me suis enfermée dans une carapace ultra épaisse, comme un manteau à plusieurs épaisseurs. Et chaque couche s’adapte comme une armure à chaque situation difficile. Je ne pleure plus, je n’ai plus honte, je m’endurcis et je deviens insensible comme la pierre.