Entretien avec Mélissa Perron
—Vous allez mieux?
— Un peu, oui.
— Bien. Ça ressemble à une crise de panique. Ça vous arrive souvent ?
J’esquissai un sourire avant d’éclater en sanglots.
— Oui, je meurs un peu comme ça chaque jour.
(Hurtubise, p.13)
J’avais ce lion en moi qui voulait sortir de mon sternum et saccager la pièce au complet : arracher les rideaux, pousser les lits roulants, faire des graffitis noirs sur ces murs beiges. J’aurais voulu avoir une masse pour défoncer la pièce, j’aurais voulu hurler jusqu’à ce que mes poumons se vident, jusqu’à ne plus pouvoir me relever.
On me rappelait aussi souvent que j’avais de la chance d’être à l’aise financièrement. Je ne comprenais pas le lien qui unissait le bonheur d’être matériellement comblée à celui d’être bien dans sa peau. J’étais devenue mal dans la mienne sans avoir une raison tangible de l’être et j’avais désormais envie de disparaître.
— Tu rêves en couleur… Ton père est parti parce qu’il a été incapable de faire face à ses difficultés. De toute façon, il ne voulait jamais parler de ce qui le tracassait. Une vraie huître. Une vraie huître vide.
Je la regardais et je ne comprenais pas pourquoi elle était si sévère dans ses propos. C’était moi qui étais censée être une Martienne et c’est elle qui semblait sortir tout droit d’une autre galaxie avec son regard vide et ses jugements. Ses doigts tambourinaient sur la table.
Je n’avais plus rien d’attirant ou d’excitant pour lui. Je le voyais déjà en train de déployer toutes ses énergies pour que les miennes reviennent, et je me sentais coupable. Je ne savais même plus qui j’étais, ce que je souhaitais, ni comment faire pour continuer à passer à travers mes journées. Dans ces conditions, comment pouvais-je être une bonne amoureuse ?
Je regardais par la fenêtre. Les voitures ressemblaient à des jouets qu’on fait rouler sur une piste. Et si ce n’était que ça, la vie ? Un jeu. Je ne pouvais pas croire que dans chacune de ces autos il y avait quelqu’un qui devait se lever chaque matin pour aller travailler. Rien que d’y penser m’épuisait.
Je n’aimais pas me sentir dépendante, mais il avait ce don d’être toujours ancré au même endroit, immobile. Même si mon bateau tanguait et essuyait les plus grosses vagues de ma vie, je pouvais jeter mes amarres sur Friedrich et me stabiliser pour mieux repartir et faire face aux tempêtes.
J’ai toujours cru qu’un long nez était un gage de réussite, comme s’il jouait le rôle d’un gouvernail en plein visage. J’ai toujours dit que je ne pourrais jamais compter sur le mien, aussi minuscule qu’un haricot, pour m’aider à me diriger.
Votre médecin vous a tendu la main en vous confiant quelque chose qui vous donne un point commun avec lui. Il devient donc quelqu’un de précieux pour vous. Pour ajouter à l’imbroglio, ce médecin vous plaît physiquement.
Vous n’êtes pas pathétique. Et si vous croyez que vous êtes un fardeau, sachez que vous n’en êtes pas un. La dépression est une maladie qui se soigne avec beaucoup de tendresse envers nous-mêmes.