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Citation de mamansand72


L’histoire de la disparition de Lucy ce jour-là fut évidemment le sujet de conversation de l’île pendant un bout de temps. Bientôt, cependant, on ne parla plus seulement de Lucy Lost, on parla de la jument. Pendant toutes ces heures où elle était restée perdue dans le brouillard - et personne ne sut jamais combien de temps était passé avant qu’oncle Billy ne la retrouve -, une transformation extraordinaire semblait s’être produite en Peg. C’était presque comme si Lucy lui avait jeté un sort.
Tout le monde connaissait Peg, à Bryher, et savait comme elle pouvait être capricieuse, hargneuse et têtue. Une vieille jument poilue, toute noire avec des touffes de crin aux pieds et un nez busqué. C’était le cheval de labour de toute la commune, mais elle ne travaillait que si elle en avait envie, était bien nourrie et bien traitée. Elle préférait nettement qu’on la laisse brouter paisiblement aux quatre coins de l’île, allant à sa guise, apparaissant un peu partout, présence plutôt débonnaire, jusqu’à ce que quelque chose se mette en travers de son chemin, ou que quelqu’un la dérange.
Peg était le cheval de labour, et celui qu’on utilisait pour les récoltes aussi. C’était également le seul cheval de trait de l’île, qui remontait des chargements d’algues depuis les plages jusqu’aux champs de fleurs ou de pommes de terre, où elles servaient d’engrais. Il y avait un âne oud eux, à Bryher, qui portaient et transportaient la plus grande partie des lourdes charges, mais les habitants n’auraient pu se passer de Peg. Ils le savaient, et elle le savait aussi, ou semblait le savoir. Elle était sa propre maîtresse. Elle préservait farouchement son indépendance, et exigeait toujours d’être traitée avec le plus grand respect.
Elle montrait clairement qu’elle n’aimait pas les gens, qu’elle les tolérait simplement, tant qu’ils se conduisaient comme elle le voulait. Trop lui demander, l’obliger à travailler trop longtemps, et les ennuis commençaient. Essayer de la monter, la menacer avec un fouet ou un bâton, prendre quelque liberté que ce soit avec elle, et elle vous faisait aussitôt comprendre qui commandait. L’étriller quand elle ne le voulait pas, ou nettoyer ses sabots quand elle n’était pas d’humeur à le supporter, et elle pouvait devenir méchante. Elle était tout à fait capable de donner un bon coup de dent à n’importe qui, petit ou grand, et même de décocher une ruade en douce. Tout le monde, sur l’île, était conscient qu’il valait mieux la traiter avec certains égards.
Dans l’ensemble, cependant, elle était douce comme un agneau avec les plus jeunes, surtout s’ils venaient avec une carotte. Avec une carotte, les enfants les plus petits pouvaient aller la chercher pour la faire travailler, et la faire travailler dur. Ce n’était même pas la peine de lui dire où aller ni où s’arrêter. En revanche, si vous essayiez de la monter et de l’amener à la maison après une journée de travail, enfant ou pas, vous risquiez d’avoir de gros ennuis.
Personne ne montait Peg. Nombreux étaient ceux qui avaient essayé par bravade, mais cela avait toujours mal fini, et la plupart du temps en larmes. Alors que personne n’avait jamais réussi à rester sur son dos, toute l’île savait à présent que Lucy, elle, y était arrivée. C’était incroyable. Lucy Lost était restée sur Peg pendant des heures, presque toute la journée, une journée qui semblait avoir rendu Peg méconnaissable.
Après cette première, et désormais fameuse promenade dans le brouillard avec Lucy, on voyait souvent Peg se diriger vers Veronica Farm, rester derrière la porte, dans le jardin, regarder même dans la maison par la fenêtre, en attendant que Lucy sorte et la monte. Presque tous les matins, on les voyait se promener dans l’île, manifestement aussi heureuses l’une que l’autre.
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