CBC's Booked @VPL: Michelle Good
J'avais rêvé si souvent au pensionnat de ce jour où je rentrerais auprès d'elle... Où je pourrais cuisiner avec elle, dormir en sécurité dans ma chambre, jouer librement et sans crainte sur la plage... J'aspirais désespérément grimper de nouveau sur cette chaise devant la cuisinière, à remuer le contenu d'une casserole sous son regard attentif, comme quand j'étais petite. Mais hélas, redevenir un enfant, vivre à nouveau dans l'insouciance, sans peur, sans coups - personne n'a droit une telle chance. Ne subsiste qu'un vide béant, un manque que rien ne peut combler.
NOTE DE L'ÉDITEUR
Le 28 mai 2021, les tombes de 215 enfants sont retrouvées près de l'ancien pensionnat autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique. Quelques semaines plus tard, ce sont 751 sépultures anonymes qui sont découvertes près de celui de Marieval, en Saskatchewan. De la fin du XIX ème siècle à 1996 (!), date de la fermeture du dernier pensionnat, les enfants autochtones au Canada ont été arrachés à leurs familles et envoyés dans ces écoles résidentielles pour y être « assimilés » et « civilisés ». L'objectif fièrement proclamé était de « tuer l'Indien dans l'enfant».
On considère que plus de 150000 enfants sont passés par ces 139 pensionnats, gérés en grande majorité à la demande du gouvernement canadien, par l'Église catholique. Séparés de leur famille,, coupés de leur langue e de leur culture, ils y ont été maltraités et abusés. En 2015, la Comission de vérité et réconciliation canadienne a estimé qu'au moins 4000 enfants y étaient morts. Ce sont les tombes de ces enfants que l'on retrouve aujourd'hui. Quant ceux qui ont pu grandir et en sortir, ils sontt devenus des « survivants ».
Tu sais ce que Mariah m'a appris à propos de nos disparus ? La seule chose qui leur fait de la peine, c'est de nous voir souffrir de leur absence.
"S'il n'était pas facile de prononcer les mots que tous ces gens voulaient entendre, il s'agissait avant tout d'aider ceux qui étaient complètement démunis devant la justice, qui se retrouvaient le plus souvent au tribunal pour avoir seulement essayé de survivre dans un monde auquel ils n'avaient pas été préparés et où ils avaient été abandonnés."
"_Tu as les yeux tout rouges, observa-t-elle. Toi, tu as encore pleuré...Tu sais ce que Mariah m'a appris à propos de nos disparus ? La seule chose qui leur fait de la peine, c'est de nous voir souffrir de leur absence."
"_Ce petit bouleau, là-bas. Même ici, en ville, il brille.
Clara plissa les yeux pour mieux voir. De fait, un arbuste à peine plus haut qu'elle dressait sa silhouette solitaire dans un modeste carré de terre entouré de bitume. La pluie s'était arrêtée et le ciel s'éclaircissait déjà. Clara vit les feuilles du bouleau luire d'un doux reflet argenté dans les premières lueurs du jour. La vieille femme posa sur elle des yeux aussi noirs que la nuit et lui pressa la main.
_Le pouvoir de la Création est partout. Dans cet arbre, en toi, en nous tous..."
Il n’existe pas de mots pour expliquer par quel mystère la femme qui sortit de la hutte n’était pas celle qui y était entrée. Tout ce que Clara savait, c’est qu’elle avait été ramenée loin en arrière - à l’époque où les anges chantaient dans le bosquet de bouleaux. Avant sœur Mary, avant l’école indienne, avant les coups censés faire d’elle une petite Blanche à la peau brune. A partir de ce jour, elle eut la certitude que tous ceux qui l’avaient précédée marchaient à ses côtés. Que vivre, ce n’était pas juste survivre, c’était exister en tant que personne. Une personne indienne, dont l’identité profonde avait été inscrite en elle dès l’instant où elle avait pris vie dans le ventre de sa mère.
"Les enseignements nous disent que c’est la souffrance qui nous permet d’apprendre et de devenir plus fort. Et je sens déjà une grande force en toi. Il n’y a aucune raison d’avoir honte de sa tristesse."
Clara avait alors éprouvé une émotion semblable à celle que lui avaient procurée autrefois les chants mélodieux dans les feuilles de bouleau miroitantes. Il lui semblait avoir retrouvée une partie d’elle perdue depuis longtemps, comme si son cœur s’était remis à battre après un long silence.
Si les premières minutes se révélèrent éprouvantes pour lui le reste de la journée passa toute vitesse. Il parla de la fête d'anniversaire et de ce flic ui l'avait arraché àà sa mère. Il parla de la peur permanente, de la faim et du sentiment d'impuissance. Et aussi de Kenny.
_ C'était mon ami. Il m'a appris à survivre mais lui, il est mort sans avoir eu l'occasion de confier ses souffrances à quelqu'un. Si je suis ici aujourd'hui, c'est pour lui et pour tous ceux qui sont morts loin de leur famille seuls et sans défense. On n'était que des gamins...
"Nous étions des enfants, Lily et moi, et aucune de nous n’a survécu même si moi, je marche encore à la surface de la terre."