L'odeur de la mort congelée est un fumet épais qui pèse sur les poumons et retourne l'estomac ; seul un véritable charognard comme Antunès est capable de supporter tous les jours un tel remugle, le sourire aux lèvres.
Les chiens n'ont pas bronché. Ils ont seulement souri en remuant la queue. Vous n'avez jamais vu un chien sourire, bien sûr. Et c'est normal. Ils ne sourient pas à tout le monde.
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J'éprouvais beaucoup de plaisir à faire courir à moi les notables dans les creux de mon agenda surchargé. S'ils savaient qu'en réalité, il était si vide qu'on pouvait même y entendre résonner l'écho du silence...
Il existe une caste de gourmands qui, pour être en paix avec leur conscience, ne sucrent leurs boissons qu'à l'édulcorant tout en ingurgitant toutes sortes de pâtisserie. L'inspecteur faisait visiblement partie de ce club de bonnes consciences.
J'ai abandonné la cellule révolutionnaire lorsque j'ai pris conscience que beaucoup de camarades avaient un baril de poudre à la place du cerveau [...]
Boire un café au Florian à Venise est vraiment un grand plaisir, surtout lorsque c'est mon client qui paie l'addition.
Cet outil à la main, Antunès ne laisse aucune dent en or se perdre inutilement six pieds sous terre, pas plus que les alliances que les familles n'ont pas réussi à retirer du doigt des défunts. Antunès n'oublie jamais de s'en occuper, et la plupart du temps, il manque un ou deux doigts aux cadavres que je viens examiner.
Les odeurs sont de véritables cartes de visite. Il y a ceux qui sentent le malheur, la misère ou la mort. Ceux qui sentent seulement l'incompétence, l'angoisse ou la peur. Ceux qui sentent le faux-semblant, le vide, la trahison. Et d'autres, le danger.
L'odeur de la mort monte de cette rue et imprègne les fripes de ces mendiants comme s'ils s'étaient échappés des tiroirs frigorifiques de l'institut médico-légal.
Je voyage à l'intérieur de moi-même, au fond de mes peurs. J'ai peur de cette société mondaine où l'image vaut plus que mille mots. J'ai peur que le culte de l'image ne se soit substitué aux idéaux, aux causes, aux valeurs, et que ce détachement ne soit irréversible. Je crains que la forme vertigineuse qu'emprunte la société moderne de vivre la vie soit la dernière accélération avant l'accident.