On est restés en silence un moment. Le silence des grandes amitiés, celui qui s'impose et n’embarrasse personne.
Je me suis retournée vers lui. Il avait de petits yeux noisette, les cheveux rasés et un chandail rayé de deux teintes de vert. Ses Converse semblaient avoir fait la Deuxième Guerre mondiale et en m'y attardant un peu plus, je me suis demandé qui lui avait appris à faire des boucles. Il avait de la gueule. Je pouvais dire en un seul coup d'œil qu'il avait à la fois tout ce qu'il fallait à un homme pour me plaire et en même temps la seule chose qui pouvait me repousser : un enfant.
Il a remonté mon chandail jusqu'à mon cou, détaché mon soutien-gorge et relevé du bout de la langue le minuscule anneau argenté qui encerclait mon mamelon. Je regardais son visage enfoui entre mes seins. Sa bouche descendait jusqu'à mon sexe et remontait de temps à autre jusqu'à la mienne, pour, entre deux coups de langue, me demander pardon. Perdus dans ses boucles blondes, mes ongles traçaient les lettres du mot merci, qu'il aurait été déplacé de prononcer à voix haute.
Une jeune serveuse qui aurait dû porter la mention "certifié air bête" sur sa chemise est venue me garrocher une Heineken. Je lui ai dit que je n'avais encore rien commandé et elle m'a répondu sans prendre son souffle : "Fais moi donc croire que c'est la première fois que tu te fais payer une bière dans un bar, toi ! Si ça se trouve, t'as jamais besoin de sortir une crisse de cenne de ton portefeuille !"
L’orage a éclaté, encore.
J’ai senti un souffle sur mon cou, puis un doigt s’infiltrer derrière l’élastique de ma culotte. En expirant la fumée, je me suis concentrée sur son index qui se frayait un chemin à travers mon sexe encore humide.
A peine avais-je fini de jouir quand l’électricité est revenue. Reflétés par la porte-fenêtre, mon visage, mes cheveux humides collés le long de mes joues.
J’ai choisi dans ma bibliothèque ‘Une rivière verte et silencieuse’ de Hubert Mingarelli, que je m’étais promis de lire pendant les vacances. Un verre de blanc à la main, je me suis installée sur le divan et je me suis commandé une soupe tonkinoise.
Je traînais toujours un feutre permanent dans mon sac pour corriger les fautes dans les graffitis. Je me suis avancée pour lui inscrire mon numéro sur l'avant-bas.
- Tiens. T'expliqueras ça à ta blonde!
Je me suis dirigée vers la cuisine pour lui faire un café dans un verre à emporter, ce qui me semblait être la façon la plus polie de lui demander de déguerpir.
J'ai composé le numéro de Max, sachant très bien que je ne l'appellerais pas. Qu'aurais-je pu lui dire? « Parle-moi », peut-être.
Le Petit Robert n'arrive pas à suivre le rythme, il manque de mots pour répertorier les phénomènes humains de plus en plus tordus qui naissent chaque année.