Il me demande, Tu savais que chaque fois que tu fabriques quelque chose, une petite part de ton esprit s'y glisse?
Non.
Alors... Arrange-toi pour que ça soit une bonne part de toi, pas une mauvaise.
Je crois que j'ai plus de bonne part en moi depuis un moment déjà, je dis.
Moi aussi, sans doute.
Il me fait son sourire de travers, et mon cœur s'envole.
Je suis désolée, je lui glisse.
De quoi?
D'être toujours... Tellement...
Ingrate?
Ouais.
Désagréable?
Je crois.
Grincheuse? Têtue? Violente?
Je suis pas violente!
Oh, si. Beaucoup, même. Mais ça me plaît chez une femme.
J'éclate de rire.
T'es fou, je dis.
J'étais normal avant de te rencontrer.
Ton manège, Jack, c'est que... tu essaies de me faire tout le temps passer pour une idiote !
Oh ?
Arrête, tu sais très bien ce que tu fais !
Dans ce cas, je m'en excuse. Sincèrement.
Il me fait un sourire. Un beau sourire. Ni effronté ni arrogant. Je sais plus quoi dire.
Bon... Essaie juste de pas recommencer.
Je te promets, il déclare, que la prochaine fois que tu passeras pour une idiote, ça sera entièrement ta faute.
La vie n'est ni toute noire ni toute blanche. Les gens non plus. La famille, les amis, les amants, c'est compliqué. Plus je vieillis, plus je perds mes certitudes. Surtout quand le coeur est en jeu. Alors sèche tes larmes. Parce que lui, il est pas en train de pleurer pour toi. Les hommes pleurent jamais.
Si mes larmes pouvaient laver la tristesse dans le regard de mon frère, ainsi que la froideur dans sa voix, je pleurerais jusqu'à la fin des temps. Mais ça ne marche pas comme ça. Et j'aurais peur de jamais avoir assez de larmes pour lui, ni pour personnes d'autres.
Hé, tu as oublié ou quoi ? Toi et moi, on se ment pas. On est au-dessus de ça. Depuis que je te connais, Jack, tu gardes la porte de ton cœur bien fermée et la clef cachée. On dirait que cette fille l'a trouvée...
Il ne répond pas. Molly attend.
Il finit par dire, Les clefs, c'est pas son genre. Elle a plutôt ouvert la porte avec un grand coup de pied.
De la terre sèche et jaune. Une unique colline de roche grise striée de rouge. Presque plate à force d'être balayée par les vents.
Cet endroit ferait pleurer le diable.
On m'appelle l'Ange de la Mort.
Parce que j'ai jamais perdu un combat.
Lugh est né d'abord. Au solstice d'hiver quand le soleil est bas dans le ciel.
Je l'ai suivi. Deux heures après.
Et là, tout est dit.
Lugh est devant, et moi derrière.
Mais ça me va.
C'est bien comme ça.
C'est comme ça que ça doit être.
Tout est écrit. Tout est réglé.
La vie de tous les gens nés.
La vie de tous les gens qui vont naître.
C'est écrit dans les étoiles depuis le commencement du monde. Quand on naît, quand on meurt. Et quel genre de personne on va être, bonne ou mauvaise.
Si on sait lire dans les étoiles, on peut connaître l'histoire de la vie des gens. Et l'histoire de sa vie à soi. Son passé, son présent et son avenir.
Quand Pa était petit, il a rencontré un voyageur, un homme qui savait beaucoup de choses. L'homme lui a appris à lire dans les étoiles. Pa a jamais dit ce qu'il voyait dans le ciel la nuit, mais ça doit être lourd à porter.
Il y a de l'agitation partout. Des gens passent près du Cygne dans des nuages de poussière sur des chariots tirés par des chiens-loups à l'air méchant, des chevaux, des mules, des chameaux ou encore à pied. Ils se dirigent tous vers un grand trou dans la palissade de fortune qui encercle Hopetown. J'ai jamais vu autant de gens de toute ma vie. J'ai les yeux partout.
Emmi surgit près de moi. Les Pinch nous surveillent pas. Je soulève ma main enchaînée et elle se glisse dessous. Elle passe les bras autour de ma taille et elle me serre fort. Les Pinch la font travailler si dur qu'elle est encore plus maigre qu'avant.
Et voilà, je dis. Hopetown.
Qu'est ce qui va se passer, maintenant? elle me demande.
Je sais pas, mais on va vite le découvrir, je crois. En tout cas, quoi qu'il arrive, oublie pas de chercher Lugh.
A cet instant, j'entends un croassement familier. Je lève la tête. Un gros oiseau noir décrit des cercles dans le ciel. Je reconnaîtrais ce vol entre mille.
Nero! je m'écrie.
Il plonge, passe juste au-dessus de nos têtes, puis repart dans le ciel. Mon coeur s'envole avec lui. Des larmes jaillissent de mes yeux. Il nous suit depuis qu'on est prisonnières.
Attends. Prends ça, je dis en courant vers lui avec ma pierre.
Il se penche. Je la passe autour de son cou.
Elle... elle t'aidera à me retrouver, je lui dis.
J'ai pas besoin d'une pierre pour ça. Je te retrouverai n'importe où.
Il m'embrasse à nouveau, jusqu'à ce que je me sente prise de vertiges. Jusqu'à avoir les jambes en coton.
Puis il lance, A bientôt.
Il incline son chapeau, fait tourner son cheval et part au trot.
Et en partant, il se met à chanter.