Morgane Pinon

Extrait Éditeur

Respirer. C’est aussi essentiel que manger ou boire. Jusqu’ici, l’eau et la nourriture se sont retrouvées empoisonnées sans aucune limite. La pollution des sols pour produire toujours plus d’aliments. Les pluies s’infiltrant dans ces espaces souillés se sont gorgées d’éléments nocifs. Il fallait donc que l’eau soit traitée avant d’être bue. Et, bien entendu, ce n’était pas gratuit. De même pour tout ce qui se mange. Les enfants croient à de la science-fiction lorsqu’on leur raconte qu’il fut un temps où l’on pouvait manger des fraises sauvages qui poussaient en forêt ! Et tout ça sans aucun impact indésirable sur la santé. De nos jours, même en ingérant de la nourriture traitée, la population arrive à tomber malade ou vit avec des carences. Mais ce n’est pas grave. Car si l’on est souffrant, il est toujours possible de se soigner en gardant l’économie de la santé à flot.

Respirer. C’était bien la seule chose gratuite. Mais tout a une fin.

Quand je m'endors, mes rêves s'éveillent...

Le plus dur, c’est le moral. Cet instant me hante et se rappelle à moi à chacune de mes nuits. Même si plusieurs semaines se sont écoulées, j’ai bien vu qu’il s’éloignait de plus en plus ; cet homme avec qui je me sentais si bien. Ce silence est insoutenable. Peut-être que si je l’avais obligé à en parler, il serait toujours là. Mais non. Je nécessitais tout autant de réconfort que lui. Je voulais entendre que tout irait pour le mieux. Alors comment il m’aurait été possible de lui dire les mots que j’avais moi-même besoin d’entendre ? Trop de souffrance. Il est parti en me laissant seule. Et je vis maintenant avec ce poids à chaque instant de ma vie…

Après autant d’années de vécu sur Terre, elle s’imagine qu’il n’y a qu’eux qui puissent être suffisamment près de La Vérité. Un savoir absolu sur la vie. Ou peut-être pas. Errer dans le monde des vivants alors que l’on est piégé dans un coma profond. Qui peut en revenir pour raconter cette histoire ?
À bien y réfléchir, Lise se dit que toutes ces belles paroles n’étaient qu’un tas de souvenirs idolâtrés. Comme un appât pour la ramener parmi eux. Et après ? Ils seraient tous heureux de la voir en vie. Une sorte de pied de nez fait à la mort elle-même. Ou plutôt un sursis. Sans trop savoir pourquoi, cette perspective d’avenir ne la réjouit pas.

Lise se demande tout simplement si elle désire vraiment reprendre sa vie. Travailler avec des gens odieux. Être cette personne dépressive que l’on souhaite plus éviter qu’autre chose. Son passé la hante. Aujourd’hui plus que jamais. Si elle se laisse aller jusqu’à la mort, parviendra-t-elle à retrouver ceux qui ne sont plus ? Saura-t-elle rejoindre Isabelle ? Cette enfant à qui elle n’a pas eu le temps d’accorder ne serait-ce qu’un sourire ? A-t-elle tout simplement le droit de vivre après avoir donné la mort ?

On ne persiste pas à donner des coups pendant des heures entières juste pour tuer le temps. Non. Et ce mystère fait naître en elle l’envie de passer chaque seconde auprès de lui. Pour savoir. Oui. Mais pas que. C’est un élan de compassion qui l’anime. Pas de pitié ou autre. Elle est sensible à cette détresse que personne ne semble comprendre. Peut-être arrive-t-elle à la sentir aussi facilement qu’elle-même s’est également enfermée dans son propre chagrin pendant tant d’années.

Voir et entendre c’est bien. Mais je préfère retrouver les personnes en vrai. C’est bien que vous soyez monté me voir. Il faut parfois se déconnecter pour mieux s’ouvrir au monde. C’est comme dans les transports en commun. Je remarque à regret trop de gens les yeux rivés sur leurs téléphones sans prendre le temps de regarder le monde autour d’eux. Je pense malheureusement que si j’avais été jeune à notre époque, mon mari et moi n’aurions jamais levé les yeux l’un vers l’autre.

Ne pouvant s’en empêcher, le regard de la jeune femme s’attarde quelques instants sur son cou. Elle se surprend même à imaginer la douceur de sa peau. Après un rapide coup d’œil, elle voit qu’il a fermé les yeux. À quoi peut-il bien penser ? Un souffle lent et régulier frôle le haut de son crâne. La respiration du jeune homme semble être maîtrisée par de considérables efforts. Cela doit être l’effet de la chaleur, se dit-elle alors qu'elle se sent bouillir sur place.

La jeune femme ignore si c’est l’effet de son imagination, mais elle a l’étrange impression que l’espace qui la sépare de cet inconnu se réduit. Une surprenante question se pose alors à elle. Est-ce lui qui se rapproche inexorablement d’elle ou elle qui, inconsciemment, souhaite qu’il y ait contact entre eux ? Tentant de penser à autre chose qu’à ces absurdités, elle tourne la tête, faisant mine de ne pas remarquer sa présence.

Une parfaite osmose. Comme si deux âmes inconnues venaient de se retrouver. Pourtant, Lise sait très bien que les contes de fée n’ont pas leur place en ce monde. On ne peut pas s’adonner à de telles familiarités aussi simplement et s’attendre à trouver la personne parfaite pour nous combler. Toute cette magie amoureuse qui lui a été racontée un millier de fois durant son enfance, n’a rien de réel.