Un enfant, bordel, tu m'entends, sale con, tu as tiré sur un enfant ! Même s'il avait de grandes oreilles et du duvet sous le nez, Rémi, c'était pas un lapin. Tout juste un gamin. Ca rime, mais c'est pas pareil...
Depuis toujours il connaît mes hantises, il lit la peur dans mes yeux. Il ne m'a jamais jugé, pas plus conseillé. Me tendant le paquet il me glisse trois mots à l'oreille.
- Ne pars pas.
Une voyelle par mot. C'est très simple, clair, net.
C'est aussi simple que beau. Ca tient dans une main.
Une voyelle par mot Je ne me suis jamais fort entendu avec les consonnes, je les trouve trop compliques, je laisse ça aux adultes.
Les voyelles sont belles, simples.
A, e, i, o, u.
Les consonnes sont moches et compliquées.
V, w, b, r, z.
L'aube de la vie, la beauté d'une naissance, toute chose en son début A.
La fin, lente ou brutale, rarement désirée, jamais annoncée, la complexité d'une mort : Z.
Tout est dit.
De A à Z.
Six mètres
Je regarde le câble
Cinq mètres
J'arrive Rémi
Quatre mètres
Je t'aime Nestor
Trois mètres
Au revoir, Pieotr et Helena, merci
Deux mètres
J'ai peur
Un mètre
Je souris
Boum. Nuage de sciure.
La séance est finie.
Clap-clap-clap.
Agenouillé, humilié, fauché dans ma candeur, je pleure comme un gosse. Je pleure ce gosse qui ne sera plus. Je pleure mon meilleur ami, ce presque frère apporté par le ciel, emporté par l'homme.
La compassion et la pitié peuvent parfois se muer en d'inviolables barreaux. Il serait certainement mieux installé avec nous, à nos côtés, dans notre roulotte chauffée, mais dans cette situation de proximité, il resterait peu de place pour les coups de cafard, les rappels de blues ou une nouvelle fuite en avant a première vue, ce gosse a besoin de tout sauf d'un carcan.
Reconnaissant, le gamin se fait un nid au milieu du fatras. Tel poteau représente telle colline, le vieil essieu de notre verdine, brisé net en Ecosse... En-dessous d'un lasso pourri, je reconnais deux bouts de bois que j'avais rayés de ma mémoire.
Deux bouts de bois... Deux trapèzes encore neufs... Ils n'ont plus servis depuis...
Toujours ces points de suspension ouverts comme une plaie mal refermée. La ponctuation peut s'avérer commode dans bien des cas !
Si je m’en vais les poches vides, je pars la tête emplie d’images fortes, souvenirs d’un bonheur effiloché.
Le deuil isole, les gens avaient trop peur de me déranger dans ma tristesse.
Si vous croisez Rémi, retournez-vous, Kamel ne doit pas être loin.
Le voisin-chômeur longue durée, gonfleur de statistiques-en panne de voiture le premier jour de son nouveau travail, Rémi et moi, on pousse.
Qu'a t'on à gagner en accédant au monde des adultes? Dans le meilleur des cas, de la violence, de l'hypocrisie et de la jalousie.