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Citations de Nicolas Pesquès (19)


          INTERLUDE
  
  
  
  
On aimerait une prose qui épouserait notre promenade, un
réel d’écriture et une dilatation d’amour dont on connaîtrait
les illusions – le sachant ne le sachant pas – la découverte
d’un lieu, la naissance d’un pas composé, aimé, pouvant
sauter le ruisseau dans l’élan des yeux, des forces en action,
la perdrix figée, le lièvre qui a peur, la phrase irait comme
ça, la lettre que je vous écrirais en même temps, bien
qu’il soit trop tôt pour nous, puis trop tard, la vie ayant
passé dans l’intervalle, les temps toujours brisés malgré ces
accompagnements et cette malice que les corps si douce-
ment montraient, si souplement la couleuvre glissant mais
trop tard aussi, les yeux n’ayant pas eu le temps, ce qui les
troublait, les trouble encore, les nôtres pourtant rompus à la
fiction mais avides d’instants, sûrs d’avoir rêvé, heureux de
n’avoir pas inventé cet éclat pareil à de la littérature quand
il n’en était pas question entre nous, et on remarque alors
qu’un paradoxe commencerait à s’affaiblir, la vigilance des
mots se mettrait à fondre, on suivrait ce qui se passe entre
nous, le cœur qui vague même s’il ne vague qu’en souffrant
et que c’est bien ici que ça a lieu, dans cette phrase main-
tenant, dans ce corps dont l’intrusion chancèle, auriez-vous
senti cela, la tactilité du récit, le ruisseau engourdi, le muret
sauté et nous voici à nouveau réunis entre deux virgules,
épris du même temps, étreints, car il s’agirait vraiment du
même temps mais c’est invraisemblable de le sentir seule-
ment sans le vivre, sans l’avoir vécu, sans même l’avoir écrit,
ce grand chambardement d’images peintes, dites ou nues
quelle différence ? la prose témoignerait pour les corps,
l’image nue serait la première, celle des yeux qu’on a dans
la tête – le sachant, ne le sachant pas – venue de l’optique,
le corps en étant le tenant, le physiologue averti, sommé de
prendre la main pour choisir le ruisseau, le sentier et c’est à
ce moment précis que la prose explose, laissant le texte en
miettes, la vie irrattrapable là, de plein fouet, on se retourne
et presque rien n’est arrivé.
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I
  
  
  
  
8 octobre

Colline est votre nom en paysage, en flaques citron et rose
sommeil. Sa récurrence nomme l’arc-boutement du désir,
d’autant plus violent que tout est réel, même l’interpréta-
tion des songes. D’où la douleur de la langue dans l’exten-
sion du bois, vers nos espaces inconjugables, juxtaposés tels
des mots s’envolant d’une bouche close vers l’image où
vous souriez.

Avec le langage, nous n’allons que de l’avant, mais plombés
autant que remorqués. L’image, le paysage qui reviennent
en boucle nourrissent cette avance qui ne sait plus qu’ou-
vrir un corps éperdu, virant telle une buse autour du rose
évanoui.


p.17
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                VI
  
  
  
  
Le genêt se répand, trempe dans le jaune. L’image est pas-
sée et repartie. Dans le corps elle a changé de nature. Jaune
est le nom de cette modification, le pivot du désir quand
les yeux tournent, se retournent, écrivent qu’ils le font,
se perdent dans la phrase qui boîte, vont dans le paysage
pour calmer la douleur, dans l’image pour son silence. Ils
reviennent chargés d’invitations, de déceptions, spécifique-
ment hachés dans le corps et prêts à tout. Tête penchée,
joues en feu.

23 février

-Comment éviter le malheur de ne pas vivre dans le même
monde, si les images ne se superposent pas, si les paysages
s’additionnent sans résultat ?

Les aperçus, les bribes, les éclaboussures : ce serait la défi-
nition du désir. Des pans de genêts à l’intérieur d’un flux
silencieux…

-Ce serait le bonheur ?

-Ce serait l’heure riche de la distance et de la divagation.
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Préambule :
  
  
  

L’oubli, si souvent traversé au présent, devient vite l’inou-
bliable : ce qui ne peut que resurgir par quelque biais, par
la langue et par toutes sortes de pressions pour dégager et
extraire ce qui fut violemment incorporé. L’inoubliable, ou
l’enterré vivant en nous. Le vécu le plus intense étant aussi
le perdu le plus profond ; la mémoire, un horizon pour se
mettre en route, et le présent ce que l’on souhaite vivre
mais qui s’efface à mesure : le désir même, la puissance
d’éloignement du désir.

Vous – la plurielle revenue des ombres – êtes occupée
dans des images qui agissent et se répètent. Vous parlez
derrière un mur d’air. Vous ne répondez qu’en bougeant
dans l’image, sous la protection du silence. Puisque aussi
bien la colline est un corps, le vôtre peut en répondre. Vous
absorbez l’entière intimité de l’érotique du monde.

Intruse convoitée, étincelles de la biographie, auriez-vous
fait de nous des personnages, comme dans les livres ?


p.12
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chères (images) en effet comme un lien et une attraction
qui ne faiblissent pas, ne connaissent aucune usure.
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GILLES AILLAUD / PAN !
ENVOL D’OISEAUX


EXTRAIT 1

Ils déguerpissent. Ils s’affolent et fuient dans le plus grand désordre ; ou bien ils barbotent dans leur fébrilité.
Un à un, le peintre les a abattus en les laissant vivants.
Les voilà qui courent l’espace pour colporter cette nouvelle. Ils zigzaguent dans l’air et dans leurs corps. Ils paniquent. Leurs contorsions les démembrent.
Mais ils ne peuvent échapper à la peinture.
Une main s’est portée à la hauteur de leur détente. Une main a vécu la même fièvre subite.

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Bab 23022024 23h14
II
  
  
  
  
C’est çui qui dit qui est

et aussi : c’est çui qui dit qui fait.

Et celui qui dessine, celui qui peint ?

Ils relancent aussi votre image suspendue, figée, qu’on vou-
drait immobile, qu’on voudrait changeante, qui ne l’est pas,
prise dans l’attrait, gelée dans le désir.

Çui qui écrit oublie que çui qui dessine, peint fait l’autre-
ment de la même image. La différence est un monde où le
corps veut ceci et cela, du coup ils ne se rencontrent qu’à
moitié.



Et çui qui dessine, il ne fait pas ce que le verbe faire annonce,
il s’ouvre un monde qui veut s’en passer – mais pas de
l’annonce – qui n’a pas besoin du verbe être pour être, ou
bien d’un autre, d’une autre forme de ce verbe. Espace aussi
visible que l’autre est lisible, espace déclenché par des opé-
rations de construction ou d’établissement ou d’élancement
auxquelles le corps non verbal procède. Monde concurrent,
autre monde et il faudra choisir la possibilité d’y recourir,
d’y vivre aussi.

C’est ce bonheur qui me brise, c’est dans ses gravats que
j’écris, que je me redresse.


p.19
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I
  
  
  
  
9 octobre

Que les images grâce auxquelles nous vivons nous satis-
fassent, elles qui sont capables à la fois d’enclore et de feindre
la grande volatilité de ce qui arrive, qu’elles demandent
toujours plus de précisions, qu’elles réclament aussi d’ac-
complir l’apparence, d’exaucer ce que nous y avons vu et
de trouver une parade à n’être que des images, à regretter
leur empire, à dénoncer leurs œuvres et leur pouvoir, oui,
qu’elles nous satisfassent néanmoins.

Jaune qui monte, rose qui fleuve ; et vous en faites partie
au même titre que la soie du genêt, l’absorption du renard.

Images puissantes, inlassables, comme les phrases qui vont
et viennent, vont et reviennent, vont pour revenir sur la
déchirure où elles naissent, la douleur qu’elles aggravent,
le désir qu’elles augmentent. Images qui auront dévié la
violence en la réalisant autrement, l’autrement de la langue
à côté de l’autrement de l’image, de la jupe aux cheveux
courts, de la douceur obtenue.

Appliquant au paysage l’ensemble et l’immensité des ques-
tions, l’ensemble et l’immensité de la nuit qui tombe, du
noir qui gagne votre épaule, monte sous les paupières.

« Je pense que c’est le désir sexuel qui retient l’art à l’inté-
rieur de la figuration. »


p.18
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I
  
  
  
  
6 octobre

Puis les images prennent leur marque et vous êtes confon-
due. La colline aussi. Par vos pouvoirs d’ascendances et par
vos manifestations : jupe, écureuil, géranium.

Dans le souvenir comme dans l’observation, on ne dis-
tingue pas la couleur de sa fonction colorante, ni de sa
flèche psychique :

le mauve du côté du sourire, et le rose de sa liquidité.



Un jour les phrases cesseront de vous porter ; les mots
seront vivants et l’écriture morte,

veut-on cela ?



La lame si lente, si fine, qui descelle l’image de l’image,
qui veut décoller la phrase de son support, en détacher le
timbre, laisse un trou, un vide. Le travail de la langue est
ce forage, cette terre brûlée et ce royaume où plus rien
n’est comme avant, ni même vrai, mais répondant à un si
puissant désir que vous en recueillez finalement les bien-
faits.

Rose délice au regain, au recollement de l’image sur le corps
réel. À la fin de la fiction, comme après l’essartage, tout
regagne en vitalité.


p.16
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I
  
  
  
  
Vous ne m’en voudrez pas si, trop lumineuse, de vous avoir
sous les yeux, tout devient noir.

Du fond des yeux si sombres

tellement nocturne

adjacente et nette d’adjectifs si féroces, si envieux

d’une existence déplacée ici au complet.


1 octobre 2018

Un jour une Marquise sortit à 5 heures. Elle ne m’intéresse
pas. Vous oui, qui n’en avez aucune qualité, mais toutes
celles qui lui manquent. À vrai dire, vous ne manquez de
rien. Me manquez-vous seulement ?

Vous êtes une couleur, le visage d’une plongée, l’arrêt sans
image d’un mur de profondeur. Le don de la distance et de
la magnétique.


2 octobre

Il se pourrait que vous soyez genêt, que votre nom soit
jaune. On ne peut perdre que ce qui passe réellement.

Perdu pour de bon : ce qui passe repassera. En saisissant,
et c’est le saisissant qui reste, mais lâché, dans l’air, moins
disparu que proie, moins disparu que lisible.


p.13
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Les mots ne nous donnent pas les choses
ils nous les enlèvent
ils nous enlèvent les dire
et les dire : c'est les faire être autrement
le temps qu'ils créent, l'espace qu'ils leur accordent
sont peut-être les seuls qui existent vraiment
à côté de nos illusions
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Abandon de l'âme : Jamais su utiliser ce mot - trop mou, trop religieux - ni sa chose, introuvable. Jamais vu nulle part ce qu'on appelle une âme. Et si mettre à chaque fois à sa place le mot corps était une solution ?
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II
  
  
  
  
8 novembre

Puis le paysage prit toute la place. La vôtre y fut englou-
tie. Flaque de jaune, regard presque courroucé, ou inquiet.
Colline compatible et paroles d’une grande ubiquité. Une
inondation par la couleur, par la franchise de la couleur.
Paroles simples à la hauteur de l’enjeu, prairie bleue, ado-
rable façon de regarder les mots, d’y voir de l’enlèvement et
de la volatilité.

Toujours pas la moindre imagination, peut-être un peu de
fantasmagorie.

11 novembre

Le ciel plus jamais fixe, toujours parfait, presque indolent à
force de perfection. Paroles le long des genêts :

– Êtes-vous contente de la situation ?


p.20
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II
  
  
  
  
7 novembre

Bientôt, il ne sera plus question de chicane ni de stratégie.
Tout pourra relever de l’entreprise. Les choses auront cette
facilité, le paysage aussi, au-delà de la ligne des épaules ;
accueil irremplaçable accompagnant l’avance des paroles
enchevêtrées.

Toute l’image en vie et la vie en couleur.

– Vous ne m’en voudrez pas ?

– Mais de quoi ?

– Si ce qui se dit est ce qui est ?

Vous êtes comme si je me parlais. Derrière c’est peut-être
la mer.


p.20
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I
  
  
  
  
7 octobre

Les quelques images sur lesquelles vous apparaissez ont
l’odeur du bois. Elles sont rares, cette odeur est rare. Ce sont
des fixées sous mémoire à usage revenant, tournées vers la
constance et le renouvellement, des fixées sous maintenant.
Colline inamovible, jaune incrusté pour vivre une autre
vie, ils se tournent vers la langue. La vie dans les images
est souvent moins rugueuse. Vie d’herbe et de pente dans
l’ondoiement de la couleur.

Dans de telles séquences, vous n’avez rien à faire que d’en-
tretenir le retour des visions. Les phrases qui s’en occupent
vous chérissent et sont aimables.

Si la variété des clichés se réduit et que vos traits y persé-
vèrent, le genêt devient obsessionnel, la colline peut durer
toute une vie. Le jaune prend la consistance du feu et
l’odeur celle du rose. Ils multiplient les retours du même.


p.17
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I
  
  
  
  
4 octobre

Vous récriminez ? souhaitant ne pas être ce bloc de chair
imagée. En avez-vous seulement la capacité ? Cet acquies-
cement perpétuel d’air et de genêt qui se referme derrière
votre passage. Les yeux tacites si faciles à dire. Je relève un
froncement et continue. J’ai ce besoin de parole et d’empê-
chement autant que de pente.

Tout cela s’ouvre muettement sur les écrans où vous venez.



Même en remontant la chaîne des séparations, on ne bute
que sur des phrases qui n’y arrivent pas.

Et je n’arrive qu’à vous les dérober – dérober : mot magique,
soyeux.

Et je n’arrive qu’à de l’inabouti, tout ce qui de toujours a
précédé. Ce besoin d’avant dont nous n’avons besoin que
pour nous intriguer, nous adorer, vous hisser parmi les
jaunes au zénith de la fourrure.

Ne pas perdre de vue que dans toutes les images, il n’y a
jamais la moindre imagination.

5 octobre

Les images ? En fait des bouts de films, des chutes, des
rushes. Elles existent. Leur qualité est médiocre, le son est
presque inexistant, souvent on le dirait coupé. Ou bien on
n’en a pas besoin. On n’aurait besoin que d’écriture ? Grâce
aux images ?

Sur l’un de ces rushes, on entend « Bonsoir monsieur ».
C’est tout. C’est beaucoup.

Sur d’autres, un renard zigzague, la perdrix se fige, une jupe
bouge en arrêtant le film. Le plus extraordinaire est que

vous n’êtes presque jamais là. Et toujours quand même.
Toujours la langue vous dépose, vous emporte. En colline
couverte de jaune et de vert.


p.15/16
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I
  
  
  
  
3 octobre

Faut-il penser que rien d’autre n’est arrivé, qu’un passage,
une élection et, instantanément, le rebroussement du
temps. L’envie de revenir et de recommencer, d’en rester
à ce recommencement, son immense potentiel, exactement
son apparence

avant bifurcation

vers les espaces qui ont suivi, indépendants et enchaînés, ne
se recroisant pas, ni même dans ce bois de genêts ?



Alors l’événement va éternellement implorer le langage,
découper son désir dans son tempo où la réalité s’entasse. Il
sépare le vrai du réel et en fait l’exception.

Vous, l’exception jaune, revenante, ondulatoire, avec du
bleu dans la nuit

du chaud pour la langue

de la poitrine pour l’herbe.



Revoici le lieu du crime, infiniment, à couvrir d’une infinie
fiction

« ne me racontez pas d’histoire »

dites-moi la réelle, l’entière, la bousculée, la gifle en four-
rure de loutre.



La venue soudaine d’un corps complet, d’une personne
brièvement filmée et imprimée dans les yeux, me confond
devant la vérité en images autant qu’en réel.


p.14
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Une bête, une colline, ce qu’on a sous les yeux : face à quoi on s’applique, incertain et têtu. Recommencer à peindre comme s’il fallait peindre le commencement, plus près du commencement à chaque bête, chaque bête comme un début, et chaque paysage comme l’origine de tous les yeux.


Ce qu’on a sous les yeux, et qui vit. Peindre la bête comme avant Lascaux, grâce à ce presque rien en retour qui permet le pas en plus, le pas recommencé ; qui permet de subvertir l’oubli, la rature de l’oubli qui autorise le pas.
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Tant d’animaux, depuis si longtemps.

C’est qu’il y a attirance pour la bête, pour l‘ancienneté et pour la fraîcheur animale : pour quelque chose qui est avant et depuis le savoir.


Surtout, ne pas parler en leur nom.
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