Hottes de peines
Je suis comme le quai d'un océan: la vie,
Qui déverse sur moi ses hottes de peines.
Les navires qui passent et, de-ci et de-là,
Déversent sur moi leurs hottes de peines.
J'ai plongé ma jarre dans le fleuve des douleurs,
Je dois souffrir encore, elle n'est pleine qu'à moitié !
Et plus je me courbe, et plus je tombe bas,
Plus on vide sur moi des hottes de peines.
Poète, d'aucuns savent ta lamentable histoire,
Tu veux t'en libérer, tes efforts sont vains,
Celle que tu aimais du profond de ton coeur,
N'a-t-elle sur toi déversé sa hotte de peines ? ...
(Asik Ihsanî)
Douleur
Douleur m'a fait les cheveux blancs,
Et douleur a ridé mon front;
Douleur a dépouillé mon âme,
Pour la crucifier toute nue.
Puis comme à flots mon sang coulait
Et que satisfaite elle me toisait,
Alors douleur femme se fit,
Et douleur à moi s'est donnée.
(Nécip Fazil Kisakurek)
Liberté, quel est donc ton envoûtement,
Pour que nous, révoltés, nous soyons tes esclaves ?
(Namuk Kemal)
Je ne te nommerai 'Fils' que si tu comportes en homme
peu m'importe si tu portes la couronne des rois ...
de te voir planter un arbuste me suffit à moi
Pour que je puisse, fier, te nommer mon Fils
Le Pain d'étoiles
Le pain est là sur mes genoux,
Et les étoiles très loin de mois,
J'y mords en contemplant les astres.
Et gorgé de rêve,
Incroyablement,
Je mange les étoiles.
(Oktay Rifat)
Spleen
Je porte dans mon coeur un poignard éternel,
Et toute jarre est vide où se tendent mes mains,
Et cherchant la lumière je me heurte aux fenêtres,
Mais le soleil est noir dans un ciel de ténèbres,
Et l'hombre s'étendra sur l'infini des temps.
Toujours cette soif, que rien ne désaltère,
Toujours cette course qu'un obstacle n'arrête,
Puis l'ombre s'étendra sur l'infini des temps.
(Ahmed Muhip Dranas)
Après la mort
(...)
Plus aucune nouvelle de ce monde si cher,
Les brises n'effleurent plus, hélas, nos fenêtres,
Et les jours nous ont abandonné aux nuits,
Nous cherchions vainement notre ombre à nos côtés,
Et dans l'eau qui s'écoule notre pâle reflet.
(Cahid Sitki Taranci)
Et de mes deux bras j'ai serré tant de vide
Que je sais n'avoir au monde qu'une amie ...
Je sais que je me suis démené en vain, car
Ma seule amie fidèle, c'est elle, la terre nue !
(Veysel)
Gardiens aux portes sacrées,
Ou couseurs d'habits célestes,
Buveurs d'ambroisie, tous mais tous,
Se désaltèrent de Dieu.
Cours au-devant du pur amour,
Yunus, ne remet à demain
Pour comparaître en sa présence,
Sur ta lèvre, un murmure: Dieu !
Ceux qui mangent et ceux qui ont soif,
Prophètes, couseurs d'habits célestes,
Anges qui sèment la bonté,
Tous respirent le nom de Dieu.