Comme le dirait le commun des mortels, j’ai tout pour moi. La célébrité, le physique, la fortune, et même du talent. J’ai des idées à foison, ne serait-ce que ce dernier spectacle que j’ai écrit et qui a déjà accroché des investisseurs. Le seul hic, c’est que mon idée de départ a été complètement détournée. J’ai découvert hier que mon scénario avait été retouché, les castings modifiés et j’ai, pour la première fois de ma vie, pleinement réalisé que j’étais qu’un pantin dont on agitait les ficelles au gré des envies des marionnettistes.
Résolution numéro 1
Songer à se faire de nouveaux amis pour ne pas finir seul à parler à son chat quand ceux que l’on a :
- nous saoulent
- meurent tragiquement (bon là, ce n’est pas vraiment de leur faute)
- s’arrêtent de boire pendant les soirées (traduction, ils deviennent chiants et se mettent à bouffer des graines)
- se mettent à détester Dalida du jour au lendemain sans aucune raison valable (faute totalement impardonnable).
Parfois, j’ai véritablement l’impression d’être un gardien de prison. Et je me demande si les élèves ont également la sensation d’être des prisonniers. Cela expliquerait en partie pourquoi ces derniers sont étanches à mes injections quotidiennes de connaissance. Un peu comme s’ils faisaient un rejet de greffe quand l’orthographe, la grammaire ou le calcul entraient en collision avec leur cortex.
Une femme qui pleure peut me demander de me couper un bras, je crois que je serais capable de le faire, même avec un vulgaire coupe papier rouillé. Enfin, en tout cas je me poserais certainement la question, juste pour qu’elle arrête de chialer.
Les larmes me désarment, je l’avoue, et celles de Johana, même si elles n’étaient pas sincères et seulement amères, n’avaient pas fait exception. Je m’étais senti faiblir et Cameron avait bien vu mon état. Il avait, ce qui devenait une habitude depuis qu’on travaillait ensemble, volé à ma rescousse tel un preux chevalier, et s’était attaqué sans sourciller au dragon Stanhope.
Il lui avait expliqué avec une patience d’ange les raisons du revirement sur les castings, et l’avait assurée qu’elle ne devrait pas avoir de soucis à se faire dans la mesure où elle détenait le talent nécessaire pour remplir le rôle haut la main. Il l’avait flattée, caressée dans le sens du poil pour que son hystérie baisse d’un ton et que le dragon redevienne un petit agneau.
Comme la plupart des hommes de la trentaine célibataires et beaux comme des dieux grecs, ce mec ne peut être que soit gay, soit divorcé, soit veuf. Et comme mon malheur est total, c’est la première option que cet idiot a choisie. Alors que je me serais fait un plaisir de le consoler d’un divorce pénible ou d’un veuvage douloureux. J’aurais même été prête à supporter ses hypothétiques gn… Enfants, s’il le fallait. Mais en aucun cas je ne peux lui convenir, n’ayant pas une bite entre les deux jambes. A défaut de pouvoir le mettre dans mon lit, j’ai pris le parti de faire de lui et de son mec mes meilleurs amis, mais je ne peux empêcher mes hormones de réagir systématiquement devant sa plastique parfaite.
J’ai passé cinq années de ma vie sur les bancs de l’université, persuadée, à l’instar des médecins dans l’humanitaire, que j’allais pourvoir donner un sens et une utilité à mon existence en transmettant mes connaissances à ces chères petites têtes blondes, tout comme les toubibs sauvent des vies. Oui, je me voyais, telle Marianne sur les barricades, brandir l’étendard flamboyant de la connaissance pour sauver la jeunesse France. Après trois années à user mes fonds de culotte dans cette petite classe poussiéreuse de la banlieue nantaise, mes idéaux avaient été rabotés jusqu’à leur point de rupture, la réalité ayant malheureusement pris le dessus sur les nobles pensées de Jules Ferry.
Certes, elle n’avait pas encore de premier rôle, mais elle n’avait plus besoin de courir à tout va à des castings. Maintenant, on commençait à venir la chercher directement. Moi, je n’aurais jamais eu ce courage. Se lancer dans l’inconnu sans savoir de quoi sera fait le lendemain et sans aucune garantie de réussite, c’est contraire à mon besoin sécuritaire. C’est sans aucun doute la raison qui m’avait fait choisir l’enseignement, lequel était beaucoup plus rassurant sur le plan matériel, même si chaque journée était une nouvelle aventure.
Je ne vois pas en quoi Paris incarne le symbole de l’amour. Cette ville est bruyante de jour comme de nuit. Ça pue et c’est sale. Je dois regarder à chaque fois mes pieds quand je marche pour éviter de rentrer en contact avec une déjection canine. Sans compter les nombreux pigeons qui squattent les parcs et les toits de la capitale et qui, pendant leur vol entre deux endroits, en profitent pour canarder la population de leurs fientes tel un raid aérien de la seconde guerre mondiale.
Depuis que je suis ce qu’on appelle « connu », je n’ai pas pu retrouver des amis sincères et fidèles. La plupart veulent me côtoyer pour ce que je peux leur apporter, qu’il s’agisse d’argent ou de relations. Les autres sont comme des abeilles virevoltant autour d’un champ de fleurs, butinant auprès des célébrités jusqu’à ce qu’une autre distraction les attire, ou dans le cas présent pour continuer sur les images métaphoriques, une autre fleur plus distrayante.
Ce que j’aspire à exprimer, pouvoir clamer haut et fort ma propre opinion, et tracer ma route avec mes choix à moi. Me libérer de mes chaînes. Rien que de penser à cette éventualité et à cette potentielle liberté, une vague d’allégresse emplit mes veines d’une douce chaleur apaisante. Mais immédiatement après, la perspective de devoir affronter la colère de mes parents ou celle de Johanna me glace le sang et freine d’emblée mes désirs d’évasion.