Je sors de notre chambre pour accueillir les enfants qui reviennent de l’école. J’attends qu’ils aient pris leur bain. Je me ronge les ongles. Comme la psy me l’a conseillé, je dois maintenant leur annoncer que tu es dans le coma. Installés en pyjama devant moi, ils écoutent sagement le discours que j’ai préparé. Je ne m’entends pas leur parler. Je me concentre sur leur réaction : Ethel tremble, Adam ne dit rien. J’ajoute bien vite que nous pouvons aller te voir, te parler, te dire qu’on t’aime, t’embrasser, t’apporter un dessin. Le visage d’Ethel est envahi par la détresse... Je sens qu’elle a besoin de t’exprimer son amour. Je demande aux enfants de patienter, le temps de vérifier ton état avant de les laisser venir te voir. En entrant dans la chambre, je découvre que tu es mort.
Je ne sais pas comment l’annoncer à Ethel et Adam. Je viens de leur promettre qu’ils pourront te dire au revoir.
Lorsque la médecine laisse peu d’espoir, on se raccroche à tout ce qu’on peut. Même aux superstitions les plus cocasses.
Mon petit frère Daniel, assez religieux, sollicite un rabbin. Il l’interroge sur la maladie de Marc et sur son éventuelle guérison. Le rabbin lui répond que, pour guérir, Marc doit entamer une démarche de conversion. Puis il fournit une liste de choses que je dois accomplir pour sauver mon mari. J’hésite d’abord. Mon rapport à la religion est assez ambigu et j’ai beaucoup de réticences à l’égard des personnes très pratiquantes. Mais je finis par céder, car je suis prête à tout pour qu’un miracle se produise ! J’entreprends donc de déchiffrer la fameuse liste de recommandations du rabbin truffée de fautes d’orthographe, et je finis par comprendre que je dois [...] donner trois bouts de viande crue à un chien.
Je demande alors à mon amie Déborah, heureuse propriétaire de Poppy, si je peux nourrir son chien. Je lui explique que mon soudain intérêt pour la race canine est dû à une recommandation émanant de la plus haute instance rabbinique pour la santé de Marc.
Je me revois encore à Boulogne, en bas de chez Débo, des morceaux de viande casher plein les mains, essayant de les donner à Poppy. Hélas, ce chien, que je déteste, ne semble pas apprécier le festin : il ne veut rien manger, habitué qu’il est à la viande cuite préparée par sa maîtresse. Accroupie, je le supplie d’avaler. Pour l’inciter, je fais même semblant de mâcher et de déglutir, m’efforçant lourdement d’imiter le comportement canin : je fais des bruits, je grogne, je gesticule, je me caresse le ventre, je me lèche les babines... Rien n’y fait. Lasse, je décide de lui faire ingurgiter cette saloperie de viande de force. Je l’attrape par le collier, lui ouvre la mâchoire et y dépose directement la becquée... Et là, horreur : le chien régurgite !
Informé du fiasco de l’exécution de ce commandement religieux, mon frère téléphone au rabbin : Poppy n’a pas avalé la viande ; que faut-il faire ? Après mûre réflexion, et avec le plus grand sérieux, le rabbin fait savoir à mon frère que l’essentiel est que le chien ait mâché la viande...