Charlotte est rentrée de Saint-Barth depuis trois semaines. Elle garde un mauvais souvenir de ses vacances. Le temps lui a paru trop long si loin de lui.
« A quoi penses-tu ? demande Arthur en lui caressant le ventre.
- A toi », répond-elle.
C'est toujours ce que l'on dis à l'amant qui nous scrute, qui s’interroge sur nos silences. Elle l’attrape par le cou, l'embrasse avec passion en riant.
« Je pense à toi... à toi... à toi.
Ils ne se disputaient pas ! Elle se disputait seule, avec elle même. Lui n'était qu'un prétexte, utile à son déversement d'amertume et de désillusions.
Sa bouche se pinçait comme celle des bourgeoises mal aimées. Il y avait au bord des ses yeux pers l'éclat brillant d'une larme qui ne voulait pas couler.
- Non mais…votre maman va mieux?
- Maman est morte.
Sa mine chafouine se para d’un zeste d’humanité.
- Je savais qu’elle était pas bien mais j’aurais pas cru qu’elle s’en aille si vite.
- Oui, un dernier sprint!
- Pardon?
- Non rien, je suis fatiguée. Mais si ce n’est pas pour me présenter vos condoléances que vous êtes ici à cette heure tardive, de quoi s’agit-il?
La gracieuse physionomie de son amie lui revint en mémoire. Son œil fripon, légèrement bridé, l’ovale carré de son visage volontaire, auréolé d’une broussailleuse chevelure. Une personnalité atypique, amorale, dont l’impulsivité et l’humour noir choquaient les bienséants, agressés par son courage de dire tout haut ce qu’ils osaient à peine penser.
Mon boy-friend affirme que j’ai les yeux dorés comme la Lune. Celle dont Pindare disait qu’elle était l’œil de la nuit. Ce marivaudage amoureux avait un sens. J’ai longtemps recherché la lumière dans les profondeurs mystérieuses de mes ténèbres.
En fait j’exagérais, il n’y avait pas plus de crétins ici qu’ailleurs. Pas plus que chez les écrivains, les ouvriers, les fonctionnaires et hauts, les chômeurs, les médecins, les avocats, les chercheurs, les entrepreneurs, les artistes, les losers, les politiques ou les syndicalistes. Quoique les politiques et les syndicalistes ne soient pas forcément un bon exemple! Je soupçonnais là une concentration paranormale d’idiots, doublés d’incompétents. Ce n’était qu’un avis personnel largement partagé.
Loin du méridien de Greenwich, j’avais vieilli de six heures sans en profiter. C’est le coup de fil tardif d’Amaury qui me le rappela. Il était onze heures du soir à Paris, son concert venait de se terminer. L’euphorie et l’alcool aidant, une envie pressante l’avait saisi. Ici mon portable affichait cinq heures du matin.
- J’ai envie de toi, susurrait-il enamouré.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et l’argent aussi. Dans son appartement, pour les lumières, c’est Versailles, pour le chauffage, c’est une île des Caraïbes. Jamais moins de vingt-cinq degrés. Et les écolos peuvent aller se faire voir. Elle s’est gelé les miches dans le noir pendant vingt ans, elle a de la clarté et des degrés à récupérer.
D’ordinaire, le petit déjeuner était son repas favori. Elle adorait les viennoiseries encore tièdes, les petits pains croustillants tartinés de beurre salé et de miel, trempés dans un chocolat chaud. Mais, ce matin, elle ne put rien avaler. Son larynx était paralysé par l’angoisse. Elle tâtonna le marbre des tables de chevet, à la recherche de molécules miraculeuses. Trouva enfin une boîte d’anxiolytiques. Aux urgences, son agitation anormale avait conduit le médecin à lui prescrire des calmants. Le genre de produits dont la notice, avec ses indications et contre-indications, vous suggère que se soigner peut être plus dangereux que la maladie. Ne pas dépasser la dose prescrite. La tentation l’effleura d’avaler le contenu de l’étui en une seule gorgée. Mais force était de constater que, si le traitement avait peu d’effet sur son moral, il en avait sur son corps.