Les folles aventures de Gibus 1
Jolie petite Gazelle venue droit du Bénin à l’âge de deux ans, Joce avait emporté avec elle, la chaleur des cœurs de son village et la légèreté des gens qui sont heureux du peu qu’ils ont. Devenue femme élégante, fine, aux jambes interminables et au port de tête royal mais jamais rogue, Joce, du haut de son mètre soixante-quinze, portait sur le monde un regard souverain tout autant que compréhensif. On eût dit l’une de ces reines de légendes et de contes, préoccupée par le bien-être des pauvres du royaume. Les hommes fondaient devant ses yeux d’un velours noir. Sa voix éraillée les mettait en transe. Sa poitrine ferme et arrogante, peut-être aussi. Joce attirait l’amour parce qu’elle était elle-même amour inconditionnel, joie et rire.
La vie sur moyen-courrier ne faisait rêver personne. Les escales bien trop courtes permettaient rarement de visiter les lieux et à vrai dire, la fatigue des vols enchaînés terrassait les équipages. Les escales se soldaient par un yaourt avalé dans la chambre d’hôtel, un coucou sur Skype au gamin ou au mari, et le film du soir visionné sous la couette. Une douzaine de jours de repos étaient dispersés de-ci de-là mais six d’entre eux étaient regroupés pour permettre au personnel navigant de s’octroyer une tranche de récupération plus longue.
Elle avait juste conscience d’être happée par la vie et désarmée par le temps qui file. Quand le train prend de la vitesse, le long du quai, quand on constate qu’on ne le rattrapera plus, on cesse de courir et on pose sac à terre. Simonéa en était là, de son existence, assise sur une valise de souvenirs et sans la force de repartir dans une autre direction, sans le désir de trouver un autre train.
Deux cents gamines qui font la queue pour acheter le Vingtième tome ou le trentième, je n’en sais rien. Pendant ce temps, j’ai dû signer trois “Coincoin ne veut pas aller à l’école”. Mais tu me connais, ce n’est même pas pour l’argent que je râle. C’est juste que les gens ne prennent pas le temps de discuter avec l’auteur ou de lire le texte. Ils achètent parce que la couverture est belle, point !
À quarante ans, elle pouvait changer de métier, se réinventer complètement. Mais elle portait des escarpins de plomb qui anéantissaient toute tentative de réforme. Alors bien sûr, quand ce type venu de nulle part, coincé dans un fauteuil roulant, lui avait parlé d’avancer, le mot avait eu l’effet d’une punaise sous la plante des pieds.
Ils avaient durant le vol, échangé quelques mots, quelques idées simples sur la vie. Des banalités, en réalité, qui pourtant avaient fait écho chez elle, comme parfois une simple phrase, dans un livre, renvoie le lecteur à sa propre histoire.