Le non-agir, c'est ne rien attendre. Si tu espères quelque chose, tu crées celui qui espère, et tu as déjà commencé à agir, m'expliqua Anandababa. Sans attente, sans idée de succès ou d'échec, sans espoir de récompense, qui agit ? L'acte est accompli.
L'inconnaissance du Soi-même en état de rêve s'interrompt naturellement lorsque nous nous réveillons. Comment se réveiller de l'hypnose de l'état de veille ?
Le roi qui croit manquer de quelque chose souffre des affres de la pauvreté comme un mendiant. De même, l'homme qui croit être son corps est assujetti à la nais- sance, à la maladie et à la mort. Mais s'ils'affranchit de cette croyance, il retrouve la joie. Sous l'influence de maya celui qui est parfait pense ne pas l'être.
Le renoncement n'est pas un abandon des choses et des êtres par moi ou pour moi, enseignait Anandababa, parce que ce moi n'existe pas. Vairâgya est un abandon métaphysique qui signifie la dissolution des passions, du moi- mon-mien et de maya, le monde.
Ce qui est important , ce n'est pas ce qui est écrit , c'est ce que cela peut nous faire dire et, pour le dire , ce que cela nous permet de questionner . Plus le texte suscite de questions plus il est précieux , car il nous donne la possibilité de nous faire frôler l'infini du sens .
À Buria, un autre renonçant avait lui aussi décidé de quitter son corps.
Il méditait au bord du Gange, là où le lit du fleuve est étroit et profond, et son cours tumultueux. Être ou ne pas être ? Il avait choisi. Il allait sauter.
Sadhûs et pèlerins venaient honorer d'encens, de guirlandes de fleurs et de pranam ce darshan ultime, et nous nous joignîmes à eux pour nous courber devant l'homme qui avait résolu de mourir. Il avait peut-être cinquante ans, maigre, un peu usé, les yeux ouverts. Décidé, serein, concentré. Libéré.
Soudain, il se leva, courut jusqu'à la berge et sauta dans les flots rugissants où il disparut en un instant.
La suite de l'histoire se passe pour lui dans la cataracte où, dans un environnement asphyxiant, son corps est secoué, cogné, brisé, désarticulé, écrasé. Il respire l'eau glacée puis perd conscience dans un ultime tourbillon. Fin. Sur l'écran de la conscience, une lumière sans image. Ou le noir. Lui le sait. On ne sait rien.
- Qu'as-tu vu, Connor (1)?
- Rien de spécial. Un homme qui m'a regardé le saluer. Il était indifférent.
- Il sacrifie le monde en sacrifiant son corps. Cette mort sans peur lui garantit qu'il ne renaîtra pas, assura Anandababa (2).
- Babaji (3), vous avez dit que nous ne sommes pas ce corps, que nous ne sommes pas nés ! intervins-je. Quoi qu'il arrive il ne renaîtra pas !
- Tu fais rire Babaji. Cela, tu ne l'as pas vu.
- Prassad (4) fait rire Prassad, Babaji, avouai-je.
- Qu'as-tu vu ?
- J'ai vu un homme qui a préféré ne pas être me regarder dans les yeux calmement. Le darshan de l'adieu. Par son choix, il m'a dit : "Tu n'es qu'une illusion." Mais n'est-ce pas prendre la philosophie trop au sérieux que de la conduire à cet extrème du mépris de la vie ?
- N'est-ce pas prendre la vie trop au sérieux que de ne pas l'y conduire ? me répondit Anandababa, hilare.
Dans l'Astâvakra Samhitâ :
Celui qui se considère libre est libre en vérité
Et celui qui se considère limité est limité en fait.
Tu deviens ce que tu penses. (I,11)
Que faut-il en penser ?...
Nous quittâmes Buria
Le renoncement n'est pas l'envers de l'envie, c'est un acte positif. Vous renoncez à courir après la vie, parce que vous affirmez que vous êtes la vie. Le renoncement, c'est abandonner moi, mon et mien. Que pouvez-vous désirer dans cette conscience qui inclut déjà tout ?
Le concept de « péché originel » est une donnée culturelle prégnante. Il est arrivé jusqu'à nous comme une vérité ancienne, biblique pour les croyants et mythologique pour les autres. Il a profondément pénétré la culture occidentale, sa littérature, une partie de sa philosophie et a été un motif d’inspiration récurrent pour l’opéra, la peinture et la sculpture
Ce qui importe, ce n'est pas ce qui est écrit, c'est ce que cela peut nous faire dire et, pour le dire, ce que cela nous permet de questionner. Plus le texte suscite de questions plus il est précieux car il nous donne la possibilité de nous faire frôler l'infini du sens », aimait-il à rappeler, d'une manière ou d'une autre.
Le soir, à Asi Ghat, exception faite d'une lointaine ampoule électrique et de la moto stationnée à proximité, nous aurions pu être vingt ou trente siècles auparavant; l'apparence de ces hommes en haillons safran, dreadlocks et tilak au front se réchauffant à un feu de bois eût été la même. Et notre Conversation aussi. Qui suis-je ? Où suis-je ? Et pourquoi ? Y a-t-il un monde réel ? Existe-t-il une autre conscience que la mienne ? Nous étions hors du temps et de l'espace dans ces questions éternelles qui agitent, inspirent et apaisent les hommes depuis le commencement des temps et suscitent un étrange sentiment de nostalgie pour l'ineffable qui précède et englobe la parole.