Citations de Pascal Lardellier (44)
Et le destin conjugal était terne ou heureux, selon que le mariage (de raison) fut pesant ou providentiellement scellé par une flamme. Désormais, affranchis pour nombre d’entre nous de ce poids moral, nous sommes libres, de manière vertigineuse. Mais le prix à payer pour être heureux en couple, c’est que le sentiment amoureux et le désir doivent être ressentis de manière mutuelle et continue. Et ceci, c’est aléatoire, et surtout épuisant.
« La page du livre n'est pas tournée, et le livre est toujours à la page. Pour d'évidentes raisons symboliques, techniques et ergonomiques, il a même de beaux jours devant lui, alors que de nouveaux rites, de nouvelles manières de lire, seul ou en groupe, et d'entendre lire sont inventés, comme pour régénérer ses vieilles racines par de jeunes pousses »
Pascal LARDELLIER « Pratiques de lectures étudiantes à l'ère d'Internet » (p.57)
« Chaque média est contraint de découvrir ou redécouvrir son originalité face au nouveau moyen de communication qui s'installe »
Les hommes ont peu de droits dans cet univers, ils doivent seulement obéir. La métaphore commerciale anime tout le site, l’utilisatrice toute-puissante pouvant « faire son marché », grâce à une « shopping list » qu’elle a préalablement établie sur la base de critères. Ce site exige une bonne dose d’humour, et il rencontre beaucoup de succès auprès d’une clientèle jeune, maîtrisant parfaitement les codes relationnels parodiques des réseaux sociaux.
Les relations amoureuses se plient à un impératif de rendement, d’efficacité et de rentabilité. Les fiches perso mises en ligne doivent être vendeuses et impactantes pour être remarquées, car concurrencées par des milliers d’autres. Ces adjectifs sont issus du coaching, qui contamine l’espace de la relation intime.
En fait, quand zapper ou swiper devient un réflexe, quand la sélection se fait sur une image, un mot, une impression, eh bien, c’est l’ensemble du cheminement de la drague qui s’accélère et atteint une vitesse folle. Sans qu’il faille voir dans ce jeu (le game) trop de morale. Après tout, la drague a toujours relevé d’un jeu, de stratagèmes calculés mettant la dissimulation au cœur de la tactique. La littérature classique donne des exemples depuis longtemps de ce poker menteur qu’est souvent la drague.
Les pratiques amoureuses numériques sont particulièrement absorbantes. Et nombre de ses adeptes sont affectés par une « Net-addiction68 ». Ceci illustre plus largement l’obsession du lien et la « tyrannie du branchement » (Dominique Wolton) caractéristiques de notre époque d’individualisme connecté.
La chose peut paraître d’autant plus étonnante que l’on commence toujours à dialoguer avec des anonymes. L’amour ne serait donc pas si aveugle que ça.
Chercher l’amour, c’était être en quête de sa moitié, selon la formule consacrée. Cette fois-ci, on se mit à chercher son double, tant cette dimension prit une importance prépondérante dans les options et stratégies des acteurs.
On cherche là, en règle générale, à partager ou à retrouver les valeurs religieuses et culturelles qui sont celles de son milieu et de son éducation. D’aveu d’internautes ayant délaissé les généralistes pour ces sites spécialisés, « on est là entre nous », « on se sent compris », « on est fidèle à nos valeurs ». Car en amour, l’adage « qui se ressemble s’assemble » se vérifie beaucoup plus dans les faits que « les contraires s’attirent ».
Quand on se rencontre, on couche généralement rapidement si le feeling est là. Car on avait « pris de l’avance ». Et c’est ensuite que les sentiments viendront et qu’une relation se mettra peut-être en place. C’est très souvent ainsi que ça se passe.
Révolution amoureuse, les nouvelles technologies constituent avant tout une révolution relationnelle. D’ailleurs, j’expliquais dès 2003 que le Net sentimental allait devenir le paradis des mères célibataires et des hommes timides. Les uns et les autres, en effet, pouvaient y draguer sans avoir à supporter les contraintes du regard social.
Notre époque est celle d’une profonde crise de la rencontre, sur fond de méfiance entre les gens et entre les genres. Mais aussi d’une nouvelle guerre des sexes, judiciarisant les rencontres sentimentales et ringardisant la drague IRL.
Dans une société où les individus sont libérés de toutes les règles et contraintes, l’épreuve de la solitude est réelle, comme est douloureuse la prise de conscience de l’immense difficulté qu’il y a à entrer en contact avec autrui ».
Et des cohortes de personnes qui auparavant seraient restées en couple s’en sont libérées pour, célibataires de nouveau, revenir sur le marché de la rencontre. Car on ne rencontre plus une fois dans sa vie, comme avant, mais souvent, et même fréquemment.
Un altruisme conjugal s’imposait auparavant par la force des choses. S’aimer, pour le meilleur. Mais même le moins bien, on n’en veut plus.
Désormais, il y a mille façons de vivre son célibat. Rares sont ceux qui ont choisi de vieillir seuls, entourés de leurs petites habitudes, de leurs passions, de leurs amis et/ou de leurs amant(e)s. La grande majorité est dans un célibat d’attente et à ce titre aux aguets.
Le célibataire se définit par rapport au mariage, et en opposition à lui. Le sens social de ce mot a évolué, il s’est ouvert pour inclure toutes les personnes vivant seules, qu’il s’agisse de célibataires stricto sensu, de divorcés non remariés ou encore de veufs sans enfants. Et ils constituent les gros bataillons des sites et applis de rencontres, avec un engagement générationnel et socioculturel différencié.
La solitude est le revers de l’individualisme caractérisant notre époque. La solitude, ce « mouroir de l’âme » exprimée en des vers célèbres par maints poètes et interprètes. « La solitude, ça n’existe pas » (Gilbert Bécaud) ?
Et il convient de rappeler « qu’avec Internet, nous sommes entrés dans l’ère des solitudes interactives. Dans une société où les individus sont libérés de toutes les règles et contraintes, l’épreuve de la solitude est réelle, comme est douloureuse la prise de conscience de l’immense difficulté qu’il y a à entrer en contact avec autrui ».
La quête du bonheur et l’impératif à jouir, à profiter sont les nouveaux mantras d’une époque ayant érigé la « tyrannie du plaisir » en injonction, paradoxale d’ailleurs, tant se lèvent en même temps un puritanisme d’un autre ordre, et une méfiance généralisée d’autrui. Il est clair que le post-#MeToo et la séquence épidémique n’arrangent pas cela, et vont même accentuer la tendance à la défiance et à la bonne distance ; si, bien sûr, il ne saurait être question de tout ranger dans le même panier, car il ne faut pas perdre de vue la violence des relations qui ont engendré ce mouvement.