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Critiques de Patricia Hill Collins (3)
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La pensée féministe noire

La lecture de cet essai m'a paru interminable et exténuante. Parsemée au demeurant d'informations intéressantes – en particulier sur l'histoire des conditions de vie des Noires américaines et des mouvements féministes noirs depuis l'époque de l'esclavage jusqu'au néolibéralisme – et épisodiquement de sources de réflexion stimulantes – notamment le concept de « matrice des oppressions » –, elle a été cependant caractérisée par la répétition infinie de quelques idées avec des longueurs épuisantes, et par le sentiment de toujours « tourner autour du pot » : seule la pratique de « l'attention flottante » a rendu possible cette lecture jusqu'à la fin de l'ouvrage.

Au départ, j'ai cru que le livre était simplement mal écrit, comme un très long brouillon de notes de recherche, sans hiérarchisation des découvertes-clés, sans aucune distinction entre vieilles idées éculées et nouvelles réflexions personnelles, brouillon auquel il aurait manqué cette phase, essentielle pour nous Français, de synthèse et de mise en forme de démonstration scientifique de nos résultats : il arrive dans le monde universitaire anglo-saxon que des travaux soient ainsi publiés prématurément. D'autant plus que le titre du volume, ambitieux, peut avoir la prétention de désigner un exposé exhaustif de l'ensemble d'une pensée qui s'est développée sur plusieurs siècles, de surcroît majoritairement en-dehors de la production d'un savoir universitaire, à travers le militantisme, la littérature voire la musique blues : le nombre remarquable de références dans le texte, la bibliographie et l'usage des citations font penser à une telle démarche.

De même, le texte est très mal traduit : il comporte de nombreux anglicismes qui mènent jusqu'aux contresens – au moins par rapport au français de France où « éventuellement » n'est pas la traduction de « eventually », où l'on a grand soin de distinguer « objectivation » de « chosification » ou « réification », où l'on distingue « sécuritaire » de « sécurisé » et « licite » de « légitime »...

Par contre, la troisième partie de l'ouvrage, par une explicitation des choix épistémologiques de l'auteure, m'a persuadé que tous les défauts du livre venaient de ce que je considère comme des erreurs fondamentales dans sa démarche scientifique : d'abord dans une compréhension fautive de la théorie de l'hégémonie culturelle de Gramsci (qui, justement, parmi cette pléthore de références, est à peine mentionné, et sans doute comme source secondaire) ainsi que de celle (assez complémentaire) de l'épistémè de Foucault (à peine davantage mentionné). Un certain anti-intellectualisme sous prétexte de réaction au savoir hégémonique du pouvoir dominant, l'inclusion de tout ce qui constitue « l'expérience » de la résistance des femmes noires étasuniennes, de tout ce qui peut être utile à leur empowerment, une subjectivation de l'objet d'étude par l'observateur (la chercheuse), et enfin le refus de l'ethos de la recherche positiviste – basé in fine sur la falsificabilité popperienne (Karl Popper étant le troisième grand « oublié » des chapitres sur l'épistémologie...) au lieu que sur l'équivalence des points de vue subjectifs, m'ont semblé constituer des tares rédhibitoires qui, en excluant la rigueur de la démonstration, s'avèrent préjudiciables non seulement à la qualité de ce travail imposant, mais surtout nuisibles à la crédibilité d'une branche d'études qui n'est visiblement pas encore paradigmatique, même dans les « studies » des universités américaines, alors qu'elle pourrait désormais l'être. Antonio Gramsci avait compris comment faire bouger les lignes de la culture dominante, Patricia Hill Collins, à l'inverse exact de ses intentions, disqualifie ce qu'elle essaie de promouvoir.

Par son absence de rigueur, et également sans doute par son piètre d'intérêt à l'égard d'une méthodologie comparatiste, j'ai trouvé paradoxalement la thèse la plus intéressante de l'essai dans ce que l'auteure tente de réfuter à plusieurs reprises : le schéma de la « matrice des oppressions » et également les contenus propres des « archétypes normatifs négatifs » (que l'on pourrait appeler simplement les « préjugés stigmatisant », ce qui éviterait de se demander si ces préjugés sont vraiment archétypaux...) s'appliquent parfaitement à l'identique aux femmes discriminées d'Europe et sans doute d'ailleurs aussi. Si l'auteure insiste, non sans raison, sur les spécificités étasuniennes des anciennes conditions de vie des esclaves, puis sur le cadre normatif de la ségrégation et des luttes pour les droits civiques, sur la particularité de l'organisation communautaire afro-américaine avec ses propres Clubs d'émancipation, ses propres églises, la ghettoïsation institutionnalisée des écoles, des quartiers de résidence, des services de santé, voire même de l'assistance sociale, les dégâts dans le tissu social provoqués par les politiques néolibérales et sécuritaires à partir des années 1980, il est très intéressant de constater que c'est le contraire de ce que voudrait montrer l'auteure qui est vrai : par rapport aux femmes racisées d'Europe les discours racistes sont les mêmes (notamment sur les disqualifications de leur maternité, de leur féminité et sur les stigmates sexuels), leurs stratagèmes de résistance aussi, enfin les tentatives de coalition entre les différents mouvements militants et leurs échecs identiques. Il semblerait même que le communautarisme étasunien, dans la mesure où il confère de la force à l'organisation politique de la résistance contre les oppressions/discriminations, se délite progressivement sous les attaques de la fragmentation des classes précarisées, des identités collectives « sur mesure » et des accusations de « séparatisme ».







Table



I. La construction sociale de la pensée féministe noire :

1. La politique de la pensée féministe noire

2. Distinguer les caractéristiques de la pensée féministe noire



II. Les thèmes centraux de la pensée féministe noire :

3. Travail, famille et oppression des femmes noires

4. Nounous, matriarches et autres archétypes normatifs

5. le pouvoir et l'autodéfinition

6. La politique sexuelle et la féminité noire

7. Les relations amoureuses des femmes noires

8. Les femmes noires et la maternité

9. Repenser le militantisme des femmes noires



III. Féminisme noir, savoir et pouvoir :

10. le féminisme noir étasunien dans un contexte transnational

11. L'épistémologie féministe noire

12. Vers une politique de l'empowerment
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La pensée féministe noire

Avec 'La pensée féministe noire' la sociologue Patricia Hill Collins théorise les différentes luttes et formes de résistances mises en place par les femmes noires confrontées à la fois aux dominations sexiste et raciste. Dans sa préface (ou plutôt ses préfaces : celle de la première édition puis celle de la réedition), elle revient sur comment lui est venu l'idée de ce livre et de sa situation parfois compliquée à tenir entre sa position de chercheuse académique et ses prises de position ou son activisme.
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La pensée féministe noire

Collaboration et confrontation nécessaires pour construire le savoir et bâtir des coalitions



« Traduire est une leçon d’humilité. Comme auteure, il faut s’effacer devant le style de la personne que l’on traduit. Comme intellectuelle, il faut se couler dans la façon de penser d’une autre intellectuelle. Comme Blanche, il s’agissait de rendre le mieux possible les idées d’une féministe noire qui non seulement veut retrouver sa voix mais veut rendre compte des idées occultées, supprimées ou rendues inaudibles des femmes noires étasuniennes ». Diane Lamoureux s’explique sur sa place en tant que chercheuse féministe blanche québecoise, sa traduction et ses choix de vocabulaire.



La traductrice aborde, entre autres, la conjonction « de divers systèmes de domination qui structurent la vie des femmes noires aux Etats-Unis, que ce soit le genre, la race, la classe, la sexualité ou le rapport à la nationalité », la compréhension que « l’enchevêtrement de ces diverses formes d’oppression a façonné l’expérience des femmes noires aux Etats-Unis mais aussi leurs formes de résistance à l’oppression », la pensée du projet féministe « à la lumière de leur expérience singulière », ce que dit et ne dit pas la catégorie « femme », l’oppression de toutes les femmes et « toutes ne le sont pas de la même façon », le privilège blanc…



Diane Lamoureux poursuit avec les apports cognitifs et épistémiques de féminismes de la « marge », l’inaudibilité de la parole des groupes minorisés, la constitution des savoirs et les mécanismes de pouvoir, « Il s’agit maintenant aussi, et l’opération est toujours problématique, de fournir à travers le féminisme un contexte où ces expériences qui ne trouvent pas toujours les mots pour le dire, sans parler de se faire comprendre ni l’autorité pour faire entendre ce qu’elles ont à dire, de s’exprimer », l’impossibilité de voir dans des expériences particulières « le « tout » de l’expérience des inégalités de genre », de faire des luttes des « femmes marginalisées » la lutte de toutes, la réflexion féministe à plusieurs voix…



Elle indique les raisons pour lesquelles l’ouvrage de Patricia Hill Collins l’a interpellée, le vécu et l’expérience des femmes noires des Etats-Unis « pour formuler des enjeux théoriques », la réflexivité sur leur situation et leur capacité d’agir « dans des circonstances souvent extrêmement difficiles », le savoir comme capacité de réflexion et non comme sanction institutionnelle, la masse de connaissances disponibles et « leur rôle dans la constitution d’une tradition intellectuelle de résistances et de luttes », le caractère transnational des luttes féministes, les politiques de coalition…



Dans la préface à la première édition, Patricia Hill Collins donne des éléments d’autobiographie, « Je ne voyais rien de mal à être ce que j’étais, mais apparemment plusieurs autres n’étaient pas de cet avis », l’infériorité enseignée, « le fait d’être une Africaine-Américaine, une femme de milieu populaire », la réduction de soi au silence, le remplacement des définitions extérieures par « mon propre point de vue autodéfini »…



L’autrice explique le contexte et les choix d’écriture de son livre, « je voulais faire un livre intellectuellement rigoureux, bien documenté tout en demeurant accessible à un public plus large que les quelques privilégié·e·s qui ont reçu une éducation supérieure » (elle insiste à très juste titre sur ces formes d’écriture qui « exclut ceux et celles qui ne parlent pas le langage des élites et, du coup, renforce les rapports de domination » – bien des universitaires devraient écouter et entendre cette leçon !), la place centrale des expériences des femmes noires, « Afin de saisir l’enchevêtrement de la race, du genre et de la classe sociale dans la vie des femmes noires et son effet sur la pensée féministe noire, je refuse de fonder mon analyse sur une seule tradition intellectuelle », les citations de « penseures africaines-américaines » et leur « gamme de voix »…



Elle indique aussi que « présumer que seules quelques femmes noires d’exception ont pu faire de la théorie uniformise les Africaines-Américaines et réduit la majorité d’entre elles au silence » et soutient que « la théorie et la créativité intellectuelle ne sont pas l’apanage d’une petite élite mais provient d’une diversité de personnes ». Elle discute des idées et des actions quotidiennes, des activités banales et de leurs liens avec les enjeux théoriques, « sans cette implication dans le quotidien, la théorie présente dans ce ouvrage se serait trouvée grandement appauvrie ». Il me semble important de souligner le passage sur la créativité intellectuelle trop souvent circonscrite aux seules formes universitaires.



Patricia Hill Collins aborde l’« instabilité interne » de la plupart des théories, explique son choix « de ne pas insister sur ses contradictions, ses frictions internes et ses incohérence » (en fait son écriture même donne à voir ces éléments) tout en espérant d’autres ouvrages « plus enclins à présenter la pensée féministe noire comme une mosaïque en construction faite d’idées et d’intérêts contradictoire ».



Elle termine cette première préface sur la « nécessité de combiner subjectivité et objectivité dans la construction du savoir scientifique », l’usage du « je », du « nous » et de « nos », « En écrivant ce livre, j’en suis venue à envisager ma contribution comme une composante d’un processus plus vaste, comme une voix dans une conversation parmi des gens réduits au silence »…



« Je pressentais que les Africaines-Américaines avaient créé un savoir collectif qui servait ce même objectif de contribuer à l’empowerment des femmes noires. La pensée féministe noire visait à rendre compte de l’existence de ce savoir et à en cerner les formes ». Dans sa préface à la deuxième édition, l’autrice parle, entre autres, de l’oeuvre intellectuelle des femmes noires, de la possibilité « d’être centrée sur ses propres expériences et impliquées dans des coalitions avec les autres », d’empowerment des femmes noires et des conditions de la justice sociale…



Patricia Hill Collins souligne certains changements dans son ouvrage, « dans cette nouvelle édition, mon analyse va au-delà de la race, de la classe ou du genre pour traiter de la sexualité comme forme d’oppression », l’importance des « liens entre le savoir et les rapports de pouvoir », la nationalité comme forme d’oppression, les dimensions transnationales, « Plus spécifiquement le féminisme noir des Etats-Unis doit saisir les points communs qui unissent les femmes afrodescendantes tout comme les différences qui émergent de nos diverses histoires nationales », les grandes idées de l’afrocentrisme, l’injustice sociale comme problème collectif et donc nécessitant « une solution collective »…



Il m’a semblé nécessaire de m’attarder sur le texte de la traductrice et les deux introductions de Patricia Hill Collins. En quelques pages, la lectrice et le lecteur peuvent saisir le propos dans sa dynamique et son épaisseur.



Sommaire :



I. La construction sociale de la pensée féministe noire



1. La politique de la pensée féministe noire



2. Distinguer les caractéristiques de la pensée féministe noire



II. Les thèmes centraux de la pensée féministe noire



3. Travail, famille et oppression des femmes noires



4. Nounous, matriarches et autres archétypes normatifs



5. Le pouvoir de l’autodéfinition



6. La politique sexuelle de la féminité noire



7. Les relations amoureuses des femmes noires



8. Les femmes noires et la maternité



9. Repenser le militantisme des femmes noires



III. Féminisme noir, savoir et pouvoir



10. Le féminisme noir étasunien dans un contexte transnational



11. L’épistémologie féministe noire



12. Vers une politique de l’empowerment



Patricia Hill Collins nous propose des analyses de l’imbrication des rapports sociaux (enchevêtrement des systèmes de domination), de la longue histoire des stigmatisations, des cultures populaires, de la construction des savoirs, des résistances des femmes Africaines-Américaines…



L’autrice discute en détail des réalités sociales et politiques, sans cacher les contradictions à l’oeuvre ou les choix de certain·es. Sa méthode d’exposition permet de saisir les multiples dimensions de la vie des femmes noires, les tensions à l’oeuvre tant vis-à-vis des hommes noirs que des femmes blanches…



Contre les dénis ou les simplifications, l’autrice trace des possibles émancipateurs du coté de la justice sociale pour toustes et d’un féminisme radical qui ne s’auto-limite pas à une perception négligeant ou niant l’imbrication/enchevêtrement des formes d’oppressions (genre, race, classe, sexualité, rapport à la nationalité, etc.)…



Au total, un livre d’un apport essentiel, une lecture hautement recommandable pour toustes. Une invitation aussi à connaître et faire connaître de multiples œuvres de féministes Africaines-Américaines.



Le titre de cette est inspiré d’un phrase de l’autrice (chapitre 10)



J’ai laissé de coté certains aspects qui mériteraient, me semble-t-il, des discussions approfondies. Je voudrais cependant terminer par deux remarques.



Les travaux des féministes en France ont permis de montrer que les femmes ont toujours travaillé. Je ne suis pas sûr que la situation était différente pour la majorité des femmes blanches aux Etats-Unis. Sans oublier les paysannes qui ne furent jamais inactives, qu’en est-il des millions de femmes ouvrières et employées (blanches) ne pouvant être qualifiées comme appartenant aux classes moyennes ? Par ailleurs, la situation des Africaines-Américaines dans les Etats où n’existait pas l’esclavage mériterait des développements spécifiques.



Beaucoup d’éléments pris en compte et analysés par Patricia Hill Collins pourraient être appliqué aux recherches sur d’autres groupes sociaux dominés.



C’est pour moi, un très grand mérite de l’autrice d’avoir, par la force et l’épaisseur de ses analyses – dont l’accent mis sur les apports cognitifs et épistémiques -, mis en perspective les imbrications historiques des rapports de pouvoirs spécifiques et les actions et résistances – ici des femmes Africaines-Etasuniennes. Elle trace ainsi des pistes qui aident à la compréhension d’autres imbrications historiques et d’autres résistances (« chaque groupe identifie l’oppression qui lui est la plus familière comme celle qui est fondamentale et confère moins d’importance aux autres ») ; les politiques de coalition devraient y occuper une place importante. Le spécifique n’est pas noyé dans un universel abstrait et désincarné, il participe d’une vision à engagement universalisant, ou plus exactement pluriversaliste…
Lien : https://entreleslignesentrel..
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