Les gens, aujourd'hui, mangent parce qu'ils ne peuvent faire autrement, sans y prendre aucun plaisir, trop occupés ailleurs.... Dans les temps, la nourriture était respectée. L'homme connaissait le prix des choses et la peine que cela avait demandée. Une simple pomme de terre n'arrivait pas dans l'assiette par miracle. Il avait fallu la planter d'abord, après avoir fumé le sol, bêché ensuite, émietté les mottes de terre enfin. Il avait fallu sulfater les plants contre la maladie, les protéger du gel, lutter contre les doryphores, piocher, butter, arracher, faire sécher, ramasser, transporter, stocker !
Une simple pomme de terre représentait du travail, de la patience, de l'inquiétude et de la sueur. Et je ne parle pas de la tranche de lard qui l'accompagnait parfois...
-Je suis venu voir si je peux être utile d'un moyen ou d'un autre, dit le brave homme.
-Comment que tu viens, qui est-ce qui cause, Antoine l'ami ou Mathieu le maire ? questionne le Vieux
-Nous sommes venus ensemble, Paul.
A l'approche de la grange, c'est au tour du cheval de venir se coller contre la clôture pour saluer son maitre. Car il est toujours là, le vaillant compagnon. Le père aurait eu vergogne à s'en séparer après l'achat du tracteur. Il ne pouvait pas après tant de saisons passées à trimer ensemble, après tant de travaux acharnés. On ne trahit pas un ami...Le cheval finira ici, tranquillement, à rendre de menus services encore de temps en temps....Même si les quelques billets de sa vente font défaut, le cheval ne subira jamais la masse ni le couteau du boucher. Il y a assez des brebis de réforme pour ça !
Ce n'est rien, une existence. On pense posséder l'éternité alors que l'extrémité du parcours surgit avant même le signal du départ. Un parcours de peine et de trime, sans étape. En se disant toujours qu'après viendra le temps de souffler un peu...Après quoi, grands dieux?
C'est peut-être ça finalement. L'horloge qui chemine vers la fin du voyage....Souffle le vent et mouille la pluie, coulent les ans et s'use la vie. Le temps qui passe.
Va-t-on enfin en toucher le bout de cette engeance qui tient nos fils loin de leurs terres et laisse l'ouvrage aller à vau-l’eau ?...Les journées ne suffisent plus depuis que le fils est sous les drapeaux, avec le risque d'être embarqué d'un moment à l'autre pour l'Algérie, comme tant d'autres déjà, pour revenir estropiés ou pas du tout.
Ah non, pas de soupe! réplique Julien. Je vais me faire un café.
Tiens, voilà une nouveauté, constate le Vieux avec dépit. Plus de soupe à présent : du café...ça doit tenir le ventre, ça! Le Petiot ramène de drôles d'habitudes de son service...Comme si une bonne soupe épaisse des légumes du jardin, avec une goutte de vin pour les vitamines, ce n'était pas la meilleure nourriture avant d'affronter la journée...