Le lendemain, Naita m’attend sur le chemin de l’école. Nous marchons un moment tous deux, sans rien dire. Nous soulevons de petits nuages de poussières en avançant.
- Je suis désolée pour hier. Mes parents ont pensé que ça te ferait plaisir.
Je hausse les épaules.
- Ils sont aussi fou que les tiens.
Non, ses parents sont à des kilomètres d’être aussi dingues que les miens. Nous, nous vivons dans une cage ; eux nous observent de l’extérieur et nous lancent des cacahuètes. Ou des puzzles. Selon ce qu’ils ont sous la main. Ils sont au zoo ; nous sommes l’attraction.
Philippe Nicholson - Le principe du palindrome
Ce que Charles-Emilienne Potomak ignorait- et qu’elle ignora d’ailleurs jusqu’à son dernier souffle -, c’était que les livres, une fois la nuit venue, se mettaient à vivre de leur vie propre. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, c’était pourtant très exactement ce miracle qui se répétait quotidiennement dans cet appartement de l’Île Saint-Louis – mais aussi au sein de toutes les bibliothèques, médiathèques, librairies et autres étagères où des romans prenaient leur place. Dès que le soleil s’éteignait, entre chien et loup, du nord comme au sud et du levant jusqu’au couchant, les personnages s’ébrouaient entre leurs pages. Puis, ils risquaient un regard discret à l’extérieur. Lorsque la voie leur semblait libre, alors, ils quittaient leurs volumes et, en toute décontraction, allaient se dégourdir les jambes et deviser de choses et d’autres avec leurs voisins.
Une nuit, alors que rien ne présageait la tragédie qui allait s’ensuivre et que la critique dormait à poings fermés, ce petit peuple de la fiction décida de se révolter.
(dans la nouvelle de Jean-Paul Delfino La vie cachée des livres)
Sur l’instant, et dans un ordre qui restait encore à établir, les millions de personnages composant les dizaines de milliers de romans qui dormaient dans les bibliothèques, entreraient dans le crâne de la critique. Compte tenu de la taille de chacun, ils pénétreraient sans encombre par l’oreille gauche de la dormeuse, raconteraient leur histoire en une fraction de seconde. Puis, ils ressortiraient par le pavillon droit, une fois leur besogne accomplie.
(dans la nouvelle de Jean-Paul Delfino La vie cachée des livres)
Parmi les éléments-clés de cette culture, dont l'anarchie apparente relève aussi parfois de l'intelligence politique, les montres ont une place particulière, intellectuelle, sans doute parce qu'ils sont un des "reflets de l'âme", mais aussi ludique et généreuse, parce qu'ils nous permettent de nous réfugier dans un monde où la peur est maîtrisable, parce que leurs créateurs ont su user d'eux pour décaler leurs discours, avec humour souvent, sens de l'horreur parfois, imagination toujours.
Femmes, enfants, hommes, vieillards, monstres mythologiques, créatures de l’espace, insectes horrifiques dont Gégoire Samsa n’était que le plus célèbre, animaux à poils, à plumes, à écailles, à sang chaud comme à sang froid : tout ce que les écrivains avaient pu créer comme personnages nécessaires à leurs fictions agirent sur la harpie à la façon d’une décharge électrique.
(dans la nouvelle de Jean-Paul Delfino La vie cachée des livres)