Le froid attaque ses yeux mais il résiste. Emmitouflé dans sa parka, il patiente en comptant les mi nutes. Pour lui c’est un exploit… La patience n’est pas son fort. Il a bien dû regarder l’heure vingt fois sur son portable. Il passe de la consultation de ses mails à l’envoi de sms et alterne des messages sur WhatsApp et sur Facebook. Il n’a pas la dextérité de la génération qui suit, mais s’en sort bien.
Dès que les hommes s’accordent un pouvoir extraordinaire au nom de la sacro-sainte sécurité, tu peux être certaine que les droits des citoyens seront réduits, mis à mal, voire bafoués. Les libertés individuelles seront sacrifiées au nom de l’intérêt général pour laisser place à la suspicion à la méfiance au racisme et à l’exclusion. Or notre ville n’existe sur la carte du monde que par son aspect pluriel. Nous cohabitons avec des citoyens en provenance de plus de cent quatre-vingts pays. Notre pays laïc laisse à chacun le choix de pratiquer ou non sa religion. J’aime ce pays et sa démocratie dont les organes célèbrent aussi notre surréalisme.
L’homme, l’autre sexe, celui qui n’enfante pas, qui ne nourrit pas, qui mène la danse, mais qui n’est rien, dont on pourrait très bien se passer mais qui devra d’abord affronter ses démons. Rentrer chez lui n’est donc pas une option. L’inspecteur s’affale sur un banc du Square du Petit Sablon. Les statues en bronze des qua- rante-huit métiers, posées sur leur colonne le regardent en se moquant. Alors, inspecteur, on glande ? L’Etat Belge et ses neuf provinces, du haut de leur massif floral, vous regardent avec attention. Etes-vous certain que l’on puisse parler d’un métier honorable dans votre cas, inspecteur ?
La vie n’a pas dû lui faire de cadeaux. Il a dû se sentir impuissant à changer le cours de
son quotidien qui le dégoûte. Banlieusard, sans le sou, boutonneux, mal dans son corps, incapable de se débarrasser des
clichés qui lui collent à la peau, il a fini par se confondre avec le vrai Sergio qu’il a renoncé à chercher. La nuit doit être son
territoire. Aux frontières des interdits, l’illusion est reine. On
peut prétendre être qui l’on veut. Mener le jeu par l’excès auprès des indécis, des lâches ou des imbéciles qui attendent un chef à suivre pour oser.
C’est horrible de prendre conscience qu’il n’a rien d‘un hé ros. Tous ses rêves d’enfance le mettaient pourtant en scène dans le rôle du sauveur de la veuve ou de l’orphelin. Il faut dire que le pauvre Alidor n’en avait ni le look ni le pathos. Et si la jeune femme à la mèche blanche avait été agressée par la bande, aurait-il réagi ? Il pense que oui et sa honte progresse encore d’un point sur l’échelle du manque de confiance en soi.
Chacun de ces jeunes est-il responsable à titre individuel de son propre geste ? Dans ce cas quelques coups portés se punissent rarement. A l’inverse, si chaque geste est relié aux autres comme s’il s’agissait d’une intervention préméditée et si leur enchaînement a provoqué la mort, leur acte pourrait être qualifié de coups et blessures ayant entraîné la mort avec ou sans intention de la donner.
Entre séduction et attirance, ce
ne sont pas que des prémices inconscientes. Un besoin qui naît de l’autre, de sa présence ou de son rire. Leur gestuelle parle pour eux. Postures ouvertes, rires forcés, comme des séquelles d’adolescence sans acné mais emplis de gêne. Emma replace ses écouteurs orange sur les oreilles et relève la tirette
de la fermeture Eclair de sa vareuse rouge. Des effluves de
jacinthes sauvages envahissent la pièce.
Attentionné, drôle, intelligent et bien dans sa peau, Peter fut l’amour d’une année magique. Le jeune homme de deux ans son aîné choisit de poursuivre ses études aux Etats Unis. La distance lui rendit la liberté, laissant Emma désemparée et meurtrie. Sa tristesse fut dévastatrice. Emma ne fit pas les choses à moitié. Ne trouvant plus goût à rien, elle perdit dix kilos et pleura chaque jour à chaudes larmes pendant des heures.
Sergio Dufour vient de fêter ses vingt ans, il éprouve le besoin de s’affirmer devant ses amis. Pas vraiment gâté par la nature, boutonneux et un peu gauche, Sergio n’a d’ascendant que sur les mâles de sa bande. Les femmes lui font peur à moins qu’il n’ait sen- ti leur réticence à le laisser s’approcher. Quand il danse, ses gestes sont saccadés et violents tenant plus du combat rap proché que de la danse.
Il est sous le charme, incapable
de se concentrer, aussi niais qu’un adolescent. Pour un peu il
se mettrait à rire débilement la
bouche en coeur et les yeux en amande. Il se sent doublement troublé car ce n’est pas son
genre de tomber amoureux dès les premiers regards. Il déteste les raccourcis ou les clichés. Il a toujours refusé de tomber dans
le travers qui résumerait une
personne à son apparence ou à ses attitudes.