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Citations de Paule Baillargeon (36)


Il est dans la porte et il dit, eh que j’te violerais toi. Après il parle encore, des morceaux de mots sortent de sa bouche, qui font semblant que les mots précédents n’ont pas été dits…

(Les herbes rouges, p.43)
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J’ai trente-deux ans. Je découvre que je ne suis pas folle, ou alors il y a beaucoup de folles comme moi. Des femmes racontent leur vie, leurs humiliations, leur invisibilité, leur souffrance inouïe à regarder la vie qui passe sans elles. Cela s’appelle un mouvement, une vague gigantesque qui balaie tout sur son passage, et je suis dedans, avec toutes ces autres, dans l’ivresse des commencements à surfer sur la crête d’écume. Je suis jeune encore, et je me prends pour une autre, une femme pour qui tout est possible, même l’impossible. Des femmes font la révolution et je veux l’attraper pendant qu’elle passe. Je sais qu’elle ne durera pas. C’est trop gros pour durer. L’histoire est en marche, il faut la raconter. Je décide de faire un long métrage. Ça s’appelle La Cuisine rouge. J’ai les idées bien arrêtées. Les femmes ne sont rien, ça les rend folles. Les hommes sont tout, ça les rend idiots. Beau couple, éternel comme l’enfer.
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C’est pour ça que ça me prend un fusil. Avec un fusil, tout irait mieux. Je pourrais le glisser sous mon lit, et quand les hommes défonceraient ma porte, j’aurais un fusil.

(Les herbes rouges, p.25)
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Ce matin, je suis allée au village, et en longeant le lac, j’ai vu qu’il était entièrement gelé. Il n’y a rien qui me fasse autant plaisir que la vue soudaine au détour du chemin d’un beau grand lac par une belle journée ensoleillée, alors qu’un vent léger bouge l’eau juste ce qu’il faut. Pendant quelques instants, j’ai eu la fièvre du printemps, je me suis imaginée partir sur la route sans prévenir, dans ma nouvelle petite voiture rouge, filer, rouler quatre cent milles, aller revoir le lac primordial, celui qui me connaît, celui qui sait tout de moi, rouler sans m’arrêter, rouler, rouler jusqu’à la plage, entrer dans le lac avec l’auto dans un grand bruit, ouvrir la portière, et me laisser glisser dans l’eau bien-aimée qui me laverait de ma fatigue. Mais ce lac n’existe plus que dans ma mémoire. La dernière fois que je l’ai vu, des poissons gisaient sur sa rive, et plus personne pas la moindre famille, pas le moindre petit enfant ne s’aventurait dans ses eaux polluées.
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Mon problème, c’est que je voudrais détester pleinement ma mère, elle qui m’a fait tant de mal, et parfois j’y arrive vraiment, alors cela me rend joyeuse et claire, comme le ciel bleu acier d’un hiver cinglant, je la déteste et c’est tout, je peux vivre ma vie. Mais ça ne dure jamais longtemps, toujours la culpabilité revient, et l’incertitude aussi, était-elle vraiment méchante, et surtout, comme maintenant, après avoir raconté les tentatives futiles de ma mère pour être quelqu’un, je suis touchée, elle me touche, elle me touche encore. »

« Un peu plus tard j’ai fait connaître à ma mère Jean-Paul Sartre Camus Colette Simone de Beauvoir Marguerite Duras et combien d’autres. Jusqu’à ce qu’elle devienne trop aveugle pour lire, elle était une lectrice boulimique, capable d’apprécier le style et la profondeur des propos, et si d’aventure une de ses connaissances lui prêtait un genre de livre à la mode best-sellers et autres biographies, elle le mettait vite de côté en disant qu’elle ne pouvait pas s’intéresser à une histoire mal écrite. Eh bien jamais une seule de ces innombrables lectures n’a eu la moindre incidence réelle sur sa vie, rien ne change ma mère, rien. C’est ça l’horreur.
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Mon problème, c’est que je voudrais détester pleinement ma mère, elle qui m’a fait tant de mal, et parfois j’y arrive vraiment, alors cela me rend joyeuse et claire, comme le ciel bleu acier d’un hiver cinglant, je la déteste et c’est tout, je peux vivre ma vie. Mais ça ne dure jamais longtemps, toujours la culpabilité revient, et l’incertitude aussi, était-elle vraiment méchante, et surtout, comme maintenant, après avoir raconté les tentatives futiles de ma mère pour être quelqu’un, je suis touchée, elle me touche, elle me touche encore.
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Après la mort de mon père, ma mère a dû ressentir un grand vide, plus personne à accuser. Puis elle a trouvé monsieur Poitras. Monsieur Poitras était un comptable qui avait eu le malheur de vouloir l’aider pour ses impôts, et à propos de qui elle ne tarissait pas d’éloges. Mais monsieur Poitras a fait une erreur, une petite erreur, concernant les acomptes provisionnels de ma mère. Cette petite erreur a coûté quelques dollars à ma mère, mais peu importe, elle a tourné l’histoire dans sa tête jusqu’à ce qu’il lui apparaisse clairement que monsieur Poitras lui avait menti. Je ne sais pas si monsieur Poitras a senti, depuis les quelques kilomètres qui séparaient l’appartement de ma mère du sien, la haine dont il a été l’objet pendant des mois et des mois.
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Je retournai avec ma mère dans sa chambre, et le plus doucement possible essayai de lui faire entendre raison. Ma mère se retourna contre moi, m’abreuvant d’injures, elle savait que j’étais contre elle, je n’avais jamais rien compris, et elle allait se suicider. Elle accompagna cette menace d’un geste de se couper la gorge que je trouvai obscène et d’une violence extrême. La haine de ma mère envers moi était palpable, il ne me restait qu’à partir, ce que je fis, pendant qu’elle commençait à pleurer.
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Ma mère prétend que le médecin, comme d’ailleurs tout le monde à qui elle parle, lui a dit que ce n’était pas sa place ici, et qu’il allait lui trouver un autre endroit, plus approprié à une personne aussi fantastique qui marche monte et descend les escaliers, qui n’est pas une malade mentale comme tous ces autres et qui a une culture quelconque. C’est bien ce qu’elle a dit.
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Ma mère, fidèle à sa manière, ne fournit aucune aide, ne se place pas du bon côté, et ne donne aucune indication susceptible d’aider le pauvre hère plein de bonne volonté qui essaie de communiquer avec cette femme qui pense depuis toujours que seuls les autres doivent travailler à améliorer son sort. Depuis que je suis née, je ne me rappelle pas l’avoir entendue une seule fois, une seule pauvre petite fois, nous demander ce que c’était pour nous d’avoir une mère sourde.
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Pourquoi ma mère n’a-t-elle pas pris exemple sur ma grand-mère, pourquoi ma mère est-elle cette femme qui carbure au malheur, pleine de haine et de désespoir, pourquoi n’est-elle pas comme madame Sirois que tout le monde admirait et aimait qui ne se plaignait jamais et souriait tout le temps et ne tolérait pas qu’on critique son lâche mari qu’elle aimait envers et contre tous? C’est le mystère de ma mère, que rien ne change.
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Je réussis à l’entraîner sur le terrain de son enfance, et soudain elle change. L’amertume qui la défigure quitte son visage, qui redevient celui d’une enfant, je vois la petite fille d’alors, ce visage intelligent, oui, animé par des yeux bleus et vifs, qui racontent toujours la même chose, la Mère Courage, qui semble l’accompagner toujours, dont elle décrit la vaillance inépuisable, le sourire, celle que tout le monde aimait.
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« Même dans un lit d’hôpital encore tout étourdie et ne pouvant pas marcher, elle fait encore du trouble », me dit mon frère désespéré. Les signes vitaux sont bons, la pression est bonne, qu’a-t-elle eu exactement, on ne le saura pas. Ma mère sent qu’on l’abandonne, alors son puissant inconscient agit.
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Essayer de cacher mon amour pour mon père, ne pas manifester ma joie quand il arrivait, jouer à être indifférente, m’enfermer dehors, pour être seule enfin, être seule dans le bois, me perdre dans les décombres de la mine désaffectée derrière la maison, courir à perdre haleine jusqu’au petit ruisseau et tomber la face dans l’eau claire et supplier la Sainte Vierge de m’apparaître, pourquoi pas moi pourquoi juste sainte Lucie, et se relever en blasphémant, maudite Sainte Vierge maudite Sainte Vierge, être seule, l’unique manière d’avoir un peu de bonheur, l’unique manière d’être vivante, avec le chien Noireau qui me suit partout, mon seul ami. Et parfois, le soir, le tour d’auto béni avec papa.
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Oui. Elle était si jalouse. Mon père m’aimait. Tout le monde est d’accord là-dessus. Encore aujourd’hui, ma mère me dit : « Il n’aimait personne à part toi. » C’est peut-être vrai, bien que l’amour de mon père était conditionnel, il pouvait être méchant quand je ne réussissais pas à son goût, quand son enfant si intelligente si talentueuse montrait sa fragilité et ses blessures. Mais il m’aimait. Le courant passait. Malgré tous ses défauts, ses faiblesses et ses imperfections, mon père, au contraire de ma mère, était capable d’aimer. D’avoir eu l’amour de mon père m’a sauvée, c’est bien entendu.
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Ma mère passait son temps à se demander pourquoi monsieur Chauvin lui manifestait tant d’intérêt. Mais sans doute c’est toujours la même histoire, ma mère est incapable d’aimer et tout aussi incapable de concevoir qu’on l’aime.
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Une tête dure comme elle, c’était impossible d’organiser quoi que ce soit, de l’aide à la maison, elle ne voulait pas payer, elle ne voulait rien savoir, elle voulait et ne veut jamais que ses enfants, ses enfants et rien d’autre, maman, c’est impossible, je sais que tu n’as jamais pu imaginer que nous avons des vies, des amours, des responsabilités à notre tour, des bonheurs, des malheurs, des enfants que nous aimons, nous sommes vivants nous aussi, ou du moins nous essayons, et pour l’être un peu, il faut être loin de toi, parce que tu nous manges ma pauvre maman, tu es une mère anthropophage, cannibale, maman ton destin me désespère, pourquoi, que t’est-il donc arrivé?
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Comment ma mère peut-elle être abandonnée comme ça, une femme comme elle, lucide, intelligente, pleine d’énergie, réduite à être couchée sur son lit dans sa petite chambre, à attendre que la vie finisse. C’est monstrueux. La culpabilité m’envahit, la compassion, l’empathie, tout ce qu’elle n’a jamais eu pour moi, ça ne fait rien, maman, tu ne le sais pas, mais je t’aime, et je ne sais pas quoi faire, je ne peux plus te sauver ma pauvre maman, tu es sourde et aveugle, qu’est-ce qu’on peut faire, mon Dieu, aidez ma mère, faites qu’elle meure, vite, sans souffrir, dans son sommeil, je pleure à haute voix, et la plainte de Watam à la porte de ma petite maison me répond, je lui ouvre.
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Ma mère a été toute sa vie une magasineuse professionnelle, elle sait ce qu’elle veut. Elle veut des pantoufles élégantes, des mules plutôt, des petites mules fines avec un petit talon, pas ces gros trucs confortables qu’on prend généralement pour des pantoufles. Elle veut aussi des souliers beiges, unis, avec un talon pas trop gros ni trop petit, largeur 3a, certainement pas les souliers qu’on associe à une vieille dame de quatre-vingt-huit ans. Quant au pyjama, il doit avoir des manches longues, être en tissu synthétique associé à la soie ou au nylon, pas trop épais.
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Une fois ma mère vint dans la chambre, et prise d’une impulsion, elle prit une débarbouillette fraîche et me la passa sur tout le corps, plusieurs fois, avec acharnement, avec désespoir aussi. C’était étrangement sensuel. J’étais nue, le corps abandonné, et cette serviette fraîche que ma mère bougeait sur moi dans tous les sens me faisait un bonheur invraisemblable.
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