Découvrez l'interview de Philippe Brassart, l'auteur du roman le voyage chez les Yeux-Pâles, préfacé par Marc Levy.
http://www.michel-lafon.fr/livre/1657-Le_voyage_chez_les_Yeux_Pales.html
- Tant que nos femmes porteront dans leur ventre des petits guerriers, nous nous battrons contre les Yeux-Pâles qui détruisent notre Mère Terre.
Les Blancs, les Robes-Noires en particulier qui les abrutissaient de prêches, voulaient faire d'eux des fermiers; ils étaient dans l'erreur : pour toujours, les premiers occupants de l'Amérique seraient des chasseurs, à l’affût, humant le vent lissant dans le ciel, écoutant les arbres.
-Les Blancs n'écoutent pas, avaient coutume de dire Petit Chef. Ils n'ont jamais écouté les Wah-zha-zhi; ils n'écoutent pas les voix du vent, des rivières. Ils ne savent que détruire. La Terre est "maka", sacrée, elle est notre Mère. Tout ce qui arrive à la Terre arrive aux Fils de la Terre. Nous Wah-zha-zhi, prenons du bois mort pour le feu; les Blancs arrachent les arbres, qui vivent, chantent, souffrent, meurent; ils n'entendent pas les arbres qui leur disent: " Ne me blesse pas."
Au départ de La Nouvelle-Orléans, Petit Chef, planté sur le quai harangua l'Océan.
-Toi, la Grande Puante, crois-tu nous faire peur?
Non ! Nous sommes partis de notre village pour aller voir nos frères les Français et tous les peuples de l'autre côté du Grand Lac Salé ; la mort seule peut nous empêcher de faire ce voyage.
Pour faire bonne mesure, il adressa ensuite au Grand Esprit une prière:
- ô toi qui as créé ce Grand Lac, qui nous as créés, nous tes enfants, fais en sorte que ces eaux demeurent paisibles et que nous puissions les franchir en toute sécurité.
Solennel, il jeta une pincée de tabac dans les eaux brunes. Puis rien ne retenait les six Osages en Amérique.
Esprit Noir lui raconta qu'en voyant les premiers chevaux, les Osages avaient cru que le Grand Esprit, dans sa magnanimité, leur faisait don de grands chiens pour tirer plus aisément les lourds chargements lors de leurs déplacements saisonniers. Oui, c'était cela leur vie d'avant : les tipis démontés, le travoi mis en place, deux perches, une peau tendue et l'on entassait dessus les effets, la nourriture, les marmites, les enfants, les vieillards; aidées des chevaux, les femmes tiraient le tout. Sur le lieu de la chasse, l'on remontait les tipis, s'installant de nouveau. C'était une vie d'hommes libres; elle convenait à Esprit Noir.
- Tout ceci réjouit notre cœur, mais quand allons-nous voir le Grand-Père blanc?
-Bientôt, bientôt, affirma leur cicérone, c'est l'affaire de quelques jours. Une semaine peut-être. Vous attendez depuis des années alors, qu'est-ce qu'une semaine ou deux de plus?
Venu de Paris, un reporter du Corsaire " journal des spectacles, de la littérature, des arts et des modes", suivait tous les déplacements des Osages. Dans les colonnes de son quotidien, il s'indigna : "Objets de la curiosité générale, ils sont accablés d'invitations; mais malheureusement, on leur a enlevé ce qu'ils offraient de plus extraordinaire, la vue de leur costume indien. Depuis quelques jours, on a eu la mauvaise idée de les affubler de longues redingotes bleues et de pantalons qui les rendent tout à fait ridicule."
Le but de ce voyage en France était obscur. Un Chef. L'Osage le regarda droit dans les yeux, comme s'il sondait son âme, et lui dit, index levé : " C'est une très longue histoire."
Bientôt, il n’y aura plus un seul bison dans les prairies de nos ancêtres. Mon père en chassait aux portes de Saint Louis, ce temps est loin. Nos ennemis les Kiowas disent : « Quand vous verrez disparaîtrez Wa-dau-ta Tan-ga de la surface de la Terre, alors vous saurez que la fin de l’Homme rouge est proche et que le soleil se. Où je pour lui. »
A quoi vous servent vos peintures sur le visage ? À vous préserver des moustiques qui doivent faire légion dans vos contrées ?
Paul Dubois traduisit. Petit Chef se raidit.
- Elles servent à dire qui nous sommes, à dire la paix, la guerre, à parler de nos mots. À faire peur à l’ennemi et aux ignorants.
Wa-dau-ta Tan-ga, notre frère le bison, est comme l’Indien : puissant et sage.
Wah’ Kon-Tah dit qu’il faut traiter avec respect toutes les choses vivantes. Toutes. Les arbres, les chevaux, les lapins, les castors, les cerfs, les chevreuils, les ours. Les bisons aussi.
Le « Grand- Père blanc », le roi des Français, l’égal de l’autre Grand-Père, chef des Américains: voilà ce que les Indiens répondaient inlassablement dans leur français hesitant - à peine quelques mots... - à ceux qui les questionnaient durant ce long voyage.
Qu'allaient-ils faire à présent ? Si toutes les tribus s'étaient unies face à l'envahisseur au lieu de s'entre-déchirer sous le moindre prétexte, si elles avaient emprunté ensemble le sentier de la guerre quand il en était temps, peut-être auraient-elles pu chasser les Yeux-Pâles.
Maintenant, il est trop tard : le mauvais rêve de Grand Soldats'accomplirait. Dans tout le pays les hommes blancs viendraient en masse, à bord de leurs chariots, précédés par d'autres hommes avec leurs longs couteaux au bout de leurs bâtons-à-feu. Des Indiens courageux résisteraient, se battraient, il y aurait des combats sanglants, des morts, des scalps arrachés, mais les Blancs finiraient par l'emporter. Leur sort était scellé, les menaces, déjà se précisaient. Leur existence d'hommes libres allait prendre fin.Ils n'auraient plus le droit de parler leur langue. Des bruits couraient, insistants, dont on leur avait fait part à Saint Louis: les Indiens seraient contraints, tous, hommes, femmes, enfants, vieillards, de quitter leurs villages pour s'installer plus loi, en un endroit où ils seraient parqués comme du bétail. Dans combien de lunes ? On l'ignorait. On parlait beaucoup, aussi, ce cheval-de-fer qui allait traverser en tous sens les terres des hommes rouges.