Mission humanitaire, 1981, Somalie, Camp de réfugiés, Bourdoubo A.
La journée commence. Il fait beau. Je viens de me lever et un traducteur m'informe qu'il y a eu de l'activité cette nuit. Je n'aperçois pas mes quatre collègues de mission (un médecin, une laborantine et deux infirmières). Peut-être sont-ils encore sur le mini hôpital (qui comprend une salle de soins, une pièce d'hospitalisation, une petite réserve). Peut-être viennent-ils de se recoucher s'ils ont - en tout ou partie - travaillé cette nuit.
Je parcours les cent mètres qui me séparent du dispensaire. Tout est calme, apaisé. L'aube reposante de l'équateur dispense sa sérénité. Nur, ce jeune infirmier somalien formé par les générations humanitaires précédents et par nous-même, ne vient pas au devant de moi comme c'est l'habitude. J'entre dans notre salle de soins qui nous sert aussi de consultation, de salle de pansements et de salle de chirurgie au besoin.
Effectivement, ce n'était pas dans cet état hier soir. La salle n'est pas rangée. Il y a juste devant moi, sur une table, une bassine en fer étamé, remplie ; elle nous sert parfois de " poubelle à pansements ".
Le contenu est troublant. Il y a quelques compresses, plus ou moins sanglantes, quelques pansements " américain " souillés, des traces de sang et de liquide - sans doute - amniotique au fond de la bassine, et un placenta.
Et sur le grand rebord arrondi en fer, hors des déchets, incliné, la tête vers le bas, les jambes vers le haut, pendantes vers l'extérieur, gît un foetus.
[...]
Puisque je suis là, ma participation à ce travail de nuit sera au moins de ranger la salle. Peu importe le déroulement, il faut maintenant m'occuper de la bassine... Et... Il me semble que le foetus n'est pas mort. Il "gaspe". Est-ce dû à un réflexe post-mortem parce que j'ai bougé la bassine ou est-ce parce qu'il a bougé de cette position instable? Non, il recommence. En fait, il évacue par spasme le liquide amniotique qu'il a inhalé. Ce foetus laissé pour mort est vivant. Ce nouveau-né est vivant.