Le soir tombe. Comme un manège au Prater de notre enfance, la plate-forme du Géant s'est doucement mise en mouvement et a pivoté autour de son axe d'où il lance à intervalles réguliers son regard de feu. Doucement d'abord, puis de plus en plus vite. Il illumine les rochers tout en bas, et très loin, là, vers le bout de l'horizon jusqu'où peut porter un regard de marin.
Survivre. Non pas comme l'infime minorité de ceux d'entre eux qui sont parvenus à traverser l'indicible - des survivants absolus, inconditionnellement. Mais à la manière qui est aujourd'hui la mienne, sans gloire d'aucune sorte. Parce que je me sens le reliquat d'un étrange "Avant" que je serais bien incapable d'expliquer. Un avant lourd d'événements que je n'ai jamais connus et qui fonde toutefois celle que je suis devenue.
C'était devenu un rite. Chaque fois qu'elle arrivait à cette hauteur de la rue Ferhadija, pas très loin du vieux marché couvert construit par les Autrichiens, Draga consultait la liste des morts de la semaine avec une appréhension mêlée d'une trouble curiosité.