Il est toujours plus valorisant de dire que l’on s’est croisé la première fois à une conférence en Sorbonne plutôt que dans une camionnette au bois.
Philippe Vieille – "Anne"
Joseph pousse la porte vitrée en sens inverse et observe le vieux carton abandonné tout près de la grille qui crachote de l'air chaud. Pas de traces d'Alice sauf ce morceau de carton sale des Déménageurs Bretons. Joseph piétine, son sachet en papier à la main. Des gémissements tout proches. Mais c'est Sam, le chien d'Alice. Joseph s'accroupit et caresse le dos un peu pelé, un peu roux, pas si doux.
Il lui parle, lui demande où elle est, si elle va arriver, si elle va bien, s'il a froid, s'il a faim, si on s'occupe de lui.
Au cimetière où ils l'ont accompagné, le soleil s'est éclairé. Puis vinrent les pleurs de la rue aussitôt qu'elle a su: au chevet de la Chouette - "La gôche", disait-il pour que nos voeux soient exaucés -, la pierre a fleuri. Les touristes étonnés, les ados bouleversés, les innombrables amis égrenés, tous se sont arrêtés. Claude, compagnon de toutes les galères, en a été touché.
Notre caravane n'a pas de roue, juste des briques empilées pour la soulever au dessus de la gadouille. Elle ne peut pas rouler, mais on s'en fiche parce qu'on n'a pas de bagnole! Moi, quand je serai grand, j'en aurai une, et j'emmènerai la famille vers le Sud, le soleil et la mer. Petite-soeur en rêve tellement. Maman aussi. Elle pourra enfin reposer ses jambes fatiguées.
Depuis ce 13 janvier, où Simone a osé partir sans moi, sans même me demander l'autorisation, un vendredi - pourtant je n'ai jamais été superstitieux- je ne suis plus rien. Pour qui ai-je encore de la valeur?
- M'sieur, m'sieur, vite, vite, bébé très mal.
Qui m'appelle? Qui ose me déranger pendant ma sieste?
Joseph en eut le cœur serré. Voir un enfant mal habillé l'avait toujours peiné. Il y voyait une souffrance couturée de silences, presque honteuse. Il y percevait le sentiment muet d'injustice d'un tout petit empêtré dans la disgrâce d'un habit démodé, déclassé, discriminant.
Humiliant...
Ce qui avait changé ma vie, c'était d'abord un jour de printemps. Ma fille se tenait en face de moi au parloir, une pâquerette dans les cheveux. Non, je n'étais pas à l'hôpital depuis un an. Elle ne savait rien, ma fille.
Il s'assoit sur le premier lit laissé libre. Il tire de son autre poche un bout de papier et un vieux crayon, récupérés dans la rue. Il se cache. Il ne veut pas partager cette émotion. l'espoir, c'est dangereux.