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Critiques de Raphaël Confiant (149)
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Madame St-Clair, Reine de Harlem

Jusqu’à présent, la seule femme gangster américaine dont j’avais entendu parler était Ma Barker qui fit régner la terreur dans le Middle West avec ses fils. Mais à la même époque, une autre femme de tête, une Martiniquaise dénommée Stéphanie St. Clair dirigeait un gang spécialisé dans la loterie clandestine à Harlem. Je croyais que ce personnage vu dans le film Les Seigneurs de Harlem dans lequel Dutch Schultz, Lucky Luciano et Bumpy Johnson se faisaient la guerre était fictif. Il n’en est rien.

Dans Madame St-Clair, Reine de Harlem, Raphaël Confiant retrace la vie extraordinaire de "Queenie" , arrivée sans un sou sur le sol américain en 1912. Initiée au crime via le gang irlandais des 40 voleurs, cette femme intelligente, farouchement indépendante et futée mena rapidement sa barque, mais se vit finalement obligée de verser sa dime à la mafia italienne. Femme, Française, noire, catholique, jeune, seule à Harlem, elle fut toujours animée d’une détermination farouche, bien décidée à échapper à la misère et à la tutelle masculine: «Simplement, une femme dans la mafia, c’était comme qui dirait un chien dans une yole, selon l’expression créole qu’affectionnait ma mère. Un éléphant dans un magasin de porcelaine, disait ce bon français que je ne connaissais que par les livres. Servir de petite main, ça oui, les gangsters noirs ou blancs l’acceptaient volontiers. Messagère, accoucheuse de secrets sur l’oreiller, livreuse de gamelles de nourritures des heures indues de la nuit à ces messieurs qui tenaient conférence ou, moins insignifiant, espionne, voilà l’essentiel des tâches qui étaient réservées à la gent féminine. Quant à moi, je récusais tout net cette condition subalterne qui nous était imposée. »

Stéphanie St-Clair fera de sa singularité une force. Elle traversa deux guerres mondiales, la Prohibition, la crise de 1929, connut les règlements de compte, les violences raciales, les mouvements pour les droits civiques, et termina paisiblement ses jours dans la Grosse Pomme.



Nous traversons le siècle à travers ses souvenirs. Queenie est une femme résolument moderne, emblématique de ces Roaring Twenties , une "Flapper », admiratrice de Louise Brooks. Confiant dépeint avec maestria cette Amérique marquée par des changements économiques et culturels majeurs qui se heurtera de plein fouet à une autre Amérique, celle de la peur, de la Prohibition, du Jeudi noir. Dans cette biographie romancée, les gangsters qui ont marqué la culture populaire ( Dutch Schultz, Ellsworth Johnson, Meyer Lansky, Luciano…) côtoient les différentes figures de l’intelligentsia afro-américaine (Countee Cullen, W.E.B. Du Bois, Marcus Garvey, Sufi Abdul Hamid…). Le thème de l’Identité, de l’Altérité, serpente au fil des pages. Stéphanie St-Clair est une fille de la Caraïbe au milieu de noirs américains. Le contraste entre son île natale à la société stratifiée (pauvres, noirs, blancs, Indiens, bourgeoisie mulâtre, grands blancs, fonctionnaires métropolitains, se croisent sans se côtoyer) et une nation où l’obsession de la race frôle la démence (avec des pages glaçantes sur le K.K.K. et l’Eté rouge de 1919) est saisissant.

On ne pourra pas oublier de sitôt cette Reine de Harlem.
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Le Bataillon créole

Un superbe livre qu'il m'a été permis de découvrir grâce à l'opération Masse critique de Babelio et aux Editions Mercure de France que je remercie. Je suis particulièrement heureuse d'avoir lu ce roman car c'est une période de l'Histoire que j'apprécie beaucoup. Cette plongée au coeur du Bataillon Créole, pendant la guerre de 1914-1918 est très édifiante, très instructive. C'est un roman d'une extrême sensibilité, très émouvant. Un beau livre qui nous fait partager le sort de ses soldats engagés pour libérer la patrie et qui viennent de leurs Antilles natales souffrir du froid et dans la boue des tranchées de la Marne, de Verdun, de la somme ou tomber sous le feu ennemi dans les Dardanelles. Beaucoup tomberont au front, d'autres rentreront éclopés ou marqués à jamais dans leur chair ou dans leur âme. Une belle écriture, un superbe roman, un épisode de notre histoire à découvrir. Belle rencontre avec la plume de Raphaël Confiant.
Lien : http://araucaria20six.fr/
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L'épopée mexicaine de Romulus Bonnaventure

L'Expédition française au Mexique est un peu tombée dans les oubliettes. A part dans quelques westerns, comme Major Dundee, Vera Cruz ou Sierra torride, et une bande dessinée signée Yann & Meynet, difficile d'en trouver une trace.

L'épopée mexicaine de Romulus Bonnaventure revient sur un épisode mal connu de l'Expédition, dont on aura surtout retenu l'exécution de Maximilien 1er, fusillé au Cerro de las Campanas en 1867.



Même si chez Raphaël Confiant, l'histoire n'est qu'une toile de fond, elle est quand même indissociable du parcours de Roro, esclave sur l'Habitation La Fleury, en Martinique. Devenu Romulus Bonnaventure, patronyme qu'il s'est lui -même choisi à l'Abolition de 1848, il est amoureux de la belle Péloponèse Beauséjour, qui a de nombreux amants.

L'expédition du Mexique va s'inviter dans la vie des protagonistes et dans celle de la Martinique tout entière, qui connaît déjà à l'époque de nombreux bouleversements. Les anciens esclaves vivent toujours dans des conditions difficiles, travaillant souvent pour leurs anciens maîtres et pour des sommes dérisoires, alors que ces derniers ont été dédommagés. La fin de l'esclavage voit l'arrivée de nouvelles populations, des engagés venus d'Afrique, d'Inde, de Chine, pour pallier le manque de main d'oeuvre dans les champs.



Maximilien 1er, son épouse Charlotte et leurs troupes composées de Français et de Polonais, de zouaves… font escale en Martinique, qui est devenue une base navale. Le Régime impérial décide d'envoyer un contingent antillais au Mexique, des soldats, des marins, des ouvriers. Les vies de Roro et de Péloponèse vont basculer: Romulus s'engage dans l'armée et la belle Beauséjour devient la dame de compagnie de Marie Charlotte Amélie. Il y a aussi Adrien Delfort, un mulâtre amoureux de la chabine et qui devient le secrétaire et le traducteur de l'empereur Maximilien.

Débute alors leur épopée mexicaine, Veracruz, les marécages des Terres chaudes, Tenochtitlan, le Popocatepetl, la bataille de Camerone, les tractations diplomatiques dans des palais pouilleux …



Raphaël Confiant structure son récit en quatre cercles pour raconter cette aventure picaresque , avec des points de vue différents, des extraits de lettres, de journaux, de rapports. L'épopée mexicaine de Romulus Bonnaventure montre à travers les péripéties vécues par un affranchi, l'échec de l'entreprise française au Mexique mais dépeint surtout une situation assez improbable. Comment d'anciens esclaves ont pu prendre les armes et s'engager aux côtés de ceux qui étaient leurs anciens maîtres, face à des Mexicains qui eux désiraient s'affranchir des Européens? Il ne s'agissait pas de « l'impôt du sang » à l'époque, les Martiniquais étaient volontaires.

Enlevé, érudit, humoristique même dans la tragédie, ce récit initiatique se lit d'une traite et tire de l'oubli un pan de l'histoire de France qui marqua plus particulièrement l'Ile aux fleurs.
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Madame St-Clair, Reine de Harlem

C’est la critique de Pecosa qui m’avait donné envie de lire ce livre. Je l’ai donc acheté… et oublié, perdu au milieu de ma gigantesque PAL. Un jour que je tentais de ranger un peu mes livres, je suis retombée dessus et je me suis donc décidée à le lire. Pecosa est décidément de bon conseil, j’ai passé un bon moment avec « Madame St-Clair, Reine de Harlem » même si tout n’est pas parfait.



En fait, je ne suis pas totalement convaincue par la forme. J’ai trouvé l’écriture de Confiant assez inégale. Certains passages sont formidables, d’autres m’ont semblé plus faibles au niveau du style. Mais ce qui m’a vraiment gênée, c’est un côté un peu fouillis. Je suis convaincue que l’auteur a fait le bon choix en optant pour un récit non chronologique fait d’allers et venues entre les époques mais ce procédé narratif est très exigeant et demande une maîtrise parfaite de la construction d’un récit. Ce n’est pas le cas ici. J’ai trouvé que le récit était parfois confus, on ne sait pas toujours où on en est. Il y a certains éléments qui tombent comme un cheveu sur la soupe, l’auteur semblant ne pas savoir comment les intégrer au récit. Et puis il y a des redites, certaines choses sont répétées plusieurs fois. Et le fait que la narratrice, qui raconte son histoire à son neveu, s’en excuse ne rend pas ces redondances plus digestes. Enfin, je n’ai pas adhéré du tout au procédé consistant à passer de la 1ère à la 3ème personne alors même que c’est toujours Stéphanie St-Clair la narratrice. J’ai trouvé ce choix narratif bizarre, artificiel et pas très heureux.



Bon j’arrête là l’énumération de ce qui ne m’a pas trop plu dans le roman de Confiant. Tous ces défauts, toutes ces maladresses sont balayés par le sujet même du roman. Quelle personnalité cette Stéphanie St-Clair ! Quel destin aussi…

Confiant raconte ici, de façon romancée, la vraie vie de Stéphanie St-Clair, jeune femme de Martinique qui deviendra reine de la loterie clandestine de New-York dans les années 20-30. A travers ce destin hors norme, c’est tout un pan de l’Histoire américaine qu’on lit en filigrane, celui des Noirs américains dans la première moitié du 20ème siècle. Ainsi on rencontrera des grandes figures Noires américaines qui ont œuvré d’une façon ou d’une autre dans la lutte pour les droits civiques, Marcus Garvey, W.E.B Dubois, l’association NAACP… On croisera également des noms qui sont entrés dans la légende tels Lucky Luciano ou Leyer Mansky. Le destin de Stéphanie permet de mettre en lumière la dureté de la vie pour les Noirs, la misère des quartiers, les rapports brutaux avec la police et des scènes tout simplement cauchemardesques. Le passage où les salopards du Klan arrêtent un bus pour se livrer à des actes barbares est particulièrement éprouvante.

Quant à Stéphanie, elle est formidable. Dure à cuire, badass, elle ne s’en laisse pas compter et gare à ceux qui voudraient la soumettre. Elle ne flanchera que face au surpuissant Luciano. Libre, indépendante, forte, Stéphanie force le respect même si ses affaires étaient illégales.



Si, malgré de très bons passages, je n’ai pas été entièrement séduite par l’écriture de Confiant j’ai été tellement enthousiasmée par la personnalité et le destin de Stéphanie que j’ai dévoré ce livre à toute vitesse. Je pense qu’il me laissera un souvenir finalement agréable.



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Le Bataillon créole



Bonjour, aujourd’hui direction la Martinique, sous le soleil et les palmiers !



Nous voici au milieu des Martiniquais, qui ont un quotidien difficile dans les champs de cannes à sucre ou au service de riches bourgeois. Alors, quand il s’agit d’aller aider les Français, dans ce pays qu’on ne sait nommer autrement que « là-bas », un endroit si abstrait qu’on ne sait que rêver et où la vie ne peut qu’être meilleure ; après tout, la guerre ne doit pas être bien plus difficile, puisque pour survivre en Martinique il faut aussi mener de multiples batailles : contre la misère, contre l’asservissement, contre les mauvais traitements… Bien sûr, l’esclavage n’existe plus et certains ont même le culot de vous dire que c’est une invention et que les noirs n’étaient ni attachés ni maltraités, mais les conditions de vies sont rudes…



Ils sont donc plusieurs jeunes à s’enrôler, à s’embarquer pour aller prêter main forte aux soldats de « là-bas »… Et ceux qui restent ? Ils ont une vie encore plus difficile, car ça fait un salaire en moins, ils tremblent ou pleurent en attendant des nouvelles, ils prient…



En France, il y a les combats de ce bataillon créole, bien pratique, qu’on n’hésite pas à envoyer se faire massacrer sur les premières lignes du front, après tout, que vaut la vie d’un noir ?



En Martinique, il y a les sœurs, les épouses, les fiancées, les mères, qui attendent et espèrent le retour du soldat ; quel constat amer quand on apprend les premiers décès, qu’il faut encore se battre pour faire revenir les corps… Et puis, il y aura ceux qui reviennent : mutilés et gueules cassées…



Bref, un roman magnifique sur le « bataillon créole » qui s’est enrôlé pour aider la France lors de la guerre de 14/18… Voir cette guerre du point de vue des Créoles est vraiment enrichissant...



À lire confortablement installé(e)s avec un casque sur la tête, sous un palmier (attention aux chutes de noix de coco), en se régalant de brioche à la cannelle avec un petit verre de rhum. Bonne lecture !



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Grand café Martinique

Comment arriver à rendre justice à un roman si particulier ? J’espère vous donner envie d’embarquer dans un rafiot de la marine royale pour rejoindre l’Amérique et les Caraïbes…



Voici un roman plutôt original dans sa construction, puisque l’auteur nous entraîne en réalité dans trois histoires différentes, dont le café est le point commun. Le risque pourrait être de rester au bord du chemin, mais ça n’a pas été le cas pour moi… La magie a opéré !



La première histoire est celle d’un jeune homme qui ambitionne de faire richesse aux Amériques en devenant planteur de tabac. Le personnage nous parait un peu loufoque dans un premier temps, on met cela sur le compte de la jeunesse et on se dit qu’il va vite rentrer à Dieppe, la queue entre les jambes, car on ne mise pas un kopeck sur le fait qu’il fasse fortune et s’acclimate à la Martinique ! Les deux autres histoires sont amenées de façon subtile par l’auteur, parsemées tout au long du roman, elles dévoilent d’une part la longue et complexe installation des européens aux Indes occidentales et d’autre part le développement du café aux quatre coins du monde.



L’auteur se sert à la fois de la vérité historique et des mythes et légendes pour construire son récit. C’est bien fait et c’est véritablement captivant ! Personnellement, j’ignorais que c’est en Abyssinie – actuellement l’Éthiopie – que l’on retrouve les premières traces de l’existence du café, avant de gagner le Yémen et le monde ottoman, puis de faire son entrée en Europe. On apprend également que la boisson a changé de goût, de consistance suivant le pays où on le consommait… Bref on prend une belle leçon d’histoire concernant le nectar que l’on aime !



Cet ouvrage soulève également des sujets complexes avec lesquels les européens ne sont pas totalement à l’aise et qui sont d’une brûlante actualité, à savoir le fonctionnement d’une société esclavagiste ou bien encore le massacre des indiens caraïbes. Ces thématiques, délicates à traiter, sont ici brillamment mises en lumière, notamment grâce à l’humour créole de l’auteur.



Je referme ce roman en ayant l’impression d’avoir lu à la fois le journal intime d’un jeune dieppois exilé aux Antilles, un ouvrage scientifique concernant l’histoire du café et enfin un petit manuel destiné aux européens qui veulent s’installer aux Amériques !



Une très bonne lecture sur fond de mythes et légendes. Cela me donne envie de me plonger dans des récits de voyage du nouveau monde !
Lien : https://ogrimoire.com/2020/0..
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Le Bataillon créole

La guerre de 14-18 a décimé la France. Ses tranchées ont ravagé le ventre de la Somme. Ses batailles ont défiguré les soldats et constitué de tristes escadrons de gueules cassées. Oui, les Français ont souffert au plus profond de cet affrontement contre l’ennemi allemand. Mais pour certains Français, la Première Guerre mondiale était bien lointaine. Ce fut le cas des Martiniquais enrôlés dans le bataillon créole. Ces Antillais qui n’avaient jamais eu froid ont connu Verdun et les trous d’obus sous la neige. La Martinique est un petit bout de France qui n’a pas souffert dans sa terre, mais qui fut meurtri dans sa chair, de la Marne aux Dardanelles. « Et l’on avait surtout payé l’impôt du sang ! » (p. 289) Pour les familles restées sur l’île, l’incompréhension règne devant ce qui se passe « Là-bas », sur cette terre qu’ils n’appellent pas la France puisque la France, c’est aussi leur île. Après la guerre, la statue du Soldat inconnu nègre sera un piètre réconfort pour les mères, les épouses et les sœurs qui n’ont jamais pu inhumer leurs défunts, à jamais perdus dans le grand labour de la guerre. « Je trouve stupide l’attitude de tous ces Grands-Ansois […], qui campent au pied de la statue du Soldat inconnu nègre dans l’espoir que ce dernier leur révélera ce qu’il est advenu de l’être cher qu’ils ont perdu sur le champ de bataille. » (p. 106)



Le créole, comme le québécois, sont deux langues qui me fascinent : issues du français, mais nourries de régionalismes et d’une pensée différente de celle de la métropole, elles proposent des termes et des expressions que l’on comprend sans les connaître pour un peu qu’on se donne la peine de mettre ses pas dans les mots de nos cousins éloignés. Comment ne pas comprendre que les poilus créoles voulaient prendre la discampette quand résonnaient les canonnades de la grosse Bertha ? Pourquoi les Antillais ont-ils répondu à la conscription ? « Il a pu constater que nous étions nous animés d’un sentiment commun : nous comporter en braves et rehausser l’honneur de la Martinique. » (p. 170) Fallait-il qu’ils se sentent indéfectiblement Français pour se présenter sous les drapeaux et accepter d’essuyer le feu ennemi ! « Si les Blancs nous considéraient vraiment comme des zéros devant un chiffre, pourquoi feraient-ils appel à nous pour défendre la patrie ? » (p. 18) Autant je connaissais l’histoire des tirailleurs sénégalais, autant celle du bataillon créole m’était inconnue. J’ai aimé cette histoire qui mêle deux types de récits : d’une part, ceux des iliens, principalement des femmes, qui pleurent leurs disparus ; d’autre part, ceux des soldats au front ou rapatriés. Le roman se découpe en cinq cercles qui m’ont rappelé ceux de La divine comédie de Dante, si ce n’est que, dans le texte de Raphaël Confiant, il n’y a que l’enfer, sans rédemption ni paradis. En revanche, il y a le souvenir et il n’est pas prêt de pâlir grâce à cet hommage émouvant adressé au bataillon créole dont l’hymne résonne encore.

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Le Bataillon créole

Nous sommes à Grand-Anse , petit village de la Martinique, en 1914, et la vie n'est pas facile pour les jeunes hommes.



Théodore est un excellent coupeur de canne à sucre et vit seul avec sa mère Man Hortense qui devenue vieille, n'a plus qu'un petit jardin à cultiver qui ne lui permet pas de vivre.



Ti-Mano a quitté très jeune sa famille ."Très tôt, je n'ai pas voulu esquinter mes os à la campagne ni pour couper la canne du blanc, ni pour entretenir un petit jardin créole ou élever de la volaille.Ma manman avait un embarras de dix-sept bouches à nourrir et aucun de ses rejetons ne connaissait son vrai père, car quand mes aînés cherchaient à le savoir,elle répondait d'un cinglant: Sa pa ka gadé zot!Selbagay, di'y mèsi davwè i pèmet zot vini anlè latè, sakré ti popilè ki zot yé!( ça ne vous regarde pas!Seulement vous pouvez le remercier de vous avoir permis de venir au monde. Espèce de sacripants!)"



Thédore, Ti-Mano, Lucien et bien d'autres vont rapidement se porter volontaires pour partir à la guerre afin d'échapper à leur situation.



Ces hommes feront partie du "Bataillon créole", les uns iront dans les Dardanelles sur un dragueur de mines comme Ti-Mano, d'autres comme Théodore participeront à la bataille de la Marne ou à celle de Verdun comme Lucien.



La guerre 14.18 n'est pas racontée ici par les soldats du bataillon créole, mais par la famille, les amis de Grand-Anse, à travers les réflexions, le courrier reçu, leur vie.



Je remercie Babélio et les Editions Mercure de France, de m'avoir permis de découvrir Raphaël Confiant qui écrit en utilisant le créole et des expressions savoureuses. Ce livre m'a demandé un effort pour y entrer , mais au final, je suis contente d'avoir découvert le point de vue des martiniquais si loin de "Là-bas"!
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Bal masqué à Békéland

Troisième volet des aventures du dilettante Jack Teddyson, après Citoyens au-dessus de tout soupçon (bientôt en poche) et Du rififi chez les fils de la veuve, ce Bal masqué à Békéland s'invite chez les Blancs-pays martiniquais, qui n'ont pourtant pas coutume de laver leur linge sale en public.

La jeune, riche et belle Marie-Aimée Dupin de Flessac a disparu et son père, puissant homme d'affaires, refuse de faire appel à la maréchaussée. Jack Teddyson, détective quinquagénaire et loser sympathique qui cultive l'amitié, les maîtresses et les fins de mois difficiles se retrouve chargé de l'enquête. Dupin de Flessac lui ouvre les portes de "Békéland", lieu de résidence des grandes familles blanches martiniquaises dans le sud de l'île, où les seuls noirs présents sont les employés. Teddyson, de son vrai nom Raymond Vauban, va se trouver plongé dans un univers fantasmé, abhorré par le mouvement indépendantiste "Békés dehors!": "Sur la véranda, la marmaille se chamaillait, donnant du fil à retordre à leurs nounous. J'avais l'étrange impression de remonter le temps, de me retrouver à l'époque de La Case de l'Oncle Tom."

Je ne serai pas du tout partiale en ce qui concerne ce roman. J'aime beaucoup la prose de Confiant et je l'apprécie encore davantage quand il s'attelle à l'écriture d'un polar. Il semble avoir pris beaucoup de plaisir à plonger Teddyson "diplômé de l'Ecole Supérieure de Criminologie de Paris et de l'Institut de Formation des Détectives Privés de Genève" dans des situations rocambolesques et se lâche pour la plus grande joie du lecteur. La langue est riche et inventive, l'humour et l'ironie pimentent une intrigue menée tambour battant. Grâce aux tribulations de son personnage que son enquête mène d'un bout à l'autre de l'île, Confiant croque les réalités sociales et culturelles de toutes les Martinique, la Martinique des combats identitaires et sociaux, et celle des affaires et des montages financiers gangrénée par un trafic de stupéfiants à grande échelle. Les mésaventures du privé, "Martiniquais de souche comme son nom de l'indique pas" permettent également au romancier d'égratigner au passage quelques institutions ainsi que les églises évangéliques qui commencent à pulluler dans les Antilles. Souhaitons qu'après ces trois opus, Raphaël Confiant donne une nouvelle fois vie à ce jouisseur impénitent qu'est Teddyson, et que nous retrouvions très vite l'inspecteur Maxence du commissariat de Fort-de-France, ainsi que Francelise et ses telenovelas. Le roman devrait séduire les lecteurs hermétiques aux enquêteurs venus du froid, qui trouveront chez Caraïbeditions une nouvelle collection polar.

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L'Allée des soupirs

Nous sommes à Fort-de-France, autour de 1959, donc une bonne quinzaine après les événements du roman Le nègre et l’amiral. Nous retrouvons d’ailleurs un certain nombre de personnages du Nègre et l’amiral dans l’Allée des Soupirs, comme Philomène. Ils ont bien sûr un peu vieilli, et de nouveaux venus les accompagnent. Entre temps, la Martinique a changé de statut, passant de celui de colonie, à celle de département d’outre mer. Mais pas grand-chose ne semble avoir changé dans les rapports des blancs, noirs, métis. La misère, le racisme, l’exploitation, la non-reconnaissance, vont amener, à partir d’un motif futile, une flambée de violence, qui va culminer dans trois journées d’affrontement violents, à la veille de Noël 1959. Nos personnages y prennent pour certains d’entre eux, une part active, d’autres restent en retrait, pour des raisons qui leur appartiennent.



Entre temps, Raphaël Confiant nous aura brossé les portraits de toute une série de personnages, qui appartiennent à tous les milieux, même s’il a une préférence pour moins riches. Il s’intéresse tout particulièrement à un couple, M. Jean, un ancien instituteur révoqué, et son amour Ancinelle Bertrand, dont la beauté fait chavirer bien des coeurs, mais qui reste sage, attendant l’homme de sa vie, qu’elle croit avoir trouvé en M. Jean, malgré leur différence d’âge. Ils se retrouvent dans cette Allée des Soupirs du titre, jusqu’à ce que les événements en cours ne bouleversent leur histoire, comme ils vont bouleverser bien d’autres histoires, bien d’autres vies.



Encore une fois, Raphaël Confiant arrive dans un langage riche et imagé à donner vie à toute une galerie de personnages, vivants, chaleureux, et qui ont tous leur part de complexité. C’est vraiment ses deux grands atouts, une style personnel et dansant, et une capacité à donner à voir des gens qui semblent tous plus réels les uns que les autres, des scènes animées, cocasses même si elles peuvent contenir leur part de cruauté. Mais de nouveau, j’ai trouvé sa façon de construire son intrigue un peu confuse. On voit bien où il veut en venir, mais on perd souvent le fil, il y a quelques contradictions, voire invraisemblances. Un récit structuré n’est sans doute pas ce à quoi tend l’auteur, mais j’avoue que vers la fin de ce long roman (plus de 500 pages) j’ai eu la sensation qu’il avait du mal à boucler son histoire. L’ensemble des rubans colorés qui composaient le livre semblait s’emmêler et mener un peu nulle part.



Cela reste quand même agréable à lire, il y a vraiment de bons moments, mais il me manque quelque chose dans la trame du récit pour en faire un livre marquant dont je vais me souvenir et que j’aurais envie de relire.
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Le Bataillon créole

Merci à Masse Critique de m'avoir fait parvenir cet excellent roman.



Nous sommes en Martinique avant, pendant et après la Première Guerre mondiale. Pas n'importe où en Martinique. À Grand-Anse (aujourd'hui Le Lorrain) le premier bourg à avoir élu maire un homme de couleur et le seul à posséder un monument aux morts dont la statue représente un combattant noir. Je ne connais pas la genèse de ce roman, mais j'imagine mal ce choix comme étant dû au hasard.

D'une écriture très "parlée", émaillée de phrases créoles qui nous rapprochent un peu plus encore de ses personnages, Raphaël Confiant nous raconte l'histoire des habitants de ce village, tous plus ou moins directement touchés par le conflit. Chacun porte en lui une image fantasmée de la "mère-patrie", de "là-bas", de cette métropole qui leur réclame de grands sacrifices et c'est cette image éclairée sous un jour nouveau, celui de la réalité, qui va leur être révélée.

En s'engageant, les soldats antillais découvrent une autre facette du racisme, différent de ce racisme de caste que font régner les Békés, maitres des plantations. Alors qu'ils pensaient être les égaux de ces "poilus" blancs avec lesquels ils partagent les mêmes peurs, la même faim, la même mort et le même patriotisme, ils comprennent qu'il n'en est rien, qu'ils sont (pré)jugés à l'aune de leur couleur de peau et ravalés au rang de bête. Pourtant c'est Rémilien l'instituteur noir, qui rédigera leur courrier aux soldats blancs prisonniers comme lui en Allemagne, mais qui ne savent pas écrire. Pourtant.

Que d'échos avec notre triste actualité...

"Là-ici", à Grand-Anse, les femmes écrivent ou font écrire. Elles attendent des hommes qui reviendront annéantis, mutilés ou elles attendent des corps qu'on ne leur rendra pas mais elles ne se font pas d'illusions. Raphaël Confiant leur rend un bel hommage, soulignant leur force, leur courage et leur pugnacité face au combat quotidien qu'il leur faut mener pour vivre même si ce n'est pas dans des tranchées.

Un roman de plus sur la guerre de 14 me direz-vous ? Oui mais avec un point de vue moins hexagonal, un recul de plusieurs milliers de kilomètres, aussi, voir plus indispensable dans la compréhension de ce conflit et de ses répercussions dans la société qu'un récit d'une bataille de la Marne.





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Grand café Martinique

Sentez- vous cet arôme âcre qui embaume vos narines!

Cette odeur chaude qui titille le matin au pied levé. Rien de tel qu'une tasse de café pour réveiller vos sens.

Raphaël Confiant propose dans son nouveau roman de découvrir les pérégrinations du café: de sa découverte en Abyssinie avec des chèvres danseuses à l'arrivée d'un plant de caféier à la Martinique.

Nous sommes sous le règne de Louis XV quand Gabriel-Mathieu de Clieu se pique d'aller aux Amériques. Ce dieppois devenu enseigne de vaisseau, fait son premier voyage sur Le Maintenon pour arriver en Martinique. Sur cette île, il se lie d'amitié avec un mulâtre Théramène Claudius ( non Nothomb n'aura pas le monopole de ce prénom) qui l'initie à la culture de la canne à sucre. Adieu les plantations de tabac que de Clieu voulait instaurer.

Devenu propriétaire de terres et d'esclaves, il retourne en France pour trouver des plants de caféiers, dont la boisson est apprécié à cette époque pour sa nouveauté.

Pour se procurer les plants, il vole dans le jardin d'Acclimatation du roi deux arbrisseaux qu'il embarque sur une flûte équipée de marins aguerris.

La traversée est un véritable calvaire: la soif, la faim ,le calme plat de la mer des Sargasses, la folie des hommes et jusqu'aux pirates, rien ne sera épargné durant ce voyage épique. Mais de Clieu sauvera l'unique plant qu'il a bichonné durant la traversée jusqu'à se priver d'eau pour arroser son précieux trésor. Et depuis 1720 le café devient une denrée prospère dans toute l'Amérique du sud jusqu'au Brésil premier producteur mondial du grain noir.

Le talent de Confiant réside dans cette langue créole qu'il maîtrise parfaitement et qui donne du piquant au récit

Le roman se partage entre le journal de de Clieu et le récit de la propagation du café dans le monde sans omettre les rapports entre Békés et esclaves.

Je regrette cependant que les portraits soient peu nuancés: de Clieu courageux et entêté ou bien Mathurin horrible bourlingueur, esclavagiste et cruel.

Après cet hommage à un homme soucieux de faire prospérer la Martinique et la France, et cette critique plus ou moins réussie, une belle tasse de Lady Grey m'attend.
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Rue des syriens

Voilà un beau voyage à faire assis dans son canapé ou sur sa chaise longue ! Pittoresque, bien documentée, haute en couleurs, cette histoire d'une famille de syriens qui, à travers deux générations -celle de l'oncle et celle du neveu-, gagne la Martinique fin XIX-début XX pour y faire fortune nous fait découvrir l'atmosphère qui régnait dans ce pays en ces années-là, à travers un brassage de populations qui se côtoyaient pacifiquement dans une ouverture d'esprit et une tolérance qui fait rêver. On ne peut qu'admirer le courage de ceux qui, arrivés sans rien dans un pays qu'ils ne connaissaient pas, ont déployé abnégation et force de travail pour s'en sortir, tout en s'adaptant aux moeurs très libres et aux coutumes d' une société multiculturelle, au risque d'être rejetés par leur communauté parce que pour aller de l'avant et vivre selon leurs amours, ils changeaient quelquefois de religion, seule chose impardonnable aux yeux des musulmans.

Il naissait toutefois de tout cela un sentiment d'appartenance à ce pays si fort qu'il en effaçait l'envie de retrouver la mère patrie.

Homme de grande culture, qui sait jongler entre les civilisations et mêler le passé au présent, Raphael Confiant m'a subjugué par sa qualité d'écriture, sa précision dans le détail, son imagination foisonnante, sa facilité à créer une belle et riche histoire. L'humour avec lequel il adoucit les difficultés du quotidien rend tout cela vivant au point qu'on a l'impression de faire partie de la famille. Confiant mêle les deux histoires (celle de l'oncle et celle du fils) avec brio, au point que je m'y suis quelquefois perdue, avec en plus le fait qu'il fait sans cesse des allés et venues dans les destinées de ses personnages.

La cerise sur le gâteau : les citations en langue créole, langue si belle et si musicale qu'il suffit de l'entendre pour avoir l'impression d'entendre chanter.

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Le Meurtre du Samedi-Gloria

Assassiné à la veille de Pâques, Romule Beausoleil et ses acolytes nous emmènent dans l'univers de la Martinique sur fond de roman policier. Le texte vaut pour son vocabulaire et sa gouaille antillais et fait passer un agréable moment. Idéal pour lire à la plage ou dans les transports en commun.
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La Lessive du diable

L'auteur utilise un style ampoulé ou à minima des mots d'anciens français mêlés à des expressions créoles pour conter le meurtre d'un blanc dans les années quarante par un Martiniquais. C'est aussi pour lui l'occasion de revenir sur les brimades et le deux poids , deux mesures entre les deux. Le tout m'a semblé assez indigeste à lire (simple opinion)
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Le Bataillon créole

Je sors mitigée de cette expérience de la Première Guerre Mondiale vécue du côté du bataillon créole dans lequel des milliers de jeunes hommes se sont engagés pour aller combattre dans la Somme, dans la Marne, à Verdun, sur le front d'Orient, dans la presqu'île de Gallipoli et aux Dardanelles.

Le roman s'attache à raconter cet épisode du point de vue des familles martiniquaises : une mère dont le fils ne reviendra pas, une sœur dont le jumeau est mort "Là-bas", une femme dont l'amoureux est revenu meurtri à jamais dans sa chair et dans sa tête; mais également de façon rétrospective de celui des hommes partis qui sont morts dans cette guerre et des quelques uns qui en sont revenus.

Tous ces hommes se sont engagés pour montrer leur attachement à la "mère-patrie", cette lointaine métropole désignée par le terme "Là-bas", ils vivaient heureux sans rien demander à personne, ils vont se retrouver dans l'engrenage implacable de la guerre et son enfer : "Je n'étais qu'un simple éboueur municipal que la guerre avait arraché à son île des Amériques et charroyé jusqu'à ce monde inconnu.".

J'ai trouvé la construction de ce livre intéressante à travers cinq cercles qui se resserrent de plus en plus au plus près de l'horreur jusqu'à arriver en enfer, je regrette toutefois que la partie consacrée aux soldats soit moins importante que celles aux familles.

J'attendais plus de ce roman de découvrir cette guerre du regard de ces jeunes hommes partis pour défendre un pays qu'ils ne connaissaient que de nom plutôt que de celui des familles qui sont pleurent désormais leurs morts et apprennent à vivre sans eux.

Leur douleur est compréhensible et mérite d'être racontée, mais je n'en attendais pas autant.

Certaines parties ont fini par me lasser tandis que je retrouvais de l'intérêt dans celles s'attachant à décrire le quotidien et l'horreur de la guerre : "Parfois d'étranges statues à l'épiderme violacé : des fantassins, dont il était impossible de deviner la nationalité, cloués à la baïonnette d'un fusil comme qui dirait des épouvantails. Et dans l'air, cette odeur de mort qui flottait partout, qui imprégnait la terre, les arbres, les uniformes, les mains, des doigts, les cheveux.", ou encore celles présentant les pressentiments des soldats au front sur leur destin : "La Marne sera-t-elle mon tombeau ? J'en ai comme le pressentiment ...".

Mais là encore il manquait parfois une touche authentique, d'autant plus que la trame historique n'est pas respectée et que cela déstabilise de passer de 1914 à 1917 pour revenir en 1916, sans parler des retours en Martinique quelques années la guerre.

J'ai toutefois apprécié les descriptions de la vie en Martinique à cette époque, ainsi que ce point de vue sur l'Histoire plutôt inhabituel : il est courant de parler des soldats des colonies engagés dans ce combat, beaucoup moins du bataillon créole.

A ce titre, Raphaël Confiant leur rend un bel hommage à travers ce roman et permet de lever le voile sur une histoire plutôt méconnue du grand public en cette période de centenaire de la Première Guerre Mondiale.

Ce qui me gêne quelque peu également, c'est que j'ai finalement du mal à classifier ce roman : il ne tient ni de la fiction ni de l'historique, il contient une forme de réflexion politique et sociologique, sans doute que trop de genres sont mélangés dedans et m'ont quelque peu déstabilisée au cours de ma lecture.



"Le bataillon créole" de Raphaël Confiant est un bel hommage à ce bataillon venu défendre la "mère-patrie" dans des contrées qu'il ne connaissait pas et dans lesquelles il a souffert du froid, de la faim, de la mort.

Malgré mes quelques réserves, l'ensemble est intéressant et vaut d'être lu.
Lien : http://lemondedemissg.blogsp..
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Commandeur du sucre, Tome 3 : La dissidence

Je le dis avec force, Raphaël Confiant est certainement un des meilleurs écrivains contemporains de langue française. Son écriture, à la fois chatoyante et précise, est d'une richesse rare et tout juste pourrait-on ergoter sur quelques usages parfois insistants du vieux français qui ne sont même plus usités en Martinique et qui font parfois trop couleur locale. Il n'en demeure pas moins que cet écrivain n'a pas, au sein de notre littérature, le statut qu'il mérite. Lisez-le, vous verrez, c'est du bonheur…

« La dissidence » clôt une trilogie qui voit Firmin Léandor, commandeur d'une habitation gérée d'une main de fer par un propriétaire béké, se remettre en question quand arrive la défaite éclair de mai 40. Les rapports entre blancs et noirs, possédants et ouvriers agricoles, entre toutes les ethnies qui composent la Martinique, sont un peu laissés de côté dans cet ouvrage-là pour mettre en avant la guerre telle que l'île l'a vécue, avec la mise en place d'un gouvernement fantoche, soumis à Vichy, l'établissement d'un ordre moral digne des pires heures du franquisme et la mise sous blocus de la Martinique par les américains.

La population vit alors au rythme du rationnement, de la famine, de la persécution politique du moindre opposant à Pétain et, peu à peu, des hommes tentent leurs chances pour rejoindre les îles anglaises voisines malgré les patrouilles côtières menées par la marine française restée fidèle à Vichy.

Firmin Léandor réunira sur sa personne toutes les interrogations, toute la complexité d'une époque oubliée, et finira par faire le choix de la dissidence, de la France libre. Il est d'ailleurs intéressant de noter que, si les martiniquais noirs étaient bien accueillis par les anglais lors de leur accostage sur les îles britanniques, ils se retrouvaient rapidement envoyés en Caroline du Nord afin de recevoir une instruction militaire qui leur permettrait ensuite de rejoindre les forces armées gaullistes. Là, selon leur couleur de peau, ils étaient séparés et envoyés sur deux camps d'instruction distincts…

Un livre superbe et joliment travaillé, qui donne le sentiment d'attraper toute une Martinique aujourd'hui disparue à bras-le-corps.
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Grand café Martinique

Ce n'est qu'une fois le livre terminé que je me suis inquiétée de la réalité de cette histoire qui se déroule au XVIIIe siècle. Je découvre (merci Wikipédia) que Gabriel-Mathieu d'Erchigny de Clieu a réellement existé. Il est le premier a avoir transféré de France à la Martinique un plant de café provenant du jardin des plantes de Paris et obtenu de M. de Chirac, médecin du Roi.



Le Grand Café Martinique est donc l'histoire romancée de Gabriel-Mathieu.



Jeune officier de marine il part pour la Martinique où il espère faire fortune. Quelques années plus tard, planteur, marié et père de famille, il retourne pour plusieurs mois en France. Après avoir obtenu deux plants de café, il achète un bateau et embarque avec un équipage et des voyageurs pour la Martinique. Sa principale occupation sera de veiller au bien être de ces deux plants de café. Le voyage sera dantesque, attaque de pirate, tempête, sargasses, absence de vent, soif, accident, maladie...et enfin la terre après deux mois de mer.



Entre les chapitres du roman, s'intercale l'histoire du café de l’Abyssinie au petit noir sur le zinc !



Petit roman d’aventure sympathique.





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Grand café Martinique

Histoire, littérature, voyage, musique des mots et des langues mélangées, café bien fort et aromatique... Si vous aimez un ou plusieurs de ces ingrédients, alors ce livre est pour vous !

Je l'ai choisi pour sa magnifique couverture, pour l'auteur qui est un incontournable de la littérature mondiale – certainement pas assez connu chez nous – et pour mon goût prononcé pour les grands cafés.



Raphaël Confiant était tout indiqué pour écrire un grand roman à partir de la véridique histoire de l'introduction des premiers plans de café par un jeune Dieppois sur le Nouveau Monde en 1720. Gabriel-Mathieu d'Erchigny de Clieu, c'est de lui dont il s'agit, après une formation militaire à Rochefort, se fait nommer en Martinique. Là, il démissionne et décide de cultiver la canne à sucre, moyen d'acquérir rapidement une belle fortune et une position sur l'île. A cette époque, un nouveau breuvage devient à la mode – le café –, les français l'achètent à prix d'or au pays producteurs dans le Levant et en Afrique. Il décide alors de rentrer en France, d'essayer de se procurer quelques plants conservés au Jardin Royal des Plantes – il y parviendra de manière rocambolesque – et de tenter l'acclimatation en Martinique. Cela n'a jamais encore été réussi. le pari est osé surtout avec la difficulté du voyage de retour, l'océan étant infesté de pirates.

Cette partie consacrée au récit d'aventure maritime constitue une véritable odyssée émaillée d'embûches tragi-comiques avec attaque de pirates et combats épiques, calme plat dans les sargasses, ouragan, manque d'eau, tentative de mutinerie... le talent de conteur rend ces pages vivantes, inoubliables. Les phrases rehaussées d'une langue imagée, intégrant le créole et des mots d'argot normand permettent de se projeter dans les conditions de l'époque. Ce n'est pas de tout repos : les vivres s'épuisent, l'eau croupit et doit être rapidement rationnée, le chirurgien embarqué est « un Tourangeau quelque peu colérique » disposant des moyens de l'époque soit presque rien, les moyens de navigation sont des plus sommaires et l'équipage et les passagers ont vite l'impression désagréable de tourner en rond.

C'est écrit sous la forme d'un journal, à la première personne, ce qui permet de s'identifier facilement au personnage. Gabriel-Mathieu donne ses impressions sur le mode de vie sur l'île avec ses esclaves et toute la violence qui va avec, mais il refuse les punitions et autres sévices pratiqués alors couramment. On devient aussi fébrile que lui dans les soins prodigués à ses plants, eux aussi en bien grand péril lors de cette longue traversée de plus de deux mois.



Mais le sujet principal du livre reste le café et son histoire. Raphaël Confiant nous glisse de temps à autre, sans que cela ne nuise à la lecture, des contes, des récits historiques liés à la découverte et l'adoption dans le monde entier du café. On parcourt ainsi une longue période qui va du quatrième siècle jusqu'à notre époque. L'auteur a enquêté et les documents, retranscrits tels quels, sont passionnants. A la fois roman, essai, conte, poésie, mobilisant ainsi tout l'imaginaire possible, c'est un livre qui se déguste.

J'espère que vous aurez envie de monter à bord de ce bateau – au nom intriguant de « Dromadaire » – afin d'accompagner les fragiles et précieux plants de café de Gabriel-Mathieu d'Erchigny de Clieu, de les arroser aussi souvent que possible et de les sortir pour leur faire prendre le soleil (sauf en cas d'attaque de pirates !).



Quelques mots pour terminer sur l'auteur : Raphaël Confiant est un écrivain majeur de la littérature française. Il est à l'origine du concept de créolité qu'il a développé depuis 30 ans avec Edouard Glissant et Patrick Chamoiseau et bien d'autres. Il s'agit d'utiliser toutes les langues disponibles pour créer une prose relationnelle cherchant à dire plus qu'il en a été dit dans la littérature classique ou dans les livres d'histoire dominés par les colonisateurs et le système libéral. C'est un système de représentation porteur de renouvellement, cette prose relationnelle tendant à intégrer tous les acteurs et toutes les cultures, une volonté de captation d'une totalité du monde. L'influence de ce mouvement, dans la lignée de Frantz Fanon et d'Aimé Césaire, est considérable au niveau de la littérature mondiale.



Et ce sera quoi pour vous, thé ou café ? Pour moi ce sera café le matin et à midi quand le soleil donne toute sa mesure, manière de tenter de l'accompagner dans sa merveilleuse énergie : « Café, haut-lieu du verbe et de la pensée » selon la magnifique formule de Raphaël Confiant. Ensuite quand il faut se faire à l'idée du retour prochain de l'ombre, j'aime voyager plus oriental avec la douceur envoutante du thé !



Retrouvez les chroniques complètes avec photos personnelles, illustrations sonores sur mon blog Bibliofeel ou Clesbibliofeel. A bientôt !


Lien : https://clesbibliofeel.blog
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Le Bataillon créole

La première guerre mondiale a cent ans cette année. Elle a inspiré les écrivains, qu’ils aient eux-même vécu la guerre (je pense à Erich Maria Remarque ou Henri Barbusse) ou qu’ils aient eu la volonté, en dépit du temps qui passe, de dénoncer ses horreurs (Un long dimanche de fiançailles de Sébastien Japrisot ou Cris de Laurent Gaudé me viennent spontanément à l’esprit).

Des voix s’élèvent dans ce roman, que l’on n’a pas entendu jusque-là : celles des soldats créoles engagés dans ce conflit, et celles de leurs proches, mère, soeur, restées en Martinique, et ne comprenant pas pourquoi ces hommes ont fait le choix de s’engager dans ce conflit. Dès le début, nous savons que certains ne sont pas revenus. J’ai même envie de préciser : "pas revenus du tout". Les corps des soldats ne reposeront pas en terre martiniquaise, à de très rares exceptions près, les familles en sont alors réduites à se recueillir au pied de la statue du Soldat Inconnu nègre. Y trouvent-elles du réconfort ? Des réponses à leurs questions ? Rien n’est moins sûr. Questionner les survivants ? Certains ont tellement souffert dans leur chair que leurs mutilations parlent d’elles-mêmes.

Je reviens aux voix, car ce qui m’a vraiment fascinée dans ce roman est ces voix entrelacées, voix des vivantes, voix des morts, restés vivants par leurs lettres, dont les extraits sont insérés dans le roman. Elles matérialisent la distance entre les soldats et leurs familles : écrites dans l’espoir d’être lu, elles ne parviennent pas toujours à destination. Censurées, elles ne peuvent tout dire. D’ailleurs, existent-ils des mots créoles pour transcrire le froid, la neige, les canonnades, pour dire l’horreur des Dardanelles ? Le créole est pourtant là, vibrant, coloré, expressif et expansif, lien indéfectible entre les combattants et leur famille.

Le bataillon créole est un hommage sincère et émouvant à ces hommes et j’espère que ce livre trouvera un large public.
Lien : http://deslivresetsharon.wor..
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