Citations de Renaud Rodier (66)
En tout état de cause, Lieux a survécu à cette période hasardeuse qu'est la genèse d’un projet. L'idée de base de ce scénario était relativement simple. L'histoire tournerait autour de quatre protagonistes, des antihéros esquintés par leur enfance, et de leur quête de l'âme sœur, cet «autre moi» fantasmé, seul à même de les arracher à leur spleen. Une sorte de quête baudelairienne, où l’Idéal et le Beau seraient incarnés par une figure distante et fugitive qui manifesterait ce gouffre croissant entre ce qu'ils étaient et ce qu'ils auraient été capables d’être, la malédiction de l'espoir. Rien de bien original, Sa particularité résiderait dans le fait qu'il ne serait destiné qu'à un unique «spectateur», Stanley. Nat Bridge finirait bien par réapparaître, tôt ou tard. Mon script lui serait adressé, mais seul Stanley, s’il existait vraiment, serait capable de suivre les indices dont il était parsemé, comme autant de petits cailloux blancs jusqu'à un point de rendez-vous, où je l'attendrais. p. 322
" parfois les lieux humains créent des monstres inhumains" (Stephen King, Shining). Mes camarades, chacun d'eux, avaient besoin d'un paria pour renforcer leur sentiment d'appartenance : je suis peut-être une merde, mais au moins, moi, je ne suis pas un taré.
Si je pensais â ma femme moins souvent que je ne l avais redouté, son aura déclinante dictait toujours mes choix. Je ne m'étais pas encore habitué a errer par moi même.
Elle était encore plus belle qu a l université. La poudre abrasive du temps avait poli les traits de son visage jusqu a lui donner l apparence sereine d une oeuvre qui se savait pleinement aboutie.
Le vide, c est comme un miroir. Si vous n'aimez pas ce que vous voyez dedans, c est vous le problème.
Mes parents n'étaient pas des salauds. Ce serait trop facile de croire ça. C est juste que quand les rêves tombent de haut, ils écrasent tout sur leur passage.
J'avais toujours vu dans les bambins une argile humide qui n'aquérait de forme et d'utilité qu'après de nombreuses revolutions sur le tour du potier.
Un soir de décembre, j'ai atterri au bout du monde. L'endroit où l'on situe celui-ci est une question intéressante en soi, et relève d'un choix éminemment personnel. Les pôles Nord et Sud – les vrais, les pôles magnétiques vers lesquels toutes les boussoles s'orientent – se détachent comme des candidats évidents, bien sûr. Le problème est qu'ils se déplacent tout le temps. Cette bougeotte ne les disqualifie pas nécessai- rement comme terminus. Il faut juste accepter l'impermanence de nos extrémités. Un temple khmer, une station de tram à Jérusalem ou le dos d'un dromadaire du Sahara feraient tout aussi bien l'affaire, par ailleurs. Peu importe qu'on ne trouve rien au bout d'un mirage, tant qu'il reflète quelque chose de réel
Ceux qui parlent « d’amour impossible » n’ont rien compris. C’est l’impossible en nous qui est amoureux.
Alors que certains peuvent passer toute une vie à s’interroger sur leur putain de raison d’être, moi j’ai su très tôt que mon père était ivre et que ma mère était belle, ou l’inverse, ou les deux, point.
La plupart des gens confondent le vertige avec une peur panique des hauteurs, alors qu’il manifeste en fait une attraction irrépressible pour le vide. Les phobies fonctionnent comme ça. On craint ce que l’on aime trop pour son propre bien.
Là-bas, le ciel dictait sa loi aux hommes ; son immensité était telle que même les plus arrogants ne pouvaient ignorer leur propre insignifiance.
Le temps est la plus précieuse des monnaies. Alors, vous devriez vous renseigner sur le taux de change. J'aurais aimé savoir ça avant d'atterrir ici – qu'au final du final, la vie humaine se mesure en souvenirs.
Les plans détaillés m’effrayaient, me déprimaient, m’oppressaient. Je voulais me rapprocher au plus de la vie et partir d’une page blanche, puis tracer et tordre des arcs narratifs sur la base de vagues intuitions, jusqu’à me noyer dans les marais de mes incertitudes, chuter de mes hauteurs, suffoquer dans les miasmes de mes humeurs. Ma seule conviction était que je devais souffrir pour que quelque chose advienne ; me couper avec le tranchant effilé d’une feuille pour extirper de moi ces zones d’ombre que mon cutter n’avait fait qu’égratigner. Écrire relevait d’une opération chirurgicale, d’une extraction d’organe, plus que d’une catharsis.
Le vide, c’est comme un miroir. Si vous aimez pas ce que vous voyez dedans, c’est vous le problème.
La fiction a une faculté surprenante d’occuper les espaces laissés libres par la monotonie du quotidien.
Le matin, le ronronnement d’un car qui semblait glisser sur une route couverte de miroirs m’a tiré de mon sommeil. Je lui ai fait signe de s’arrêter en agitant les bras. Une porte récalcitrante s’est entrouverte en gémissant. Le conducteur m’a demandé d’un ton blasé qui suggérait que j’étais loin d’être le premier à le héler en plein désert : « Vous allez où ? » Je lui ai tendu un billet de dix dollars pour toute réponse, justification ou excuse.
Peu m’importait dorénavant où j’allais. L’Amérique était trop grande pour je fasse le difficile ; trop jeune, aussi, pour que je sois pressé. Le car était à moitié vide. Une vingtaine d’histoires déprimantes ont levé des yeux éteints vers moi, puis baissé la tête tout aussi machinalement. Ces âmes tristes ne correspondaient pas aux descriptions que les romans américains en font. Leur mélancolique banalité était trop nuancée, trop indescriptible, pour aspirer à l’immortalité.
Ceux qui parlent « d’amour impossible » n’ont rien compris. C’est l’impossible en nous qui est amoureux.
J'aurais aimé mourir autrement, d'une mort qui me ressemblait, me laisser submerger par la mélancolie et la béatitude, les sentir envahir mon corps et mon âme tout entiers, les gonfler jusqu'à ce que j'explose, oui, explose en des milliards d'infimes particules emportées par le soleil couchant, ne laissant pour toute trace de mon passage ici-bas qu'une épitaphe invisible qui dirait : J'étais ici, intensément, et puis je n'étais plus.
Je trempais ma plume dans le ciel gris du matin, puis je me perdais dans la transparence de ma calligraphie.