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Critiques de Richard Poulin (6)
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La mondialisation des industries du sexe

Concernant la prostitution, le débat entre abolitionnistes (avec quelques aménagements du prohibitionnisme) et réglementaristes (avec quelques aménagements de la libéralisation inconditionnelle) est caractérisé par l'étrange circonstance que les deux positions opposées peuvent être également défendues par des arguments féministes : à la limite et sans aucune caricature, les deux font usage des notions d'aliénation et d'émancipation. Aussi bien parmi les recherches que parmi les témoignages des prostitué.e.s, l'on trouve en nombre comparable des pro- et des anti-prostitution. Gêné voire incapable de trancher sur la question, longtemps j'ai défendu la thèse de bon sens que l'on a affaire, en matière de prostitution (à l'instar, sur de tout autres sujets, de la dénommée « famille monoparentale » et peut-être aussi de la toxicomanie), à un amalgame entre deux phénomènes qu'il conviendrait de tenir distincts selon la nature volontaire ou bien contrainte de la situation, en d'autres termes selon la prépondérance des déterminants psychologiques ou bien sociologiques dans un libre arbitre somme toute assez relatif.

Dans cet essai qui est résolument abolitionniste, la démonstration passe par un argument d'échelle. L'échelle individuelle et micro-sociologique est délibérément écartée, les témoignages sont réfutés et/ou négligés (parqués en appendice), à la faveur de l'échelle macro, qui étudie les facteurs économiques, politiques, juridiques transnationaux, en relation avec le néo-libéralisme et ses mécanismes de domination (patriarcaux et capitalistes-mafieux) dans un contexte de dérégulation, de crises économiques et politiques internationales, de flux de capitaux et de migrations entravées des personnes, d'inégalités géographiques croissantes, et surtout dans le cadre d'une effarante complicité entre le pouvoir de la finance et celui de la criminalité organisée à l'échelle mondiale. À une telle échelle, logiquement, et eu égard à l'ampleur vertigineuse des intérêts financiers en jeu, la question du consentement (occasionnel ou durable ou pérenne) de la personne prostituée disparaît tout simplement. Ce qui domine, ce sont les grandes tendances libérales vers la banalisation idéologique de la marchandisation des personnes (femmes et enfants d'abord) et de leur sexe. On peut aussi accepter que les modifications des conditions de production, « l'industrialisation » du secteur du commerce du sexe a complètement métamorphosé la prostitution dans le contexte néolibéral des quarante dernières années.

Vu de France, pays relativement abolitionniste, même si la dernière loi de pénalisation des clients prostitutionnels et des proxénètes est très largement inappliquée, l'immensité du phénomène et l'explosion de son volume financier sont peut-être moins évidents qu'ailleurs : nous sommes assez éloignés des flux d'importation (Allemagne, Pays-Bas, Japon, États-Unis) ainsi que d'exportation (ex-bloc communiste, Asie du Sud-Est, Brésil etc.) de l'industrie du sexe, hormis comme touristes sexuels. Il semble aussi peu évident, et peut-être même arbitraire, de réunir dans un même argumentaire la traite des êtres humains aux fins de prostitution, l'industrie pornographique, celle des « mariages par correspondance » et ledit secteur du tourisme sexuel, même si l'on devine la perméabilité des frontières de ces secteurs côté offre. Pourtant, une analyse globale tenant compte également de l'impact des conflits internationaux dans l'organisation quasi instantanée des trafics criminels de tout ce qui est fort lucratif car situé dans les zones grises de la légalité – armes, stupéfiants, migrants clandestins, prostitution, trafics d'organes et d'œuvres d'art/antiquités – chiffres en main se révèle à la fois très convaincante et absolument terrifiante.

Cette étude est désormais datée (rédigée en 2004), elle est parfois un peu rébarbative par l'abondance des données quantitatives, la minutie des détails juridiques, la foison des références bibliographiques ; elle entre parfois dans des polémiques acrimonieuses de menu détail contre les positions des adversaires, même si une grande honnêteté intellectuelle est appréciable par ex. sur la question de l'impossibilité de démontrer un quelconque effet psychologique pernicieux ou dangereux de la consommation pornographique – contrairement à l'idée reçue (et aux arguments abolitionnistes). À ce propos, même une fois que le lecteur a compris la raison d'être et accepté la pertinence du chap. III (cf. infra) concernant la pornographie, complémentaire par rapport à la prostitution – du côté de l'offre et non de la demande, naturellement – il m'a semblé que l'industrie pornographique a tellement évolué ces vingt dernières années que la démonstration faiblit, justement du point de vue de la production et des « conditions de recrutement et de travail ».

Néanmoins, ce que j'ai apprécié le plus dans cette lecture, c'est le cadre éthique de la critique du néolibéralisme par la notion souvent galvaudée de marchandisation, qui, cependant, est particulièrement pertinente lorsqu'il est question du corps et du sexe notamment dans les conditions d'extrême vulnérabilité qui entourent l'exercice de ces activités-là.







Table des matières [et appel des cit.]



Introduction



1. Le plan

2. Les concepts



Chap. Ier : Mondialisation et industrialisation du commerce du sexe [cit. 1]



1. L'ampleur de la mondialisation des industries du sexe

2. Un cas d'espèce : les anciens pays « socialistes » européens

3. Autres facteurs de l'expansion des industries du sexe

4. Les conflits armés et l'essor de la prostitution

5. Agences internationales de rencontre et de mariage par correspondance [cit. 2]



Chap. II : Prostitution, crime organisé et marchandisation [cit. 3]



1. Migration, traite des êtres humains et crime organisé

2. La marchandisation des êtres humains [cit. 4]

3. Le façonnement des marchandises en aval

4. Le façonnement des marchandises en amont

5. La vénalité triomphante



Chap. III : L'envahissement pornographique ou la tyrannie du nouvel ordre sexuel



1. L'industrie pornographique aujourd'hui [cit. 5]

2. Les effets de la consommation de la pornographie

3. L'étalement pornographique



Chap. IV : Libéralisme, « travail du sexe » et soumission aux valeurs marchandes



1. Les dérives libérales sur la prostitution et la traite [cit. 6]

2. Un double mouvement de légitimation [cit. 7]



Conclusion

Appendices

Annexe
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Sexualisation précoce et pornographie

En partant de la consommation de la pornographie par une majorité des filles et des garçons avant l’âge de quatorze ans, Richard Poulin s’interroge sur la pauvreté des recherches « Alors que nul n’ignore la puissance des images dans notre société, peu de gens semblent s’en soucier lorsqu’il est question des industries du sexe. »



Impossible d’évoquer les multiples thèmes abordés par l’auteur, certains découverts à la lecture de cet ouvrage. Je dois reconnaître un certain effarement devant certaines ”données”. Ni rire, ni pleurer, mais comprendre disait le philosophe, mais face aux abjections, un certain sentiment d’impuissance…



La pornographie doit être replacée dans les rapports sociaux dominants de sexe « La pornographie se focalise sur le plaisir masculin – qui est à la fois l’apogée et le but du spectacle, car après l’éjaculation tout est terminé – et l’humiliation des femmes, laquelle se trouve renforcée par une hiérarchisation particulièrement raciste. » Et contrairement à des idées répandues, elle n’est pas qu’une affaire d’adultes consentants.



L’auteur fait le lien entre la sexualisation précoce, le nouvel ordre pornographique, l’hypersexualisation de la société « à l’intérieur de laquelle le corps féminin est chosifié et morcelé et où la valeur des femmes est réduite à leurs attributs physiques et à leur capacité à plaire et à séduire » et la surexposition de l’intimité dans la sphère publique.



La publicité envahit les espaces, dans les magasines, à la télévision, sur internet, « la société actuelle subit un vacarme sexuel assourdissant, caractérisé par une banalisation de la pornographie et du sexe marchandise. Le sexe est partout. Il s’achète, se vend, se loue et il vend et se fait vendre.. »



La pornographie est, de plus, prescriptrice de comportements, d’attitudes et de pratiques qui parfois se concluent par des transformations irréversibles (opérations chirurgicales). La consommation fantasmatique et réelle semble dominer. Richard Poulin a bien raison de s’interroger : « Que des hommes soient capables de bander pour des objets synthétiques, totalement dociles, et jouir, en dit long sur eux en particulier et sur la société masculine dans son ensemble. »



Sans invalider les analyses et les conclusions de l’auteur, je crois que celui-ci aurait gagné à présenter les contradictions engendrées par le nouvel ordre sexuel et rendre moins lisses, moins unilatérales les évolutions décrites.



Un livre pour ne pas accepter la marchandisation de nos êtres, de nos corps, la réduction des libérations à la consommation, au paraître, sans oublier les violences physiques et psychiques. A l’isolement narcissique et aux nouveaux préceptes comportementaux, nous pouvons opposer une émancipation construite sur l’acceptation des limites du moi, sur les échanges avec d’autres, égaux et égales.
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Une culture de l'agression : Masculinités, in..

Nommer la violence, reconnaître ses victimes, briser le silence



Dans son introduction,Richard Poulin interroge : « Pourquoi des hommes agressent-ils sexuellement des femmes, des enfants ou d’autres hommes ? Pourquoi des hommes payent-ils pour des relations sexuelles ? Pourquoi consomment-ils de la pornographie ? Pourquoi battent-ils leur compagne ? Pourquoi tuent-ils leur conjointe et leurs enfants, ou exclusivement leurs enfants ? Pourquoi prennent-ils les armes pour massacrer leurs collègues d’étude, de travail ou des gens à l’église, à la mosquée, à la synagogue, ou encore tirent-ils de façon aléatoire sur des cibles qui leur sont inconnues ? Pourquoi sont-ils des meurtriers en série à caractère sexuel ? »



L’auteur aborde les viols, les meurtres de femmes, la pornographie sous l’angle de la haine des femmes. Il discute de l’impunité des harceleurs et des agresseurs sexuels, de la prostitution et de l’invisibilisation et des prostitueurs, de l’industrie mondialisée du sexe, de la légitimation et la légalisation de cette industrie, des violences dites domestiques, de féminicide, de « culture d’agression ».



Richard Poulin souligne aussi le diktat des apparences, les transformations chirurgicales corporelles, les phénomènes d’hyper-sexualisation, le retour de la femme-objet, la sexualité de performance sous les impacts de la pornographie, les réactions masculinistes aux avancées de l’égalité des droits…



L’auteur analyse les meurtres de femmes, comment des hommes conçoivent leur partenaire comme une propriété, la préméditation, les significations sexistes des violences, les guerres et les lieux de « repos » au profit des soldats, les lieux dédiés « à la suprématie masculine », la construction des femmes comme « objets de désirs » et non comme « sujets de parole ».



Contre les silences imposés, les invisibilisations construites, les réductions des actes à des dimensions psychologiques, le refus de prendre en compte les rapports sociaux de sexe et la domination systémique des hommes sur les femmes, ce livre peut « aider à briser le silence et à réfléchir sur ces masculinités qui exploitent, agressent, violent et tuent… »



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En un premier texte, en guise de « prolégomènes », Richard Poulin revient, entre autres, sur le marquis de Sade, le culte de l’argent, la satisfaction immédiate de n’importe quel désir, l’agression comme acte d’appropriation du corps ou du sexe d’autrui, le plaisir des uns sans considération du désir des autres, la réduction des relations interpersonnelles à des échanges marchands…



L’auteur analyse la pénétration de la marchandise « dans le domaine des moeurs », la mondialisation néo-libérale et les inégalités sociales, la marchandisation des corps et du vivant, « Ce processus de marchandisation opère inévitablement au prix d’une violence sociale considérable ». Il rappelle que la marchandise n’est pas une « chose » mais qu’elle est fondamentalement « un rapport social » et en souligne des effets en termes de chosification, objectification, soumission, subordination, domination ou exploitation.



Pour en rester dans les domaines traités dans le livre, par exemple, dans les industries du sexe, « les marchandises humaines ont la particularité de disposer d’un double avantage – ils sont à la fois un bien et un service – et donc de pouvoir rapporter de deux façons ». Mais l’accès aux marchandises ne peut donner qu’une satisfaction partielle et temporaire « tout en créant une insatisfaction permanente ». Le culte de la marchandise, et ici précisément du sexe-marchandise, participe bien au maintien, voire au renforcement, des rapports sociaux asymétriques, à la poursuite de la domination. Et le paiement de l’« acte sexuel » permet au prostitueur de se dédouaner par transfert de la responsabilité sur la personne qui reçoit l’argent (il ne faut cependant pas oublier dans ce circuit, les proxénètes). Rôle de l’argent, location du corps d’autrui, sentiment de supériorité des uns et déshumanisation des autres, subordination des corps comme source plaisir, consommation rapide et réduite à l’éjaculation, absence de réciprocité et demande de simulation du plaisir ressenti, survalorisation de la place du pénis…



Richard Poulin analyse les rapports entre domination et soumission sexuelle, les rhétoriques sur la « nature féminine », le rôle et les fonctions de la pornographie, le devoir de « performance », les diktats de beauté-jeunesse-sveltesse anorexique- « féminité » exacerbée, les nouvelles prescriptions corporelles, la saturation de l’espace par les corps dénudés (de femme), l’injonction de jouir, l’invasion des représentations sexuelles pornographiques.



L’auteur insiste sur les nouveaux modèles engendrés par la culture pornographique, son rôle dans la constructions des images et des souhaits, des normes et des désirs, ce qui affecte l’estime de soi, « Que des hommes soient capables d’avoir une érection pour des objets synthétiques totalement dociles et jouir en dit sans doute long sur eux en particulier et sur la société masculine en général ».



Derrière une soit-disante libération (pour qui ?) le narcissisme, le culte de la performance, des formes exacerbées du souci de l’apparence, les chirurgies plastiques, les corps comme enjeux et symboles de pouvoir, le déplacement des contradictions et les réaménagements des rapports sociaux pour maintenir, par l’oppression des femmes, un ordre social profondément inégalitaire et agressif.



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Sommaire :



Introduction Une culture d’agression



Valeur vénale, domination sexuelle et tyrannie narcissique de l’apparence. Sexe objectifié et sadisme culturel, valeur-venale-domination-sexuelle-et-tyrannie-narcissique-de-lapparence-sexe-objective-et-sadisme-culturel/



Première partie Prostitution



Violence, pouvoir masculin et prostitution



Crime organisé, trafic des migrantes et traite des êtres humains



Le système de la prostitution militaire en Corée du Sud, en Thaïlande et aux Philippines



Prostitution et traite des êtres humains, controverses et enjeux



Deuxième partie Pornographie



La pornographie comme faire-valoir sexuel masculin



La tyrannie du nouvel ordre sexuel. Cinquante ans après la naissance de Playboy



Apparence, hypersexualisation et pornographie



Pornographisation : adocentrisme, juvénalisation des femmes et adultisation des filles



Troisième partie Tueries



Une violence chargée de sens



Misogynie et racisme, les fondements des meurtres en série



Misogynie et meurtres de masse : tendances sociales avant et après le drame de la Polytechnique



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Richard Poulin met en rapport les expressions des « masculinités », les rapports prostitutionnels, la pornographie, le « nouvel ordre sexuel », la misogynie, le racisme et les meurtres de masse. L’auteur insère ces expressions de la « culture d’agression » dans la phase néolibérale du capitalisme. Loin des réductions psychologiques, il s’agit bien de prendre en compte les effets et les comportements au sein des rapports sociaux actuels, de comprendre les logiques de marchandisation et leurs effets sur les modalités historiques de dominations ici particulièrement, de la domination des hommes sur les femmes.



Je ne souligne que certains éléments. La place de l’industrie du sexe dans l’économie mondiale, son orientation vers le plaisir masculin, le tourisme sexuel, les modalités de fabrication des marchandises particulières que sont les corps des femmes, les violences quotidiennes, le trafic des migrant·es, l’économie déréglementée et le crime organisé, le système prostitutionnel en temps de guerre ou plus généralement militaire…



Richard Poulin présente des études détaillées sur les différentes positions institutionnelles autour de la prostitution, réglementation, déréglementation, libéralisation, abolition, inaliénation du corps, conventions internationales, bordels, zones réservées… Il analyse des situations et des discours, des intérêts bien concrets de certains, des conséquences pour les personnes prostituées et/ou trafiquées.



« La victoire du néolibéralisme dans les années 1980 a permis une accélération de la soumission à la monétarisation des rapports sociaux ce qui s’est traduit par un essor considérable des industries du sexe. Les femmes et les filles du monde entier en paient un lourd tribu ».



La pornographie est abordée comme « faire-valoir sexuel masculin ». L’auteur parle de banalisation du sexisme, de construction des images (un « régime d’images » et des corps, des regards masculins et des diktats de présentation pour les femmes, de représentation et de simulacre, de réduction de la sexualité à des performances pénétratives, de morcellement du corps des femmes, d’érotisation de la violence, de « représentation exorbitante de la réalité », de la « jouissance » masculine primant le tout…



« La pornographie ne constitue donc pas un univers fermé sur lui-même qui n’aurait rien à voir avec la vie de tous les jours, une espèce d’enclos sans aucune réalité sociale, économique ou politique. La pornographie est, au contraire, engendrée dans et par une société précise. C’est un lieu de cristallisation idéologique où s’exprime la philosophie d’une époque et où une multitude masculine apprend un discours qui aide à ancrer et à perpétuer sa domination ».



Je souligne particulièrement le chapitre « Apparence, hypersexualisation et pornographie », le « porno chic », la mode hyper-sexualisée, la transformation de femmes en « nymphettes », l’existence réduite au regard de l’autre, la séduction et la consommation, l’exhibition et les normes à suivre, le corps féminin transformé et mutilé, l’anorexie des mannequins, les influences sociales de la pornographie, « Ce sont les regards des hommes qui décident des corps des femmes »…



Les tueries de masse, la haine des femmes, la réduction des massacres à « des causes attribuables uniquement à des facteurs individuels, en psychologisant à outrance le cas (« tueur fou », « forcené », « malade »), en reléguant le tout dans le domaine du fait isolé, on arrive à désamorcer, sinon à nier l’aspect politique du meurtre ». Richard Poulin insiste sur les dynamiques sociales qui sous-tendent de tels actes. Il analyse les homicides de masse et en série. L’auteur souligne qu’il convient de prendre en compte les « cibles » pour comprendre le « noyau sociologique de l’acte ». Il traite notamment des meurtres de personnes prostituées. Il convient de refuser les explications strictement individualisantes pour aborder les phénomènes sociaux.



« En réduisant la question de cette violence indicible à une explication privée, individuelle, psychologique, on évite de remettre en question le système social et sa dynamique intrinsèque, au profit du renforcement des mécanismes répressifs de l’Etat ou de la violence privée »



Un livre d’une grande actualité. Des analyses à mettre en relation avec les dénonciations du harcèlement sexuel, des violences contre les femmes, de l’inégalité économique et politique des femmes, d’un ordre social profondément structuré par le sexisme et le racisme.
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Abolir la prostitution

Transformer les attitudes et les mentalités pour abolir la demande des prostitueurs





« Ce manifeste a déjà quinze ans. Publié par les éditions Sisyphe, qui étaient dirigées par les féministes Élaine Audet et la regrettée Micheline Carrier, traduit en catalan, il est toujours d’actualité. C’est pourquoi il est réédité, car le combat contre l’exploitation sexuelle, même s’il a enregistré plusieurs avancées, est loin d’être terminé ». Dans son avant-propos, Richard Poulin aborde, entre autres, la proposition abolitionniste, les industries capitalistes du sexe et leurs transformations, l’organisation de bordels dans les pays réglementaristes, la situation des femmes prostituées pendant la pandémie, l’industrie de la pornographie, le proxénétisme en ligne, l’exploitation sexuelle des personnes prostituées migrantes et la racialisation de l’industrie prostitutionnelle, la féminisation de la pauvreté et des migrations sous la mondialisation néolibérale, la traite à des fins de prostitution…



L’auteur précise la dégradation de la situation des femmes des groupes opprimés, « Puisque les industries du sexe se focalisent sur le plaisir masculin et l’exploitation sexuelle des femmes, laquelle se trouve renforcée par une hiérarchisation sociale raciste, les femmes des minorités ethniques et nationales sont victimes d’une façon disproportionnée de l’industrie du sexe », les exactions et les actes de violence qu’elles subissent, la banalisation de la prostitution dans certains pays, « Elle est légale dans les bordels, les vitrines ou les zones de tolérance de certains pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas, la Suisse et ailleurs, largement tolérée par d’autres pays qui engrangent des devises étrangères sur le sexe des femmes, comme la Thaïlande et la Corée du Sud », l’augmentation du nombre d’hommes qui « payent l’accès sexuel au corps d’une femme, d’un enfant ou d’un être féminisé », la soumission aux soi-disant besoins des hommes, et son effet sur l’ensemble des rapports sociaux, « Quand la marchandisation sexuelle des femmes fait partie de la norme sociale, le risque est élevé d’être vues comme de simples marchandises au service des hommes et d’être utilisées comme telles, ce qui n’est pas une chose qui doit être trivialisée », la réduction de la sexualité des femmes « dans des carcans socioculturels et économiques de soumission à la sexualité masculine »…



Il rappelle aussi que « La prostitution est une institution d’oppression des femmes, de toutes les femmes, pas seulement de celles qui sont prostituées » avant de revenir sur la loi suédoise, la « Paix des femmes » (Kvinnofrid ), l’inversion de la culpabilité, « les prostitueurs sont responsables d’actes criminels d’exploitation sexuelle », la décriminalisation des personnes prostituées…



Richard Poulin discute aussi de la société marchande, de consommation, des sexes et des corps interchangeables et « désertés de leur individualité propre » mis sur le marché, d’instrumentalisation et d’infériorisation, de la fabrication « par dessaisissement des individualités et de leur humanité », de décorporalisation et de dissociation de soi, de l’équation « établie par la société marchande entre femme et sexe », de violence sociale…







« Tout au long des millénaires, les hommes ont utilisé les corps des femmes selon leurs caprices, les ont contrôlé, échangé pour renforcer leurs liens de solidarité, vendu pour l’usage et le plaisir masculins. Voici une curieuse manière d’inverser la réalité : loin d’être le métier le plus vieux des femmes, la prostitution constitue le plus ancien des privilèges dont profitent des hommes ». Claudine Legardinier, Saïd Bouamama (en complément possible, Extrait du livre du livre de Claudine Legardinier et Saïd Bouamama : Les clients de la prostitution – l’enquête)

Je souligne la belle préface (très détaillée) de Sylviane Dahan à l’édition catalane du livre (2009), « Abolir la prostitution » – Une question en suspend pour le féminisme et pour la gauche. L’autrice aborde, entre autres, les débats féministes atour de la prostitution, l’alternative à la régulation du commerce sexuel, les horizons émancipateurs et les involutions réactionnaires, « Toute authentique révolution d’horizon socialiste s’est caractérisée par l’irruption résolue de la femme sur la scène politique, depuis qu’elle a pris la parole et a esquissé l’idéologie de son émancipation – comme, à l’inverse, toute involution a comporté le retour de la femme au foyer traditionnel et à la réaffirmation de sa condition de subordination à l’homme », la pollution « une partie importante de la gauche et du mouvement de femmes » par les « valeurs » néolibérales, l’oubli des rapports sociaux et de leurs effets idéologiques, les effets de la nouvelle législation en Suède, le sens du mot liberté, « la liberté et la prostitution sont deux notions et deux réalités inconciliables », les violences réelles, « l’arbre de la violence subjective ne nous laisse pas voir l’épaisse forêt de la violence systémique », l’usage abusif de la notion de travail dans une lecture très discutable de théorisations marxistes, l’annulation de la femme comme personne et « sa transformation en simple objet, manquant d’identité, volonté ou désirs propres, et destiné à l’exclusivité et privilégiée satisfaction sexuelle des hommes », les souffrances masquées par la priorisation des « désirs » des hommes, le silence sur les traites et le tourisme sexuel, les survivantes, les mythologies et les exaltations de l’individualisme, les insultes pour ne pas débattre, le sexe et les identités figées, « Le sexe devient ici le vecteur de la réaffirmation d’une identité déterminée à partir de la jouissance d’un privilège », le refus du puritanisme hypocrite, « L’alternance au puritanisme hypocrite n’est pas l’amoralité, mais la construction d’une autre morale supérieure. Une morale indissociable de l’effort des classes travailleuses et opprimées pour se mettre debout, pour surpasser la fragmentation et l’aliénation à laquelle elles sont soumises »…



La préfacière défend « un abolitionnisme féministe », l’ouverture de l’humanité à des futurs émancipateurs, « L’histoire de l’humanité n’est pas finie. La prostitution n’a aucune raison objective d’exister, au-delà de la volonté de perpétuer une relation ancestrale de domination et de privilèges, à travers l’existence d’une réserve permanente de femmes et d’êtres féminisés pour satisfaire les appétits sexuels des hommes », la régularisation des personnes dites sans-papiers, l’accessibilité à l’ensemble des services et des prestations sociales rénovées ou renforcées, l’ambition d’une égalité réelle…







Richard Poulin examine dans un premier temps, contre l’idée « du plus vieux métier du monde », l’histoire des organisations structurées et hiérarchisées et des actes d’achat des corps, les habits sacrés de la division sociale et sexuelle du travail, l’histoire de ce que nous nommons aujourd’hui prostitution, le proxénétisme (pour employer le terme de nos sociétés) comme affaire publique, les oscillations historiques entre « prohibition, tolérance et réglementation de la prostitution » et la responsabilité affirmée des seules femmes, les sentiments d’impunité et de supériorité des hommes, l’industrialisation et l’internationalisation de la prostitution, les industries du sexe et la féminisation des migrations…



L’auteur s’attaque dans un second chapitre aux relations entre libéralisme et prostitution, aux politiques réglementaristes de certains pays, au silence sur les véritables raisons de cette réglementation faite au soi-disant nom des personnes prostituées : « garantir aux hommes l’accès aux personnes prostituées, alimenter le plaisir viril, pérenniser le pouvoir masculin et assurer des revenus substantiels aux coffres de l’Etat at autres proxénètes », à l’absence d’investissement dans « des services appropriés aux personnes prostituées », à la répression et à la gestion des espaces publics…



Il discute de liberté, de soi-disantes opérations commerciales, des rapports entre hommes et femmes, « Les opinions sur la liberté et sur les droits de ces trafiquants de concepts ne font qu’adapter la règle du libre commerce et la marchandisation des êtres humains à un domaine qui, plus que tout autre, s’avère destructeur de vies et qui altère profondément l’ensemble des rapports sociaux, particulièrement les rapports entre les sexes », de prostitutionnalisation, du tourisme sexuel, de crime organisé, de double morale, « Des intellectuel·les, des universitaires, des journalistes, des progressistes comme des conservateur·trices promeuvent et soutiennent la prostitution d’autrui, mais jamais la leur ni celle de leurs enfants, car ce qui est bon pour l’autre ne l’est pas nécessairement pour soi », d’âge d’entrée dans les rapports prostitutionnels, « l’âge moyen de l’entrée dans la prostitution dans les pays dominants du capitalisme est d’environ 14-15 ans et il est encore moindre dans les pays dominés » (il s’agit donc de viols), de mascarade de droit…



Le troisième chapitre est principalement consacré au sexe marchandise et à la violence. Richard Poulin nous rappelle que « la prostitution est une institution sociale à l’usage quasi exclusif des hommes. Elle est une industrie essentiellement vouée au plaisir des hommes et à la démonstration de leur présumée supériorité, qui est étroitement liée à ce qu’ils estiment être leur « virilité » ainsi qu’à ses différentes expressions et normes ». Et l’argent est au cœur du rapport prostitutionnel, il dédouane le prostitueur de ces actes et de leurs conséquences.



L’auteur aborde le proxénétisme, les rapports entre proxénètes et personnes prostituées, le cloisonnement des vies, la dissociation émotionnelle, « cela se traduit par une absence à soi- même, une anesthésie sensitive et une réactivité affective amoindrie, ce qui, en même temps, leur permet de survivre », l’endettement chronique, les actes de violences et la violence inhérente à la prostitution. Il interroge aussi les facteurs structurels de la prostitutionnalisation, les misères financières et sociales, la vulnérabilité de certaines personnes, « À moins que l’expression « libre choix » veuille dire en définitive son contraire : « Pas de choix ! » ». Il termine ce chapitre sur les formes de résistances et stratégies de survie, « L’objectification sexuelle prostitutionnelle n’éradique pas les capacités d’op- position du sujet pensant et agissant – la personne prostituée –, mais elle lui impose un cadre social oppressif et stigmatisant qui peut et doit être aboli »….



Il y une certaine confusion aujourd’hui entre abolitionnisme et prohibitionnisme, confusion volontairement aggravée par les partisan·es de la valorisation du « travail du sexe ». Comme le fait remarquer l’auteur, « il faut plutôt chercher les véritables parentés entre le prohibitionnisme des conservateurs et le réglementarisme des libéraux ».



Parlons un peu de celleux qui font l’apologie du « libre choix » hors de tous rapports sociaux (les rapports de pouvoirs sont niés dans l’apologie du libre commerce), celleux ne prenant jamais en compte les paroles de celles qui se qualifient de « survivantes », celleux oubliant toujours les clients-prostitueurs et leurs violences, celleux qui ont une conception bien réduite de la santé, « En dehors des infections transmissibles sexuellement, les effets sur la santé de l’activité prostitutionnelle sont également ignorés », celleux aveugles à l’age d’entrée en prostitution, « il leur est difficile d’intégrer la question de l’âge moyen de l’entrée dans la prostitution dans une problématique basée sur le libre choix, d’où leur silence significatif et « assourdissant » sur cet aspect pourtant fondateur de la prostitutionnalisation », celleux qui ferment volontairement les yeux sur les effets des réglementations – dont le renforcement du contrôle proxénète, le turn-over de « chairs fraiches », l’impunité des prostitueurs…



« L’abolitionnisme rejette toute forme de réglementation et de prohibition de la prostitution pour une raison fondamentale : ce sont les personnes prostituées qui font essentiellement les frais de ces systèmes juridiques ». Richard Poulin discute les positions historiques abolitionnistes, de l’impact de la prostitution sur toutes les femmes, des interactions entre le combat abolitionniste et les autres combats pour les droits des femmes, des conventions internationales contre la traite des êtres humains, les changements de vocabulaire à connotation économique libérale, l’extension des activités de « sexe » pour satisfaire les divertissements des hommes, la liberté de prostituer derrière la soi-disant liberté de se prostituer…



L’auteur défend un abolitionnisme intégral, conteste l’ordre marchand et sexiste, rappelle l’inaliénabilité du corps, « L’égalité entre les femmes et les hommes restera inaccessible tant que des femmes et des enfants seront acheté·es, vendu·es et prostitué·es, tant qu’un sexe sera opprimé par l’autre, tant que la prostitution ne sera pas abolie comme l’ont été l’esclavage et le servage ». Il discute ensuite des conditions du combat abolitionniste, des politiques de réductions des inégalités sociales, des luttes historiques des femmes et des féministes, des conventions internationales, du refus de la banalisation de la subordination d’un sexe au profit d’un autre, des industries du sexe, de la mondialisation néolibérales, de l’appropriation marchande des corps, des effets de la présence des militaires, des conséquences de la mondialisation pour les femmes, « La réduction des dépenses dans les services sociaux et de santé ainsi que leur privatisation partielle ou totale ont pour conséquence, entre autres, de forcer avant tout les femmes à compenser le déficit en services par un surcroît de travail », de la Marche Mondiale des Femmes et de ses analyses…



Le dernier chapitre s’intitule « Un abolitionnisme pour le 21e siècle ». Richard Poulin rappelle qu’« Aucune politique n’est mise en œuvre actuellement pour faire disparaître les conditions d’entrée dans la prostitution », que très peu de choses sont mises en œuvre pour répondre aux besoins des personnes en situation de prostitution, que le regard social reste stigmatisant sur les personnes prostituées mais non sur leurs clients prostitueurs. Il souligne que « Elles ne sont pas des criminelles ou des délinquantes, mais des victimes du système proxénète-libéral » et que « Chacun·e devrait avoir accès aux droits universels, qui sont liés à la personne et non à un statut ». L’auteur parle de la nécessité de mettre en place des mesures de protection et d’accompagnement pour les victimes du sytème prostitutionnel, de créer des « Centres pour les victimes des violences masculines », de régulariser les personnes dites sans-papiers, « L’octroi d’un statut de résident·e permanent·e aux personnes prostituées d’origine étrangère victimes de la traite, qui désirent rester dans le pays, accompagné du droit au travail et à la formation, qu’elle soit scolaire ou professionnelle, ainsi qu’aux services sociaux représente une exigence humanitaire et de justice ».



Il termine en énumérant certains grands principes, l’inaliénabilité du corps, le rejet de la notion du consentement, les moyens de réorienter leur vie selon le rythme des personnes, l’écoute active et d’appui et non la répression ou la stigmatisation, la prise en compte de la position de victime, la répression du proxénétisme…



L’auteur défend la légitimité de la pénalisation des clients, « Dans le dessein de combattre la traite des humains aux fins de prostitution, les États doivent lutter contre le système prostitutionnel, source de la traite. À cet effet, ils doivent s’attaquer à l’une des causes principales de la prostitution, le « droit » des hommes aux personnes prostituées, la « demande », c’est-à-dire les prostitueurs (tant sur le plan national qu’à l’étranger, notamment dans le cas du tourisme sexuel) ».



Il souligne « Le droit de ne pas être prostitué·e », la nécessité d’une authentique politique d’éducation sexuelle, le possible d’une société sans prostitution, « De ce fait, il paraît impossible de dissocier les questions que la prostitution soulève de celles de la pauvreté, des inégalités sociales, de l’exclusion, de la violence, notamment de la violence sexuelle, de la maltraitance, des classes sociales, des relations ethniques, du racisme, des rapports entre les pays du centre du capitalisme mondial et de ceux de la « périphérie » et, surtout, de l’oppression des femmes »…



Les analyses de Richard Poulin sont à la fois bien documentées, présentées de façon claire. Elles prennent en compte l’ensemble des structures sociales. Elle sont guidées par une volonté d’émancipation et d’égalité…



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Les meurtres en série et de masse : Dynamique..

On ne peut réduire au seul aspect individuel, cette violence qui représente à la fois un acte personnel et un processus social



« Il nous a semblé nécessaire de reprendre l’analyse des homicides de masse et en série – les meurtres multiples – pour comprendre leurs mécanismes sociaux. »



« Cet essai se veut une contribution à la compréhension sociologique de ces phénomènes. Pour cela, il procède à un renversement de perspective par rapport à la littérature existante : l’explication du meurtre multiple n’est pas recherchée chez le meurtrier lui-même, dans sa folie ou les traumatismes de l’enfance, mais chez la cible visée, c’est-à-dire chez ses victimes. »



Comme le soulignent les auteurs dans leur premier texte « Une violence chargée de sens », les analyses, policières ou médiatiques, des folies meurtrières, ne prennent pas en considération les cibles, les victimes ( en ne tenant pas compte des victimes, on évacue, comme l’écrivait Colette Guillaumin « le noyau sociologique de l’acte »). Les causes sont réduites aux facteurs individuels, « en psychologisant à outrance le cas ( »tueur fou », »forcené », »malade »), en reléguant le tout dans le domaine du fait isolé, on arrive à désamorcer, sinon à nier l’aspect politique du meurtre ». Les préparatifs sont négligés au profit de la soudaineté de l’explosion de violence alors que les tueurs ont « pensé, planifié, organisé et mené à terme » leurs actions destructrices. Les explications devraient « rendre compte des similitudes, des schémas répétitifs, des »règles sociales » qui les régissent ».



Quelques éléments complémentaires extraits des analyses : l’arme à feu (« L’arme à feu permet au meurtrier de maintenir une distance physique, mais aussi psychologique, vis à vis des victimes »), les crimes de masses et en particulier les déchaînements de la violence depuis le début du XXe siècle ( sur ces points, voir les livres d’Enzo Traverso : A feu et à sang – De la guerre civile européenne 1914-1945 Une caractéristique importante de l’antifascisme, qui contribue à expliquer tant sa complaisance à l’égard du stalinisme que son aveuglement face au génocide juif, est sa défense acharnée et a-critique de l’idée de progrès, héritée de la culture européenne du XIXème siècle et L’histoire comme champ de bataille. Interpréter les violences du XXe siècle Essor de l’histoire globale, retour de l’événement et surgissement de la mémoire). A très juste titre, les auteurs soulignent la violence structurelle dans nos sociétés dans l’exploitation et les oppressions. « En quelque sorte, ces meurtres représentent une excroissance de la société, de son fonctionnement structurel ».



Dans les articles suivants, les auteurs reprendront les analyses en mettant le focus sur des points plus particuliers ou complémentaires.



Richard Poulin : « Misogynie et racisme, fondements des meurtres en série ». L’auteur traite, entre autre, de la société du spectacle, de l’auto-représentation des tueurs en série, de l’inadéquation de l’argumentaire autour des traumatismes dans l’enfance. Il insiste notamment sur la culture dominante de la masculinité (dont le culte de la virilité), des socialisations sexuées, de la pornographie comme « industrie du fantasme de la domination sexuelle » (« comprendre le rôle complexe qu’elle joue en tant que médium de masse dans le maintien, si ce n’est dans la promotion, d’une culture banalisée de l’agression sexuelle »), du racisme, de la forte proportion d’hommes blancs chez les meurtriers « Pourquoi les meurtriers en série sont-ils principalement des hommes blancs, alors que les victimes sont des femmes ou des êtres »féminisés » ou encore des membres des minorités visibles ». Il évoque aussi la chosification et la déshumanisation des victimes « La victime devient clairement, dans les phases du meurtre, un objet et, par le mécanisme de la chosification, elle finit par représenter un miroir fidèle non pas aux images réelles, mais aux images désirées (fantasmes) du tueur ». En contrepoint, les analyses sur les meurtrières en série sont particulièrement intéressantes, entres autres, sur la différence des victimes. Une partie de l’article traite de la prostitution et des violences sexuelles dont le viol, de appropriation du corps des femmes par les hommes. Richard Poulin critique aussi l’idéalisation des « profileurs » ou de la vengeance et de la violence judiciaire dans les romans noirs. Il faudrait poursuivre ces analyses en prenant en compte la violence des images surmédiatisées (lors des interventions armées impérialistes entre autres) et des contenus de nombreux jeux vidéo.



Yanick Dulong : « Dans l’ombre des meurtres de masse ». L’auteur nous rappelle que « cette violence est révélatrice de structures et de rapports sociaux qui cimentent nos sociétés » et que « Les meurtres de masse constituent d’abord et avant tout un phénomène social parce que les victimes de ces crimes proviennent de milieux et de groupes sociaux spécifiques ». Comme chez Richard Poulin, le caractère masculin des meurtres de masse est souligné. L’auteur nous parle de « déchéance sociale », d’êtres écorchés mais ajoute, à très juste titre, que « la majorité des êtres écorchés par la vie ne deviennent pas des meurtriers », de la planification des actes et de la sélection des victimes. L’auteur analyse les féminicides, l’hyper-sexualisation. Il fait référence aux études féministes sur la domination sociale des victimes par les meurtriers, les constructions sociales des rôles. J’ai apprécié les paragraphes sur la croissance de la masculinisation et des violences lorsque ne se dessine plus « une solution de rechange collective » au désordre fonctionnel de notre monde, les analyses sur les comportements différenciées des hommes et femmes « Si les hommes commettent plus de crimes violents que les femmes, ce n’est pas à cause de prédispositions biologiques, mais plutôt parce qu’ils intègrent des images, des modèles et des idéaux spécifiques qui constituent la base de l’expression de la masculinité dans la société ». Yanick Dulong critique les films guerriers ou d’héroïsme masculin « La violence est donc présentée comme un moyen légitime et banal de résoudre les conflits et de s’affirme ». (Sur le masculinisme, je rappelle l’incontournable livre de Léo Thiers-Vidal : De « L’Ennemi principal » aux principaux ennemis. Position vécue, subjectivité et conscience masculines de domination). Sa conclusion souligne que « le meurtre de masse est majoritairement perpétré au sein de la famille » et que les femmes « ont appris à puiser dans le répertoire de résistance provenant d’un héritage culturel marqué par le préjugé, la discrimination et l’exclusion du pouvoir social ».



Richard Poulin : « Payez pour ! ». La violence est à la fois une « mise en valeur de soi-même » et un rappel aux individu-e-s et aux groupes visés « une remise à leur place, pour leur montrer qui doit régner, qui doit se soumettre ». Les discours des médias transforment les coupables en victime (dans un autre registre souvenez vous de l’affaire DSK, voir le livre coordonné par Christine Delphy : Un troussage de domestique).

Trois citations pour terminer



« En réduisant la question de cette violence indicible, à une explication privée, individuelle, psychopathologique, on évite de remettre en question le système social et sa dynamique intrinsèque, au profit du renforcement des mécanismes répressifs de l’État ou de la violence privée. »



« Nommer cette violence et reconnaître ses victimes, briser le silence, font partie des conditions pour la combattre »



« Au delà de ces multiples lieux, force est de constater que les sociétés inégalitaires ne peuvent exister et se reproduire qu’au moyen de mécanismes de contrôle social, lesquels incluent la violence, qu’elle soit institutionnalisée ou non ».



Un court livre qui souligne, un fois de plus, la qualité du travail de nos ami-e-s du Québec qui intègrent « l’apport décisif de l’analyse féministe des violences sexistes ».
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La violence pornographique : L'industrie du..

Des explications sans chichi d'un monde dont on ne connait souvent que la surface commerciale.
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