Ces lieux étaient apaisants. Maryhead s’y sentait bien et le panorama était magnifique. En contrebas, on voyait Ribeauvillé s’étendre, étoilée des lumières de l’éclairage public et des maisons. Les passants ressemblaient à de minuscules fourmis qui s’affairaient. Elle s’assit sur un mur à moitié effondré et leva le visage pour humer l’air frais de la nuit. Elle resta ainsi un long moment.
Puis elle entendit un bruissement, un son quasiment inaudible de pas. Elle resta immobile et tendit l’oreille, retenant son souffle. Une vague d’effroi la submergea lorsqu’elle aperçut deux yeux brillants et dorés qui la fixaient en bas de l’escalier. Une sueur froide lui glaça le dos, elle ne quittait pas des yeux l’animal, paralysée par la surprise et la peur.
Après quelques secondes qui lui semblèrent interminables, elle détailla la silhouette qui restait figée et la regardait toujours. C’était vraisemblablement un loup noir, grand et maigre. Elle essaya de se relever sans faire de geste brusque mais la bête efflanquée s’avança lentement vers elle en grondant sourdement. Maryhead déglutit avec difficulté, le souffle court. Le loup arriva à son niveau et s’assit face à elle.
Les animaux ont cette capacité de tout donner sans rien attendre en retour.
Maryhead s’éveilla brusquement et se redressa, haletante. Elle avait été installée sur ce qui semblait être un matelas de paille couvert d’un drap épais grossièrement tissé. Une couverture de laine était repliée à ses pieds. La jeune femme s’assit prudemment et se massa le cou. Elle sentit également une douleur aiguë la lancer à la cheville. La corde lui avait entaillé la chair et du sang avait souillé sa chaussette. Elle entendit du bruit un peu plus loin. Elle se trouvait manifestement dans la grotte, qui avait été aménagée de façon fonctionnelle et confortable malgré le mobilier rustique et sommaire. Elle se releva mais sa douleur au pied lui arracha un cri. Elle se faufila tant bien que mal à travers l’espace sombre.
Je sais que je suis à l’origine de sa mort mais je ne culpabilise pas de mon acte. Je n’ai plus rien à perdre… Après tout, tuer est devenu ma seule distraction ici. On m’a volé ma liberté, je peux bien prendre quelques vies en compensation.
Mathilde avait probablement raison. Elle y pensait, cela la touchait, donc elle en rêvait. Sarah était totalement abattue et triste alors qu’elle aurait dû être heureuse en cette veille de vacances. Elle ne voulait pas se résoudre à croire que ses cauchemars avaient du sens ou une raison d’être. Les séries et les films qui passent à la télévision détaillaient tellement bien les scènes de meurtre qu’une situation dramatique devenait le déclencheur des pires scénarios. Sarah avait toujours eu beaucoup d’imagination et elle visualisait facilement les décors et les personnages lorsqu’elle lisait un roman.
Maryhead se dirigea lentement vers le meuble comme un automate, l’esprit vide. Elle ouvrit le tiroir. Le revolver était toujours là. Elle n’entendait même plus la Louve gronder sauvagement en elle. Elle caressa l’arme du bout des doigts puis la prit entre ses mains. Elle la regarda comme s’il s’était agi d’un simple objet de décoration. Il serait tellement facile de poser le canon de l’arme sous son menton et de presser la détente… Ensuite, tout serait fini. Il n’y aurait plus de douleur, plus de culpabilité, plus de choix impossibles à faire.
Maryhead se mit face au miroir. Elle passa ses mains le long du bustier puis les laissa glisser sur ses hanches. Elle pencha le visage sur le côté d’un air hésitant. Elle n’allait pas porter cela ce soir. Jamais elle ne s’était faite aussi belle pour Renan et pourtant, il lui donnait toutes les raisons de croire qu’elle était la plus sublime des femmes. Qu’importait sa tenue quand ils étaient ensemble, il la voyait au-delà de son apparence.
Alors que Sarah se posait toutes ces questions, elle compris que Madeline l’avait vue malgré l’obscurité qui régnait dans la maison. Les battements du cœur de la jeune femme s’accélérèrent. Elle se recula d’un pas et devina à travers le rideau la silhouette immobile qui regardait toujours vers elle avec insistance depuis le trottoir d’en face.
– Chut ! Il n’y a rien de dangereux ici. Je vais même te dire, on est plus tranquilles.
– Mais il fait noir ! Et puis j’ai froid et j’ai peur.
– Je sais, mais tu dois arrêter de pleurnicher, sinon ça va l’énerver encore plus. Tiens ! Mets mon pull, tu auras moins froid.
– Mais… Et toi ?
– Ça va aller.
Sarah eut du mal à contenir la colère qui l’assaillait. Elle eut soudain la vision de ses mains qui se plaçaient autour du cou d’un enfant et qui serraient, serraient… La jeune femme devint toute pâle. Elle sentit ses jambes trembler et s’appuya contre le mur du couloir.