AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Robert Amutio (15)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
La littérature nazie en Amérique

« Ses sujet abondent en héros prédestinés, en scientifiques fous, en clans ou tribus cachés qui à un moment donné doivent apparaître au grand jour et combattre d’autres tribus cachées, en sociétés secrètes d’hommes vêtus de noir qui se réunissent dans des ranchs perdus dans la plaine, en détectives privés qui doivent rechercher des personnes perdues sur d’autres planètes, en enfants volés et élevés par des races inférieures pour, parvenus à l’âge adulte, prendre le contrôle de la tribu et la mener au sacrifice, en bêtes cachés et à l’appétit insatiable, en plantes mutantes, en planètes invisibles qui tout à coup deviennent visibles, en adolescentes offertes en sacrifices humains, en villes de glace habitées par une seule personne, en cow-boys qui reçoivent la visite des anges, en énormes mouvements migratoires qui détruisent tout sur leur passage, en labyrinthes souterrains où pullulent des moines guerriers, en complots pour tuer le président des Etat-Unis, en vaisseaux spatiaux qui abandonnent la Terre en flammes et colonisent Jupiter, en sociétés d’assassins télépathes, en enfants qui grandissent seuls dans des cours obscures et froides. »



Cette (longue) phrase est extraite de la notice biographique et bibliographique d’un certain J.M.S. Hill, né à Topeka en 1905 et mort à New-York en 1936, une parmi celles d’une trentaine de ces écrivains américains (du nord mais aussi, pour la plupart du sud) imaginées par Roberto Bolaño dans ce roman à dispositif.

J.M.S. Hill est censé avoir écrit, en seulement douze ans, plus de trente romans et cinquante nouvelles. En apparence les notices se succèdent, regroupées parfois par origine géographique des auteurs, parfois par similarités de genre ou de style. Il y a des poètes, des romanciers, des essayistes et des journalistes. Mais tous et toutes ont en commun des convictions fascistes qui débordent largement dans leurs vies erratiques.



Cette accumulation, jouissive, de notices telles qu’on peut en lire dans les journaux à la mort d’un écrivain, devient totalement un roman à sa toute fin. Pour aborder le cas de l’infâme Carlos Ramirez Hoffman, de rédacteur jusque-là invisible, Roberto Bolaño se fait narrateur à part entière. Mais n’oublie pas les annexes qui donnent au roman un air universitaire (index des auteurs et des œuvres).



Evidemment toutes ces trouvailles ont que quoi donner le tournis ! Mais comment rester insensible à l’incroyable intelligence et au style flamboyant de Roberto Bolaño ? Je poursuis donc mon projet de lire petit à petit tout ce qu’il a écrit, tant son univers baroque est pour moi, et pour bien d’autres, une expérience de lecture à nulle autre pareille.

Commenter  J’apprécie          291
La littérature nazie en Amérique

«Ils sont privés de ce gigantesque égalisateur de différences qui est l'apanage des citoyens d'une communauté publique et cependant, puisqu'il leur est désormais interdit de prendre part à l'invention humaine, ils se mettent à appartenir à la race humaine de la même manière que les animaux appartiennent à une espèce animale spécifique» (Hannah Arendt)



Catalogue fictif d'écrivains et d'artistes américains (latino et nord-américains) qui, dans leurs oeuvres respectives, se seraient inspirés directement ou, à différents degrés, indirectement, des thèses centrales de l'idéologie du IIIème Reich, LA LITTERATURE NAZIE EN AMERIQUE aurait pu être envisagé comme un ouvrage relevant volontiers du genre parodique, si son humour apparent et pince-sans-rire n'incluait la possibilité d'un grincement de dents imminent chez le lecteur, face à la monstruosité qui sous-tend ses notices biographiques imaginaires (complétées d'un glossaire proposé par l'auteur recensant personnages notoires, lieux, maisons d'édition, livres, et portant le très suggestif titre d'«Épilogue pour monstres»).



Écrivains et artistes américains dont l'existence fictive sera évoquée en toute neutralité, en l'absence de tout jugement de valeur pour ce qui est de leurs parcours ou de leurs motivations personnelles. («La condition humaine» -en dehors bien évidemment des actes commis par les individus et passibles d'être jugés et sanctionnés par la loi-, ne serait-elle après tout «innocente»..?).

Hommes et femmes ayant acquis la conviction intime d'avoir une mission ou un message à transmettre au nom de la sauvegarde, de la vérité et du progrès humains ; pour certains, ce serait, toutefois, avant tout leur origine sociale ou les marques laissées par leur histoire personnelle qui les auraient d'abord conduits à envisager la vie comme un combat permanent, où il n'y a de véritable place que pour les plus forts.

Artistes et écrivains, enfin, qui, à l'image du chilien Carlos Ramirez Hoffman pilotant un hélicoptère chargé de fumée afin de laisser «dans les cieux vides de la patrie», «jusqu'à ce que le vent les défasse», des messages haineux en lettres énormes de fumée, nous confrontent à «[leurs] cauchemars qui [sont] aussi nos cauchemars»…



Cauchemars qui à bien de titres, et à bientôt un siècle de la chute d'un régime concentrationnaire emblématique de toute l'Horreur que la civilisation moderne a été en mesure d'engendrer, continuent de nos jours, malheureusement, à hanter notre imaginaire collectif.

Incarnés dans l'actualité sous de formes, plus ou moins directes ou indirectes elles-aussi, allant d'un culte à l'idéologie, à la symbolique ou à une certaine esthétique nazies (révisionnisme historique, culte de l'image de Hitler, croix gammées..) ou d'actes concrètement perpétrés en son nom (profanation de cimetières, crimes raciaux), jusqu'à des systèmes de pensée plus ou moins organisés et théorisés, totalisants et clivants, qui parfois, tout en niant farouchement toute approximation avec l'idéologie nazie, s'inspireraient cependant de modalités relevant d'un même socle commun (groupuscules divers de la fachosphère, partis politiques extrémistes, mouvances religieuses intégristes), et générant entre autres la production actuelle d'une «littérature» dont par ailleurs se repaissent goulument nos nouveaux dispositifs de communication écrite, virtuelle et directe – à diffusion massive, à distance et en même temps sans aucune distance…

Antisémitisme insidieux («le monde empoisonné par les messages sionistes»), suprémacisme, théories du complot, radicalisation religieuse, fascination exercée par des discours «antisystème», désaveu des institutions publiques traditionnelles («la maladie mortelle rongeait une bonne part du corps de la République »), apologie de la violence, haine de la différence, biais cognitifs et pensée unique…voilà quelques-unes des nouvelles Muses ayant inspiré ce genre littéraire inouï que Bolaño qualifiera génériquement de «littérature nazie», exactement au même titre qu'on pourrait parler d'une « littérature engagée » ou d'une « littérature blanche » ou «noire», etc.. c'est-à-dire, entraînant des codes littéraires précis auxquels les auteurs s'en tiennent dans la construction du récit.



Dans LA LITTERATURE NAZIE EN AMERIQUE, faisant preuve encore une fois d'une imagination torrentielle et extravagante, ainsi que d'une vaste culture littéraire et intertextuelle, Roberto Bolaño échafaude une trentaine d'univers littéraires différents, recense une quantité incroyable d'ouvrages fictifs qui en auraient découlé, et d'autre part, dans une démarche ouvertement borgésienne, s'applique à projeter son lecteur dans un entrelacs souvent inextricable et très surprenant (aussi à d'autres moments, insoupçonné..) entre réalité historique et fiction, entre un nombre colossal d'auteurs imaginaires et d'autres ayant (ou ayant eu) une existence réelle, argentins, uruguayens, brésiliens, colombiens, vénézuéliens, cubains, haïtiens, nord-américains ,et j'en passe !, parmi lesquels figureront notamment l'auteur (Bolaño lui-même étant l'un des personnages de la biographie du chilien «Carlos Ramirez Hoffmann»), ou encore ce sempiternel Jorge Luís Borges, accusé par l'argentin «Juan Mendiluce Thompson» dans la notice consacrée à ce dernier, d'écrire des histoires qui «sont des caricatures de caricatures» et de créer «des personnages stériles d'une littérature dépassée»!!



Roberto Bolaño n'aura jamais cessé d'évoquer dans ses livres la fascination que le Mal continuera toujours, invariablement, à exercer sur la psyché et l'âme humaine, d'en décliner, à travers un style unique, redoutablement sombre et généreusement humain, à la fois cru et lyrique, ses différentes manifestations, imaginaires ou réelles, de dénicher méthodiquement sa présence subreptice et déguisée, de dévoiler ses artifices et les pièges qu'il ne cesse de tendre à la «nudité abstraite» de l'homme face à son destin éphémère et au grand mystère qui l'enveloppe.



C'est à la terrifiante proximité de cette menace qui rode toujours autour, et à l'intérieur de nous-même, que l'immense génie de Roberto Bolaño nous renvoie encore une fois, avec beaucoup d'intelligence et de pertinence, se traduisant ici dans un récit caustique, dépourvu néanmoins de toute dimension manichéenne réductrice, de tout relent nihiliste, fruit d'un talent de conteur et d'un style narratif hors-pairs, où la dérision de l'anecdotique et du particulier le disputent à la noirceur du mirage archétypique partagé par la communauté des hommes.



Dans son best-seller « Sapiens », l'auteur israélien Yuval Noah Harari cite le passage suivant, extrait d'un manuel scolaire de biologie paru en Allemagne, en 1942 : «La bataille pour l'existence est rude et sans merci, mais elle est la seule façon de perpétuer la vie. Ce combat élimine tout ce qui est inapte à la vie, et sélectionne tout ce qui est apte à survivre (…) La biologie ne nous parle pas seulement des animaux et des plantes, elle nous montre aussi les lois que nous devons suivre dans nos vies, et trempe notre volonté de vivre et de combattre selon ses lois. Le sens de la vie est le combat. Malheur à qui pêche contre ces lois».

Du point de vue des partisans des théories nazies, les politiques raciales mises en place par le IIIème Reich étaient bien évidemment fondées sur la science, s'inspirant, entre autres, des thèses évolutionnistes prônées par Darwin : loin d'incarner une quelconque expression du Mal, leur application était à leurs yeux censée préserver l'humanité de toute forme de dégénérescence et éviter, à terme, son extinction ! Mais comment expliquer que les principes généraux d'un tel système de pensée eugéniste aient pu s'infiltrer progressivement dans l'esprit de millions d'êtres humains, et plus particulièrement de tout un peuple, aboutissant à la mise en place d'une entreprise d'extermination systématique, massive, d'autres millions de leurs semblables? Par quel phénomène insidieux de capillarité, en finira-t-on par devoir comptabiliser près de 6 millions de juifs assassinés, auxquels se rajoutent des centaines de milliers d'autres "dégénérés": tziganes (plus de 200.000), enfants et adultes handicapés (estimés à 180.000), communistes, témoins de Jéhovah, homosexuels…



LA LITTERATURE NAZIE EN AMERIQUE pourrait à mon sens illustrer parfaitement cette idée développée par certains penseurs, telle Hannah Arendt (dans le chapitre « La pensée raciale avant le racisme » de son brillant essai intitulé «L'Impérialisme»), suivant laquelle certains des principes constitutifs des thèses nationalistes et raciales nazies trouveraient leur filiation première dans un courant de pensée issu du...romantisme allemand ! - mis au service d'une mouvement politique alors en cours pour l'unité nationale allemande. C'est ainsi qu'une certaine «littérature politique romantique » contribuera, selon la formule de Hannah Arendt -encore plus percutante à l'heure actuelle-, à l'émergence «de cet engouement général de la pensée moderne qui permet à pratiquement n'importe quelle opinion de gagner du terrain momentanément».



De filiation en filiation, il ne nous resterait plus qu'à «chercher l'erreur» dans notre contexte présent…Pas besoin de vous faire un dessin, n'est-ce pas?

Commenter  J’apprécie          287
La littérature nazie en Amérique

Après "2666", et " les détectives sauvages, étoile distante et nocturne du chili" j ai lu ce texte, ou plutôt la trentaine de biographies totalement inventées par Bolano. Certaines sont très courtes, d autres plus développées.

Bio d écrivains, de poètes qui, dans leur vie, leur écrit, ont été d une manière ou d une autre, influencés par les idées nazis. Tout est une fois encore suggéré. Bolano instaure un climat particulier, malsain, que l on ressent parfaitement jusqu au terme du livre.

Il faut un talent incontestable à mon avis pour parvenir à un tel résultat.

On est juste " emporté" par sa prose hallucinatoire et les différentes histoires racontées.

J ai une préférence pour ses romans, mais rencontrer Bolano dans une vie de lecteur c est une chance, un réel plaisir. Bolano, je le pense sincèrement, était un écrivain hors normes. Exceptionnel.
Commenter  J’apprécie          250
La littérature nazie en Amérique

Premier grand roman de Roberto Bolaño, ce livre assez inclassable adopte la forme d'un récit fragmenté, composé de brèves histoires ou micro-récits autonomes mais enchaînés, dont les personnages fictifs (des auteurs d'inspiration nazie) sont traités biographiquement comme réels avec un ton très objectif.

Par sa composition et son écriture, ce roman met en valeur un discours narratif, où l'ironie, la cruauté et l'effet parodique se conjuguent avec une lucidité remarquable et une dimension éthique et esthétique fondamentale. Le tout est jubilatoire.
Lien : https://tandisquemoiquatrenu..
Commenter  J’apprécie          200
La littérature nazie en Amérique

J'ai mis un certain temps à comprendre où voulait en venir Roberto Bolaño...

"La littérature nazie en Amérique" se présente comme une anthologie d'auteurs nés entre la fin du XIX e siècle et les années 50/60, hommes et femmes issus de milieux sociaux divers, que l'écrivain a regroupé en catégories aux titres parfois poétiques ("Les héros mobiles ou la fragilité des miroirs", "Mages, mercenaires, misérables"...).

En lisant les premières biographies, plus ou moins brèves, l'une occultant la précédente et la reléguant dans un oubli quasi instantané, je me suis dit que je me trouvais là face à un exercice de style qui allait vite devenir barbant. Enfin, je ne me le suis pas dit trop fort tout de même, parce que... Bolaño, quoi ! Il y avait forcément quelque chose à comprendre derrière cette suite de portraits, d'autant plus que le deuxième sentiment que leur découverte a assez rapidement suscité, est celui d'un malaise sourd mais néanmoins bien présent, qui m'a fourni l'une des clés permettant de comprendre -du moins je crois- le but de l'auteur.



Dire que l'anthologie imaginaire de Roberto Bolaño traite de la "littérature nazie" pourrait paraître erroné, dans la mesure où les œuvres de certains des auteurs qui y sont présentés, d'après les informations qui nous communiquées, abordent des thèmes sans relation aucune avec leurs tendances politiques. Par ailleurs, les idéaux fascistes, la sympathie éprouvée par d'autres pour un Hitler ou un Mussolini, ne sont souvent évoqués que de manière anecdotique, comme des caractéristiques pittoresques et un peu ridicules de la personnalité des auteurs.



Les biographies de "La littérature nazie en Amérique" se présentent comme de froids recensements composés d'éléments factuels sur la vie et l'oeuvre des auteurs, ne comportent ni jugement ni condamnation sur leurs accointances politiques. Et même quand certains d'entre eux sont passés des idéaux aux actes, en participant par exemple aux escadrons de la mort argentins ou en s’engageant dans l'armée franquiste, c'est présenté, à l'instar de ensemble, de manière neutre.



Le lecteur pourrait s'y laisser prendre : voilà donc ces fameux auteurs nazis ? Exception faite de ceux qui, comme évoqué précédemment, ont "fait" le mal, et ne sont pas contenté de le penser ou de l'écrire, ils ne semblent ni dangereux ni vraiment mauvais. Des individus comme les autres et a fortiori comme nous, auxquels nous pourrions éventuellement reprocher nos divergences d'opinions... D'ailleurs, certains d'entre eux ont été très proches de personnalités d'extrême gauche... et voyez cet écrivain qui fit partie du Ku Klux Klan, il avait aussi des amis noirs...



Et c'est bien là le génie de la démonstration de Roberto Bolaño, qui, mine de rien, fait ainsi passer son message : en faisant de presque tous ces auteurs des individus ordinaires, il signifie que la barbarie est une possibilité enfouie en chaque homme (ou femme), et rappelle surtout qu'on ne doit transiger avec aucune forme de nazisme, de fascisme, quelles qu'en soient les manifestations, évidentes ou allusives, actes ou pensées. Démonstration, mais aussi critique féroce d'une société incapable de s'émouvoir, de se révolter face aux dites manifestations. Ce qui nous amène à une autre problématique, également soulevée ici : faut-il dissocier l'écrivain de son oeuvre, ou bien doit-on, au nom des idéaux qu'il défend, le condamner à la censure, ou tout au moins à l'opprobre ?



Le choix de Bolaño semble se porter sur la deuxième proposition. Existe-t-il une juste réponse à cette question ? "La littérature nazie en Amérique" a en tous cas le mérite de nous engager dans une réflexion non seulement sur ce point, mais aussi sur la vigilance qui est de la responsabilité de chacun d'entre nous, quant à la propagation des idéologies fascisantes.
Lien : http://bookin-inganmic.blogs..
Commenter  J’apprécie          170
La littérature nazie en Amérique

Extrait :



Roberto Bolaño est un écrivain chilien décédé à l'âge de 50 ans en 2003. En France, son oeuvre est éditée chez Christian Bourgois. Trois de ses livres viennent de paraître dans la collection de poche "Titres" : La littérature nazie en Amérique, Etoile distante et Nocturne du Chili. Bolaño est fasciné par les manifestations du mal et plus particulièrement par les liens qu'entretiennent étrangement l'art et le mal. Chacun de ces trois petits livres explore les différentes manières dont le mal et l'art s'accouplent pour donner naissance à ces artistes monstrueux qui nous apprennent tellement sur l'humain.





I. La littérature nazie en Amérique : la banalité du mal.



La banalité du mal est un concept développé par Hannah Arendt à l'occasion du procès d'Eichmann qu'elle couvrit d'avril 1961 à mai 1962 pour le New Yorker. de cette expérience, elle tirera un livre intitulé Eichmann à Jérusalem et dont le sous-titre est : "Rapport sur la banalité du mal". La thèse qu'elle défendit fit scandale et suscite toujours de vives polémiques, comme en témoignent les réactions au film d'Olivier Hirschbiegel, La Chute ou au livre de Littell, Les Bienveillantes.
Lien : http://bartlebylesyeuxouvert..
Commenter  J’apprécie          70
La littérature nazie en Amérique

Comment se pose la question du mal ? En retraçant la vie et les œuvres d'une trentaine d'auteurs fictifs du XXème siècle fascinés par le fascisme ou le nazisme, cette anthologie de l'infâme, mais délectable par sa forme, trouve une voie unique pour poser cette question.



« La littérature nazie en Amérique » est un livre fascinant et vertigineux, par la profusion de détails dans l'invention, dans la biographie des auteurs et leur classement par catégories, par les précisions apportées sur la correspondance, les notes, les dédicaces, les soutiens, les listes de critiques et insultes dont sont abreuvés les auteurs, les détails sur la structure des poèmes, les supputations sur les intentions des auteurs, les liens entre les auteurs fictifs, etc.



«Parmi les qualificatifs employés par ses critiques relevons les suivants : paléonazi, taré, porte-drapeau de la bourgeoisie, marionnette du capitalisme, agent de la CIA, rimailleur aux intentions crétinisantes, plagiaire d'Euguren, plagiaire de Salazar Bondy, plagiaire de St-John Perse [...], sbire des cloaques, prophète de pacotille, violeur de la langue espagnole, versificateur aux intentions sataniques, produit de l'éducation provinciale, rastaquouère, métis halluciné, etc.»



Un livre vertigineux aussi par ses double-fonds, quand il raconte des anecdotes elle-même inventées dans des vies qui le sont tout autant, ou encore quand Bolaño évoque des manuscrits qui n'ont jamais existé, brûlés par leur auteur faute d'éditeur.



«Sur sa vie à la Havane après sa sortie de prison, on raconte une infinité d'anecdotes, pour la plus grande part inventées. On dit qu'il fut un indicateur de police, qu'il écrivit des discours et des harangues pour un célèbre homme politique du régime, qu'il fonda une secte secrète de poètes et assassins fascistes, qu'il se rendit chez tous les écrivains, peintres, musiciens en leur demandant d'intercéder pour lui auprès les autorités.»



Un livre fascinant enfin par l'ironie et la mansuétude avec laquelle sont ici traités les auteurs (« son manque de rigueur verbal accidentel est compensé par son enthousiasme infini »), pour ne jamais perdre de vue que la "véritable" littérature est elle aussi le véhicule de la barbarie.

Commenter  J’apprécie          50
La littérature nazie en Amérique

Imaginer 30 écrivains représentant la littérature nazie sud-américaine...



Ce gros recueil de nouvelles de Roberto Bolaño, publié en 1996, typique du versant borgésien et du caractère violemment politique de son œuvre, tel qu'ils s'exprimeront surtout in fine dans le formidable "2666", fonctionne en réalité comme un véritable roman.



Ayant inventé de toutes pièces plusieurs dizaines d'auteurs représentatifs de la "littérature nazie sud-américaine", dans leurs moindres détails biographiques et bibliographiques, Bolaño les assemble et les thématise en treize grands chapitres, parcourant ainsi familles littéraires ou individus atypiques, usant de registres de langage variés allant de la "pure" biographe à la critique littéraire journalistique, en passant par l'anecdote amicale, la charge fondée sur des rumeurs, ou encore la notice nécrologique, tissant des liens entre ses personnages, leurs laudateurs, leurs détracteurs et lui-même, avant de conclure par un hilarant (et très pince-sans-rire) récapitulatif bio-bibliographique d'ensemble...



Un incroyable tour de force qui constitue sans doute la meilleure introduction à l'œuvre du poète romancier chilien, éternel exilé au Mexique puis en Espagne.

Commenter  J’apprécie          52
La littérature nazie en Amérique

A travers d’une trentaine de « biographies », l’auteur traite de la fascination pour le fascisme ou le nazisme. Ces parodies, inscrites dans les réalités sud américaines des années 80, ne sont pas que des exercices de styles.



Elles parcourent ou utilisent une bonne partie des possibilités de la littérature. Je ne cite que quelques regroupements évocateurs : « Héros mobiles ou la fragilité des miroirs », « Précurseurs et adversaires des Lumières », « Poètes maudits », « Vision, science fiction », « Mages, mercenaires, misérables », « La fraternité aryenne » ou « Épilogue pour des monstres ».



Au lecteur, à la lectrice, de passer de la reconstruction de passés plus ou moins imaginaires, aux présents plus ou moins réels, de suivre les inventions sérieuses, comiques ou grinçantes de Roberto Bolano.
Commenter  J’apprécie          50
La littérature nazie en Amérique

Livre génial, improbable, hautement subversif que cette collection de notices d'auteurs nazis et fictifs des trois Amériques. Il faut un peu de temps pour s'y lancer, on se dit qu'on va s'ennuyer, mais une fois les vingt premières pages passées, on ne lâche plus le livre, fasciné par l'histoire littéraire parallèle mise en place par Roberto Bolaño. On ne peut cependant réfréner une certaine gêne : ces auteurs fascistes sont les jumeaux maléfiques, aussi talentueux et picaresques, que les poètes infra-réalistes que Roberto Bolaño mettra plus tard en scène dans les Détectives Sauvages. Que nous dit donc l'auteur ? Que chez un écrivain, seule importe la capacité de produire, indépendamment des idées ? Ou plus probablement, que tous les démons nous guettent tous et toujours ? Un chef-d'oeuvre, encore, dont on pourra seulement regretter qu'il manque d'une introduction et d'une conclusion dignes de ce nom.
Commenter  J’apprécie          30
La littérature nazie en Amérique

La littérature nazie en Amérique de l’argentin Roberto Bolaño (Christian Bourgois, 2003) fait partie des ouvrages jubilatoires, issus de la plume des fous littéraires que l’on aime. Qu’on en juge : le livre nous propose une trentaine de notes biographiques d’auteurs sud-américains de la seconde moitié du XXème siècle ayant tous une fascination – explicite ou larvée – pour le nazisme… Certes, me direz-vous ! Oui, mais quand on sait que tous ces auteurs sont imaginaires, la lecture prend une saveur toute particulière. On y rencontre un poète fou, qui écrit ses vers en suivant le plan des camps de concentration, un fondu de SF qui noircit des milliers de pages nous racontant l’histoire d’un IV ème Reich uchronique ; on y lit la biographie d’une famille d’argentins admirateurs de Hitler ; mais surtout on se promène dans une belle galerie de pseudo-artistes déjantés flirtant entre la littérature et une forme lancinante du mal.

Car c’est finalement une critique sociale très acerbe de la bourgeoisie sud-américaine qui nous est présentée, celle d’une population relativement aisée qui a été séduite un instant par la peste brune, et qui en a transmis les gènes à sa descendance. C’est aussi une belle performance en matière de « livres imaginaires », qui n’est pas sans nous renvoyer à un autre argentin célèbre, J.L. Borgès.
Commenter  J’apprécie          30
La littérature nazie en Amérique

Comme son nom l'indique, c'est une anthologie de la littérature écrite sur le continent américain et apparentée au nazisme. C'est un livre sur les écrivains et les poètes. Comme souvent avec cet auteur, on est perdu dans sa virtuosité à ne pas savoir ce qui est vrai et ce qui ne l'est pas. Et évidemment c'est très drôle.
Commenter  J’apprécie          20
La littérature nazie en Amérique

C’est une uchronie originale, avec un excellent effet de style.



Le titre du livre — évocateur, et provocateur — est au service du propos ; il complète la perception induite du lecteur, avant même qu’il ai ouvert une seule page.



En revanche, le texte est une grande surprise ; on ne s’aperçoit pas tout de suite qu’il s’agit, au fait, de biographies totalement fictives ; car, en vérité, il s’agit d’un double-fond.

L’idée de Bolano ici, est de faire passer le message que le nazisme fut une idée populaire, répandue et partagée par des gens normaux. Pour cela, il raconte ce qu’auraient pu être les histoires individuelles — dans un autre monde — d’une intelligentsia sud-américaine nazie.

Les personnages ont des relations banales avec Hitler ; leurs rencontres avec le Fürher sont évoquées de façons anodines, comme une sorte de caméo dans leurs vies ; par cela, l’idée qui est sous-entendue, c’est qu’ils n’avaient eux-mêmes pas conscience de l’emprise intellectuelle qu’Hitler avait sur eux.



La finalité de ce livre est de nous faire prendre conscience que n’importe quel destin individuel est capable de tomber sous la coupe des pires abominations.

Commenter  J’apprécie          20
La littérature nazie en Amérique

Pour rendre compte de l'aliénation des "auteurs nazis " existants, Bolano prend comme pari de faire une suite de bibliographies - biographies d'auteurs fictifs ... Procédé risqué mais o combien intelligent puisqu'en découvrant ce texte on prend conscience de maniére concréte de ce qui à pu entrainer des écrivains à basculer dans l'abomination.

Certes avant d'attaquer ce texte il faut avoir un esprit critique aiguisé, apte à relativiser et à comprendre la finalité du message de Bolano. Sa maniére de mettre l'esprit en éveil sur les risques de contamination des esprits de masse par les "théories" populistes et nationalistes, reléve du génie. Il faut en étre un pour parvenir à délivrer un texte aussi puissant sur le fil du rasoir.

Bolano manque énormément aujourd'hui, son esprit si affuté et son courage, son intégrité et son désir de faire évoluer les masses sont si importants à l'époque de tf1 ...

Une oeuvre incontournable tout simplement.
Commenter  J’apprécie          20
La littérature nazie en Amérique

Pour moi, le meilleur bouquin de Bolano. Des nouvelles courtes, cinglantes comme des explosions florales et qui forment un tout cohérent et magnifique. Un très beau livre.
Commenter  J’apprécie          20


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Robert Amutio (135)Voir plus

Quiz Voir plus

Le mystère de la chambre jaune

Qui raconte l'histoire?

Monsieur Sainclair
Joseph Rouletabille
Frederic Larsan
Robert Darzac

6 questions
195 lecteurs ont répondu
Thème : Le mystère de la chambre jaune de Gaston LerouxCréer un quiz sur cet auteur

{* *}