Dans l'ascenseur qui le ramenait au rez-de-chaussée, Dan était à peu près aussi avancé que l'homme qui vient enfin de trouver la bonne adresse, mais s'embrouille dans la porte-tambour et se retrouve sur le trottoir.
- Je pourrais vous dire deux mots ? Demanda Dan.
- Flic ou pisse-copie ? Fit l'autre, toujours impassible.
- Pisse- copie !
- Entrez-donc.
- C'est une belle fille, remarqua Larry.
- C'est un beau morceau, d'accord, convint Chuck. Mais c'est un vrai poison pour Kent. Elle a le feu au cul. Toutes les poules avec des grands yeux de vache, elles ont le feu quelque part.
- Elle n'a pas des yeux de vache, dit Larry. Elle a des yeux magnifiques.
- Et ceux des vaches, ils ne sont pas magnifiques ? s'indigna Chuck.
- Bien sûr que non.
- T'es malade ! T'as déjà regardé une vache dans les yeux ?
- Et pourquoi j'irai regarder une vache dans les yeux ?
- Voilà ! C'est bien ce que je pensais. Tu ne sais même pas de quoi tu parles.
- Qu'est-ce qu'il y a dedans ? demanda le flic.
- Des spaghettis, répondit Hannegan.
- Des spaghettis ?
- Ouais. A moins que ça soit des macaronis.
- Dans ces vieilles caisses toutes sales ?
Hannegan ne parut pas avoir entendu. Il était accroupi près de la caisse brisée, silencieux et immobile.
Le flic répéta :
- Des spaghettis dans ces vieilles caisses toutes sales ?
Hannegan ne paraissait toujours pas entendre. Il avait soulevé les lattes d'un côté et fixait l'intérieur avec des yeux horrifiés. Ce qu'il regardait, c'était un pied humain nu, qui dépassait de la caisse.
Le salon comportait un tapis rose, une cheminée de marbre et des meubles dorés à pieds recourbés. Dans un grand fauteuil était assise une énorme femme à cheveux gris, avec des chevilles comme des tuyaux de poêle. Sa robe était plutôt un sac, destiné à contenir sa chair flasque, qu'un vêtement. Elle avait le visage bouffi, trop poudré et trop peint. Ses yeux étaient aussi indifférents que ceux d'un chat. Elle tricotait.
Le "Bali Bar", dans Montgomery Street, était censé représenter une hutte tropicale ouverte à tous les vents. Ses brillantes portes rouges étaient garnies de bambous. A l'intérieur, une douce lumière orange éclairait des palmiers en pots et de grandes fresques où s'ébattaient des femmes à la peau brune dont les seins alertes pointaient de façon menaçante vers le client, où qu'il portât son regard. Plusieurs couples de buveurs bavardaient tranquillement ou se délassaient en silence dans des fauteuils rembourrés rangés autour de petites tables qui voulaient ressembler à des tonneaux sciés en deux. Le pick-up automatique jouait : Kiss me once and kiss me twice, kiss me once again. It's been a long-long-time.
Dan retourna l'addition que le garçon avait déposée à l'envers près de son coude. Il resta bouche bée en voyant le total. Quand il eut payé, son portefeuille était aussi plat qu'une peau de saucisson.
- Voyons un peu, maintenant. Et là-bas, à l'incinérateur ? C'est vous qui déchargez le camion ?
- Il y a un autre type là-bas pour m'aider.
- Et vous l'aidez à jeter le tout au feu ?
- Et après ?
Gallagher prit un ton grave :
- Comprenez-moi bien, Hannegan. Celui qui a mis ce macchab dans la caisse savait exactement où ces caisses devaient aller ; il savait ce qu'ont allait en faire et il savait comment l'incinérateur fonctionne. Il savait exactement dans quelles circonstances on les ferait disparaître.