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4.35/5 (sur 23 notes)

Nationalité : France
Né(e) à : Paris , le 07.10.1971
Biographie :

Sandra Mathieu est née à Paris en 1971 et grandit à Boulogne-Billancourt, non loin de la Seine, du parc de Saint-Cloud et du jardin Albert-Kahn.

Après le baccalauréat, Sandra Mathieu s’inscrit en hypokhâgne puis en khâgne. Une fois son DEA de philosophie politique obtenu à Strasbourg, elle accepte différents petits boulots et travaille brièvement en entreprise. Elle décide finalement de devenir enseignante et s’oriente vers l’aide d’enfants en difficulté. En déménageant en lisière des Vosges, elle se rapproche de la pratique des activités sportives liées à la montagne. Elle part pour des voyages plus lointains mais préfère explorer une zone limitée, Buenos Aires en Argentine, le Sertão au Brésil, en renonçant à l’illusion de « faire » un pays. Elle se débarrasse aussi des guides pour se fier à son intuition et se laisser plutôt guider par le hasard et les rencontres.

En 2005, au cours d’un séjour dans les Alpes-Maritimes, Sandra Mathieu décide de s’y installer. C’est à Grasse, ville où le relief est présent une fois de plus, qu’elle a choisi de vivre. La « capitale internationale du parfum » possède bien d’autres attraits comme la beauté de ses panoramas et la proximité directe des Préalpes, joliment dites d’Azur.

Bien qu’elle soit récemment devenue animatrice de randonnée, elle préfère encore s’offrir le luxe de marcher seule.

En 2012 paraît l’album jeunesse Otton emporte le vent, en collaboration avec l’artiste Annick Samaurow.


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Source : Transboréal
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Citations et extraits (18) Voir plus Ajouter une citation
— Julie, personne ne vous attend ce soir ?
— Non, pas à ma connaissance. Pas à Nice.
— Et ailleurs, si ?
— C’est possible. On a dit qu’on garderait
quelques secrets.
— Bon. Je retiens que personne ne vous attend
ce soir à Nice. Tant mieux. Je veux vous garder un
petit moment avec moi. Vous n’aviez pas des
questions à me poser sur un de mes livres ?
— C’était un prétexte. Vos livres, je les ai lus.
Je ne vois pas ce que je pourrais encore apprendre
sur vous.
— Vous pensez que les livres révèlent leur auteur ?
— Ce n’est pas le cas ?
— Alors si j’écris sur vous, j’écris sur moi ?
— C’est un piège ?
— Pas vraiment.
— Vous me faites rire. Je ne sais pas si vous le
faites exprès, mais quand vous posez certaines
questions, votre voix est plus aiguë, comme si c’était un
enfant qui parlait à travers vous. Ça vous donne un
air drôle.
— On ne me l’a jamais dit avant. Je vais faire
attention.
— Justement, ne faites pas ça, ça vous va bien !
— Ah, ça y est, on voit les bateaux. Vous avez
raison, ça me donne envie de partir.
— Partez ! Prenez une cabine ! Venez, on va voir
s’il reste des places.
— Je ne sais pas. Je me sens un peu perdu ce
soir. On va boire un verre pour fêter la fin de notre
travail si vous voulez ?
— Ce n’était qu’un travail pour vous ?
(Dernier enregistrement, Marc Desbordes/ Julie Roussiol)
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En allant marcher au hasard dans des endroits naturels et préservés, nous offrons une résistance active et pacifique au monde environnant. En refusant d’aller vers le sud, vers la côte, nous quittons un univers superflu et oppressant. En évitant les villes, autant qu’il était possible de le faire, nous évitons l’anxiété et l’agressivité causés par la densité de la population, par la circulation des êtres et des informations, par la masse des relations humaines, l’accommodation aux désirs qui ne sont pas les nôtres. Il est plus difficile d’écouter que de parler mais l’immersion dans la nature nous met à l’affût des bruits, des rumeurs, et du moindre souffle. Comment se priver de ce remède souverain ?
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— La sœur de Julie, comment dire… elle est
homosexuelle, elle aussi ?
— Ça va pas, non ! Une dans la famille, ça fait
déjà assez, vous croyez pas ?
— Je ne sais pas. Votre ex-femme a mal élevé ses
trois enfants ?
— C’est possible. Ça dépend des points de vue.
En tout cas, pour Julie, ça a été la merde.
— Pourquoi ?
— Déjà à l’adolescence, c’était clair qu’elle avait
des tendances. Une fois au collège, ils ont convoqué
sa mère parce qu’elle avait dit à sa prof de français
qu’elle l’aimait. Moi, j’y suis pas allé, j’avais pas
envie de me faire mettre la honte par ses profs.
— Vous pensez que sa mère est la cause de son
homosexualité ?
— Ça m’étonnerait pas. Elle est capable de tout,
celle-là, c’est une sorcière.
— Vous avez une idée de la manière dont elle
aurait pu s’y prendre, et pourquoi elle l’aurait fait ?
— Vous pouvez toujours lui poser la question.
Je crois que c’est quand même elle la mieux placée
pour vous répondre.
— Vous vous êtes senti plus proche de votre
fils… Dylan, c’est ça ?
— Oui, c’est Dylan, en souvenir d’un ami de
mon père qui était souvent à la maison. Il était
d’origine irlandaise. Je m’entendais bien avec lui. Plus
qu’avec mon propre père. Mon père avait la main
lourde et le coude léger, si vous voyez ce que je veux
dire, toujours un verre à la main. Il était brutal,
personne n’était pressé qu’il rentre à la maison. Quand
il était là, tout le monde se barrait. Il cherchait des
noises tout le temps. Il faisait des histoires pour un
oui ou pour un non, comme s’il voulait se passer
les nerfs sur nous. On devait se tenir à carreau,
pas moyen de faire des conneries de gamin.
Et il fallait pas lui raconter des salades à celui-là,
sinon tu pouvais plus t’asseoir pendant un bon
moment. Il avait une Motobécane qui pétaradait.
Quand on l’entendait passer le coin de la rue, on
commençait déjà à avoir mal au ventre, ma mère
se mettait à trembler. C’était plutôt comme un
frissonnement, une sorte d’onde mauvaise qui se
propageait. Elle était pas bien, la pauvre ! Quand
Dylan venait, ça nous faisait une respiration. Mon
père et lui s’étaient connus dans un boulot mais
Dylan ne buvait pas comme un trou, il était plus
raisonnable, je l’ai jamais vu ivre. Je crois qu’il
nous aimait bien, nous les enfants. Je pense même
qu’il en pinçait pour ma mère. Peut-être que mon
père s’en rendait compte mais qu’il le laissait faire
pour avoir la paix, ou parce qu’avec ma mère ils
s’aimaient plus. Ou peut-être bien que mon père avait
une poulette ailleurs.
(Enregistrement n°3, Marc Desbordes / Jacques Roussiol)
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— Il paraît que vous voulez faire un livre sur ma
fille et son agression ?
— C’est mon objectif pour l’instant. Vous voulez
bien qu’on en parle ?
— Oui, je me sers un café, je me sens tendue.
Vous en voulez un ?
— Merci, c’est une bonne idée.
— Mon appartement n’est pas très grand,
mais on a une belle vue. Ce n’est pas comme ceux
qui longent la voie rapide, là-bas. Le salon, venez
voir […], le salon donne sur la ville, et là-bas, c’est la
Méditerranée. Aujourd’hui, il fait chaud et le ciel
est blanc mais sinon, on voit bien la mer, surtout
en hiver. Quand il y a du mistral, on voit même
la Corse. Ça ne dure pas longtemps, mais on la
voit, c’est comme un mirage. Le soir, j’aime bien
être sur la loggia à rêvasser. Les martinets frôlent
le mur d’en face et filent entre les immeubles, vers
l’arrière. On vit bien ici. On pense à sa vie, à ce
qu’on a fait de sa vie, si on avait raison ou tort.
On ne s’en sort jamais de ces discussions avec
soi-même. Comment ça s’est passé avec mon ex-mari
à la maison d’arrêt ?
— C’est un sacré personnage ! J’ai l’impression
qu’il n’a pas tellement été présent auprès de vous
pour éduquer les enfants, non ?
— C’est ça. Quand on était un jeune couple et
qu’on habitait à Lyon, ça allait encore. Disons qu’il
donnait le change, on était encore amoureux. Il
voulait qu’on ait des enfants, une grande famille. Son
père l’avait battu comme plâtre. Mon mari, c’était
un bâtard comme on disait à l’époque, il ne vous l’a
pas dit ? Je crois qu’il voulait réparer quelque chose
en fondant sa propre famille, mais ça n’a pas pris.
— Vous savez pourquoi ?
— Je crois qu’il rêvait d’une grande famille mais
sans se rendre compte que ça demande des efforts,
et des efforts, il ne voulait pas en faire. Monsieur
sortait avec ses copains, monsieur se saoulait ou
manquait le travail. Ce n’était pas un bon père pour
ses gamins, et à moi ça donnait plus de charges. Et
puis, au bout d’un moment, on était à Nice, je crois
simplement que je me suis mise à ne plus l’aimer.
C’est parfois comme ça, la vie.
(Enregistrement n°4, Marc Desbordes /Hélène Simonet)
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Seulement, avec les années, le roi s'aperçut que le prince passait le plus clair de son temps à chanter et à danser tandis que ses petits frères s'épuisaient à courir et à se battre. Un jour, même, il se moqua de lui et dit : " Tu veux ressembler à tes cousines à te pavaner ainsi dans les fleurs ? ".
Progressivement, Otton devint une source de conflit entre ses parents. Le roi accusait ses tantes de le transformer en nounours. Les frères du prince rigolaient de lui, prétendaient qu'il était trop mou pour se battre et le traitaient souvent d'oursonne manquée. Ses soeurs n'y trouvaient rien à redire, elles qui aimaient tant jouer à se coiffer et à l'habiller pendant des heures.
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Sous l’Embarnier, la piste se dessine au milieu des moutons. Malgré toutes les obligations d’un samedi quelconque, je suis désormais à contempler le paysage, espérant aller le plus loin possible vers le plateau de la Malle. Je dépasse la ferme, ravie de voir que les brebis n’ont pas peur. Peut-être ne sentent-elles rien d’agressif en moi. Peut-être savent-elles que j’ai extirpé un agneau d’une clôture électrifiée, un agneau sur le point de renoncer à se battre. Sans doute ont-elles entendu parler de ce jour où j’ai libéré trois brebis entassées, étranglées par ces mêmes filets. Ces modestes exploits m’offrent une tolérance de passage dans l’indifférence. Malgré un maigre tracé noir puis un tracé en pointillé sur la carte prise avec moi pour m’éviter d’éventuels ennuis, je ne suis pas certaine que le passage soit autorisé. En poursuivant, j’observe l’ampleur des ruines qui s’éparpillent sur ce territoire et la vue prodigieuse. Le lieu-dit la Lauve se profile vers un petit promontoire rocheux. Toute la Côte d’Azur est à nos pieds depuis cet endroit si proche de Grasse et pourtant si sauvage. Partout s’étale la mer Méditerranée jusqu’à la frontière italienne, au cap d’Antibes, aux îles de Lérins. En voulant éviter la seule maison, je me perds dans le dédale chaotique des roches et des buis puis croise avec reconnaissance un chemin qui se poursuit jusqu’à la bergerie du Montet. Là, on aperçoit à nouveau le radar de l’aviation civile, cette immense balle toujours prête à être envoyée d’un coup de pied vers un autre versant. Je continue encore jusqu’à la route goudronnée pour pouvoir voir comment accéder à l’Embarnier depuis le plateau de la Malle, la prochaine fois. La prochaine fois, quand je reviendrai. Je reviendrai encore. J’ai besoin de formuler ces vœux avec l’immense confiance que tous ces moments sont renouvelables, reconductibles et que je n’en manquerai jamais.
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Julie Roussiol — Il faudra couper ça dans l’enregistrement
parce que ça devient sinistre. (Rires.) Je vous l’ai
dit, cette histoire était trop triste. Il faudrait écrire
un roman qui fasse rêver les gens, avec du suspense,
quelque chose qui intéresse, avec de l’humour, plus
léger, ce genre-là vous voyez ?
Marc Desbordes — On me fait souvent cette remarque, toujours
ce désir de divertissement, d’évasion… Il faudrait
toujours faire rêver les gens, les distraire. Mais les
distraire de quoi ? Qu’ils s’évadent de quoi ? De
quelle prison ? Celle de leur vie ? Pourquoi ne pas
les aider à la changer, plutôt ? Ou à voir les choses
en face ? Moi, je trouve votre histoire intéressante.
Ce n’est pas très joyeux mais la vie ne l’est pas
toujours. Vous, vous l’êtes, ça ressortira peut-être dans
le récit. Et puis du rebondissement, il y en a dans
votre histoire, non ?
Julie Roussiol — Pour ce qui est de ma vie en ce moment, vous
voulez dire ? Je suppose que ma mère vous en a parlé
au téléphone, des fois on dirait qu’elle en sait plus
sur moi que moi-même. Mon père, lui, il ne passe
pas beaucoup d’appels en prison, c’est compliqué.
Et vous n’irez pas loin avec lui pour écrire un
scénario. Ma mère raconte ce qu’elle veut, surtout sa
version des choses. Ma vie, elle est comme celle
de tout le monde. Sans doute que la vie des gens
est intéressante. Si on se penchait vraiment sur la
vie de chacun, même des gens simples, on se
rendrait compte que c’est une mine. J’avais lu Un cœur
simple de Flaubert en quatrième. C’est vraiment
beau. Je ne crois pas que l’héroïne aurait pu
raconter son histoire toute seule. Cette femme, Félicité,
elle aurait sans doute pensé que sa vie n’avait pas
d’intérêt.
(Enregistrement n°2, Marc Desbordes / Julie Roussiol)
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Je me suis d’abord réveillée dans la camionnette
quand ils ont commencé à découper mes vêtements
et mes sous-vêtements. Ça doit être un
réflexe. J’ai pensé à ce que me disait ma grand-mère
si j’avais un accident, de toujours porter des
vêtements corrects, ce genre de choses. J’aime
bien ma grand-mère, ce n’est pas la question, mais
à l’époque je trouvais ça dingue d’imaginer des
trucs comme ça. S’habiller en pensant que tu vas
avoir un accident et qu’on va regarder si t’as une
chaussette trouée ou si t’es épilée, c’est bizarre.
Sur le coup, quand tu te réveilles avec quelqu’un
penché sur toi en train de découper ton
soutien-gorge, tu crois plutôt être dans la camionnette
d’un tueur en série. Quand tu comprends que
non, que c’est juste les pompiers, tu te mets à
penser à des choses basiques : est-ce que ma culotte
est bien accordée avec le haut, etc. C’est ça qui te
réveille, c’est fou ! Au début, je n’ai pas vraiment
saisi ce que je faisais là, j’avais perdu la mémoire.
Après, mon cerveau a dû enregistrer que je n’étais
pas entre les mains de Hannibal Lecter, je me suis
rendormie.
(Enregistrement n°1, Julie Roussiol)
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« Depuis quelque temps, je marchais moins vite, préférant musarder, flâner, observer, sentir. J’essayais de mieux voir ce qui m’entourait et de comprendre comment les choses m’atteignaient si profondément. S’il fallait rebrousser chemin avant d’avoir atteint un village, une montagne, une cascade ou un lac parce que j’étais fatiguée ou que je n’en avais plus envie, je revenais sans éprouver de regret. Je n’étais plus atteinte par l’impression d’avoir capitulé, sentant que les efforts déployés étaient autres. Cette fois, je voulais profiter de l’eau pure et changeante, tantôt dénouée, tantôt agitée. Si les arbres réunis en voûte au-dessus de l’onde me paraissaient beaux, c’était une raison suffisante pour faire une pause. Sous les ramures des chênes, j’observais un souffle, une ombre, un rien. Je n’avais plus cette manie de vouloir embrasser beaucoup en peu de temps, de “faire” un pays, de parcourir de grandes distances. Mon désir le plus urgent était de comprendre les péripéties géographiques d’un environnement qui m’attirait à lui, mon souhait le plus cher de fouiller ses mystères. Puisque j’avais choisi de vivre dans des paysages aux reliefs sinueux, mes incursions ne trouvaient pas de fin. Peu m’importait de pouvoir nommer chaque ravin ou de retenir la nature des roches. Je préférais savoir passer d’un mont à l’autre par le chemin le plus favorable selon la saison. Il me fallait profiter des montagnes en cas de coup dur. Quand la vie me pesait, je voulais pouvoir m’échapper en un instant vers une nature préservée avec laquelle j’avais développé une complicité simple et heureuse. Traverser la France à pied, en faire le tour, me semblaient des projets trop vagues et trop longs. Sans doute étais-je capable de moins. Mon ambition n’était pas d’aller de pôle en pôle ni de faire le tour du monde en quatre-vingts jours. Mon rêve semblait étroit comparé à ceux de grands voyageurs, y compris ceux qui s’étaient illustrés sur le territoire français. À moi, il faudrait un an pour franchir le Mercantour voisin, ce massif qui semblait inépuisable si l’on observait chaque détail d’un paysage métamorphosé par le temps. Je m’imaginais facilement perdue dans le proche Esterel, me mettant au défi d’y vivre en brigand comme Gaspard de Besse sans jamais atteindre ses contreforts.

Par un cheminement constant et d’abord souterrain, je finis par me convaincre que j’étais faite pour ce nomadisme. Partout, les vitres des maisons ou celles des voitures me paraissaient trop épaisses, me coupant des odeurs bénéfiques, des bruits naturels ou d’une osmose profitable. Renoncer à cet instinct m’apparaissait comme la source des malaises qui m’agitaient et me faisaient tourner en rond. On pouvait y remédier et s’en aller dès que possible, ne pas se laisser engluer dans le dédale des villes ou dans le brouillard des désirs vagues et jamais satisfaits. Partir loin n’était pas nécessaire. À présent, il me restait à réaliser cette tentation de l’infime voyage. »
(p. 18-20)
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« Au milieu de l’espace morcelé que je traverse comme l’usager invoqué par Perec, je passe d’un pan de campagne à un autre comme s’ils se succédaient sans heurt. Sans y penser, mon regard choisit ce qu’il veut accommoder pour cette journée. Sur un flanc ombragé, une belle demeure semble mourir à petit feu. Ses volets fermés, sa clôture infranchissable, tout suggère un lieu déserté par la vie. Plus loin, derrière les hautes herbes, les cordes à linge oscillent dans le vent qui laisse valser le linge. On détourne alors la tête pour ne pas entrer dans l’intimité d’une maison pourtant éloignée. À l’intersection suivante, une autre est accolée au chemin. Quand les cerises percent les arbres de la propriété qu’il traverse, les marcheurs se servent. Un panneau de carton accroché aux branches les incite à ne pas trop abuser. Puis la pluie qui le dégrade rend la demande illisible. Plus loin, dans son jardin, un vieil homme regarde le sentier, scrute les passages autant que les paysages. Bientôt il me happe du regard, un regard où je crois lire l’envie de discuter un moment. Comme le temps n’est pas compté, je lui fais un signe. Aussi s’approche-t-il de la clôture pas à pas, lentement, toujours sur le point de vaciller. Nous parlons du temps qu’il fait, du temps qui passe. Chaque mot lui coûte, alors je compte les miens. Profitant de ce moment de conversation, la chèvre qui le suit et semble le protéger comme un jeune chien s’est introduite dans la maison. Après s’être alanguie sur le pas-de-porte, elle s’installe sur le carrelage dans un rayon de soleil. J’aimerais connaître le nom de sa biquette mais nous rions ensemble car c’est aussi son cas. Il faut ensuite se séparer et c’est toujours un moment pénible. Je me distrais de peu : trois arbres arborent des lames métalliques qui brillent dans le soleil comme des médailles : 187, 188, 189. Me vient une sympathie pour ces chênes dans lesquels on a planté de longs clous. Je ne sais pas ce qui leur vaut d’être stigmatisés : est-ce le travail d’un écologue, un besoin de référencement, une étude visant à les préserver d’un parasite ? Quelques-unes de leurs feuilles marcescentes permettent de reconnaître ces arbres aux variétés nombreuses et qui couvrent davantage nos paysages que les palmiers plantés en abondance sur la Riviera : chêne blanc, chêne vert, chêne-liège, chêne kermès et j’en oublie sans doute. Dans les jardins, on voit que les palmiers n’ont pas résisté à la prolifération des charançons qui s’est étendue sur le pourtour méditerranéen. Ils se sont fanés. Sèches et ternes, leurs palmes qui s’agitaient avec splendeur tombent lamentablement, sans plus chercher le vent. Certains propriétaires ont tenté des traitements et puis se sont résolus à voir ces seigneurs se flétrir comme une simple rose. Par économie, ils les ont étêtés plutôt que dessouchés. Ils dressent à présent leur tronc mutilé et piteux comme un doigt accusateur vers le ciel. »
(p. 115-117)
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