Des chars volés à l'armée russe, des civils soulevant des mines à la main ou fabriquant des cocktails Molotov
Dans la presse, le courage des Ukrainiens laisse humbles ceux qui sont loin de la guerre. Mais pourquoi a-t-on besoin de se dire qu'ils sont courageux ? Est-ce tout ce qu'ils nous reste quand nous sommes impuissants ? Faut-il une guerre pour devenir courageux ?
Pour répondre à ces question Guillaume Erner reçoit le philosophe Marc Crépon, le grand reporter Sara Daniel et l'historien Nicolas Offenstadt.
#ukraine #conflit #franceculture
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Un air froid et métallique masque ce matin l’odeur des abats et des égouts. La rumeur des voitures qui empruntent au loin la route de Qaraqosh s’est tue. On n’entend pas non plus les vieilles chuchoter le secret des autres devant l’épicerie, ni le cri de la volaille de basse-cour dont la puanteur m’avait fait vomir. Un ciel de cristal rare a dévoré la plaine et les bruits ; il neige à Khidir.
Retranché derrière ses murs au sommet d’un tell, le monastère Saint-Behnam domine avec plus d’insolence que d’habitude le village dissous dans une brume laiteuse. Il n’a pas toujours eu l’aspect d’une forteresse : il a fallu pour ça qu’un architecte de l’époque de Saddam Hussein lui inflige une carapace de béton. Le père de Marie avait conservé dans une boîte à chaussures des photographies du monastère du temps de son propre père. Cette boîte s’est perdue pendant la guerre, m’a-t-elle dit, la dernière ou une autre, en même temps que les chaussures de ceux qui sautaient sur les mines. J’imagine que cette collection devait ressembler aux planches publiées par l’archéologue allemand Conrad Preusser dans les dernières années de l’Empire ottoman, ou par le diplomate britannique Harry Charles Luke. J’ai aussi retrouvé un panorama hallucinatoire de Gertrude Bell, cette amie de Lawrence d’Arabie qui tenait le crayon lorsque les Anglais tracèrent les frontières de l’Irak quelques années plus tard. Je devrais l’envoyer à Marie. Les murs étaient alors enduits d’une chaux amande se mélangeant au paysage de collines basses qui donnent un peu de vie à la plaine de Ninive. Le mausolée de Behnam et Sarah dévoilait de longues briques dont on devinait à peine la couleur rose sous les vents de sable collés. Ce matin le béton qui a couvert cette pureté primitive est recouvert de neige, et le monastère est presque beau à nouveau.
Et puis il aime tellement les enfants me racontaient encore les villageois. Les siens, et ceux de l'orphelinat chrétien de Qaraqosh dont il s'occupe bénévolement, comme de ceux chassés par les pères musulmans qui trouvent chez lui un refuge.
Maintenant que la pénurie des jours de guerre s'installe, le ressentiment grandit contre les chrétiens : on jalouse leurs champs méthodiquement irrigués et leurs maisons aux jardins bien taillés ; on s'agace même de leurs diplômes d'université. Les plus jeunes ont l'impression que rien ne leur appartient, pas même cette terre qu'ils croient celle de leur religion. En 1992, l'islamisme est en train de renaitre sur les cendres du nationalisme, et l'influence des chrétiens à Khidir finira par causer des problèmes; le père de Marie sait que la violence en Irak se lève aussi vite qu'un vent de sable dans le désert.
"La tête de la femme, c'est la vulve de son vagin", dit l'imam Abou Ishaq al-Houini
(p. 158)
.... son histoire, dessinait la géographie de l'État islamique. Et sa théologie : tous les péchés des hommes se sont incarnés dans son corps de femme
"Tempête du désert", c'est d'ailleurs de nom que les Américains ont donné à leur guerre. George Bush père a appelé les Kurdes du Nord et les chiites du Sud à se soulever contre Saddam. Seulement il n'a pas tardé à comprendre que le pays risquait d'éclater sous l'effet des insurrections ethniques et confessionnelles qu'il était en train d'encourager.
C’est ainsi : dans les légendes chrétiennes, les femmes sont des saintes qui meurent encornées par des taureaux ou ravagées par des lions dans des arènes, éventrées par des barbares ou égorgées par leur père, mais elles ne sont jamais violées et malheureuses, et elles ne demandent jamais qu’on les aime et qu’on les protège
Il faut que s'estompe le souvenir de ces petits écoliers qui s'agrippent à leur alphabet comme à leur seule planche de salut sous ces tentes que j'ai moi aussi laissé disparaitre sous le sable de ce village qui ne figure pas sur les cartes.
L'Irak est le pays des aubes meurtriered