La rentrée littéraire 2020, action !
Zoom sur la littérature étrangère : voici 4 romans que nous avons dévorés et qui sont devenus pour nous des incontournables.
Nous sommes ravis de vous les présenter ici !
- American Dirt, de Jeanine Cummins, éd. Philippe Rey
https://www.librairiedialogues.fr/livre/17001771-american-dirt-jeanine-cummins-philippe-rey
- Marilou est partout, de Sarah Elaine Smith, éd. Sonatine
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16828289-marilou-est-partout-sarah-elaine-smith-sonatine-editions
- Impossible, d'Erri de Luca, éd. Gallimard
https://www.librairiedialogues.fr/livre/17049265-impossible-erri-de-luca-gallimard
- Betty de Tiffany McDaniel, éd. Gallmeister
https://www.librairiedialogues.fr/livre/16897804-betty-tiffany-mcdaniel-editions-gallmeister
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À bientôt pour de nouvelles découvertes !
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Je savais que le Dr Holden était une excellente psy, parce qu'elle ne croyait pas un mot de ce que je lui racontais.
On s'installait devant le poêle à bois avec un catalogue de musée, et elle me demandait de décrire ce qui se passait sur chaque image. Je me disais qu'elle voulait que je fasse montre d'intelligence, alors j'essayais. Mais ce qui lui faisait vraiment plaisir, c'était quand j'en avais marre de ce numéro et que je disais exactement ce que je pensais, à savoir que les saints avaient l'air d'ahuris finis et que la Vierge Marie semblait un peu imbue d'elle-même.
[ adolescente de 14 ans ]
Je ne sais pas, peut-être que j'enviais simplement l'attention qu'elle recevait, toujours est-il que disparaître ne m'a pas paru si ignoble que ça. L'idée m'a plu immédiatement. Je me rends compte que ça paraît dur, mais j'avais tellement envie de ne plus être là. Elle était passée de l'autre côté, en un lieu où il n'y avait plus de comptes à rendre pour ses actes, et où il n'y avait personne pour lui faire des reproches.
Et j'avais envie d'être célèbre. J'avais envie que tous les coeurs cachés me cherchent, moi. J'avais envie de briller dans le vaste horizon des disparus, parce que les disparus occupaient tout le ciel, toute l'atmosphère. Comment (...) avait-elle réussi à créer cette magie ? La disparition était un lieu où personne ne pouvait vous atteindre. Un paradis, presque, ou bien c'est ce que je croyais.
(p. 37-38)
[Elle] n'était pas particulièrement bien vue dans les environs, sauf parmi les autres artistes et marginaux qui avaient migré dans la région [Pennsylvanie] en masse à la fin des année 1970. Ils avaient été attirés par le prix bas des terrains, rêvant d'une approximation de société radicale et paradisiaque. Ils vivraient de leurs terres, loin de ce qu'[elle] appelait le bourdonnement perpétuel des injonctions meurtrières du capitalisme. (...)
Au bout de dix ou vingt ans, beaucoup d'entre eux étaient repartis vers des climats culturels plus favorables. J'imagine qu'ils s'étaient attendus à ce que la monotonie rurale soit plus poétique, pas aux longs hivers où la neige psalmodiait ses désirs mortifères sur votre tête.
(p. 89)
L'été où Jude a disparu, mes frères et moi, nous étions quasiment retournés à l’état sauvage, vu que notre mère était partie pour de longs mois et que nous vivions libres, selon nos propres idées et coutumes.
J’ai longtemps pensé que mes ennuis s’étaient concrétisés l’été où Jude Vanderjohn a disparu, mais à présent, je vois qu’ils ont commencé bien plus tôt.
Elles étaient nimbées de l’aura de glamour de celles qui sont passées à deux doigts de se faire tuer, et elles n’y auraient renoncé pour rien au monde. Ce n’était pas souvent qu’elles étaient confrontées à un tel danger. Morgan, la mariée, était furieuse. Dans l’ersatz d’institut de beauté improvisé dans son préfabriqué, tout le monde ne parlait que de Jude – allait-elle arriver à temps pour le mariage ? – alors même que Morgan avait déjà enfilé sa robe, et ça, personne n’en parlait. À l’heure de la cérémonie, lorsqu’elle a fait son entrée dans l’église, l’assemblée s’est retournée pour la regarder, certes, mais beaucoup d’entre eux voulaient aussi vérifier si Jude était au fond, vu qu’elle n’avait pas encore pris place.
Ça n’a pas été le mariage le plus réussi de tous les temps. Il y a eu des ratés. Les mariés n’ont pas réussi à allumer la bougie votive, alors que Morgan avait expressément demandé que la clim de l’église soit éteinte pendant la cérémonie afin d’éviter les courants d’air. Les anciens footballeurs ont eu un coup de chaud dans leurs cols empesés, et ils empestaient la sueur.
Personne n’a envie de parcourir la moitié du pays pour faire peur à une fille qui a toutes les chances d’être en plein trip spatio-temporel vodkaïsé. Et pourquoi n’était-ce pas la mère qui appelait ? Même si pour certaines questions, me dit-on, la police se fie davantage aux alarmes des amis que des parents ; sans quoi ils passeraient leur temps à secouer les mêmes gamins demeurés en train de siphonner du sirop contre la toux derrière le Giant Eagle, perdus dans les couleurs de la musique pétaradant dans leurs Pontiac déglinguées. Il y a un problème d’héroïne à Greene County. Elle peut tout aussi bien s’emparer des jeunes qu’on ne soupçonnerait jamais que de ceux qui ont été sur la corde raide toute leur vie. Rien que la semaine d’avant, le petit-fils de l’entraîneur de l’équipe de foot avait tenté de braquer le Rush’s Grocery & Video Store à Rogersville. Il prétendait qu’il avait un flingue, mais il pointait juste deux doigts. Ruthie Rush lui avait explosé la main avec son lecteur de codes-barres, et il s’était carapaté si vite qu’il avait perdu ses chaussures.
Quand la police lui a montré la photo de Jude, il a estimé que ça pouvait être elle, mais qu’il aurait juré que c’était plutôt Brandy machin-chose, la fille du magnat des fosses septiques de la région, qui essayait de faire jouer son « nom » pour boire bien qu’elle n’ait pas l’âge. Mais il pouvait se tromper. Pour moi, elles se ressemblent toutes, a-t-il dit, même s’il était difficile de dire s’il parlait des Noires ou des adolescentes en général. Ce dont il paraissait certain, c’était qu’elle avait beaucoup de liquide sur elle. Il était aussi sûr qu’elle portait une plume dans les cheveux, une de ces pinces ornées d’une plume de poulet teinte que l’on gagne à la foire.
À la maison d’en face de Gebe & Skocik, les accros au Fentanyl glandaient dans des sweat-shirts jaunes achetés en gros qui vantaient la victoire des Moutaineers au Sugar Bowl en 1994, laquelle n’avait jamais eu lieu. Tous affirmaient avoir vu Jude. Ils avaient vu une fille. Une fille, une fois, et elle n’était pas très sympa. Était-ce Jude ? Elle était venue taxer une clope.
Elle portait une robe longue qui s’accrochait dans l’herbe derrière elle, si bien que le tissu s’étalait telle la traîne d’une mariée, et j’ai trouvé ça très joli. Elle se déplaçait comme si elle avait du sirop dans les os et aucune raison de se hâter. Je le sais à présent : c’est ainsi que marchent les gens quand ils aiment ce qu’ils sont. Mais je n’avais jamais vu ça auparavant.